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    Justice


    ...douce comme le vent du désert... drapée de son silence et de... et de sa virginité, ...non! drapée de sa... dignité, c'est drapée de son silence et de sa dignité, la femme du nomade est belle comme une fleur des sables... non, c'est trop pesant... pas assez chaud et oasien... il faudrait décrire avec le silence... qu'est-ce qu'elle m'inspire? Elle me subjugue, elle m'envoûte... légère comme le voile... non, la gandoura, ce n'est pas une bourca... l'exact opposé de ce que je voudrais, c'est "égyptienne" comme Cléopâtre pouvait l'être, enfin à ce qu'on en dit : voluptueuse, féline, un prédatrice qui chasse par jeu. Cette femme du désert, elle est... elle est... ma... majestueuse, oui majestueuse... et en même temps silencieuse, et impériale, mais presque immatérielle et solide comme le roc. Avec quels mots je pourrais exprimer ça...

    - Allume la mèche!

    ...la femme du désert dans sa robe de silence possède ensemble la majesté de l'Atlas et la fierté du vent, ...bof...

    - Elle dure combien de temps?

    - Je sais pas mais grouille-toi, on va le rater!

    ... la femme du désert dans sa robe... MERDE! C'est pas en m'arrêtant sur tous les mots que je vais le sortir ce recueil, et puis maintenant la majesté, je suis trop énervé pour...

    PAN!

    -SALOPARDS!


    Juste le temps d'une injure, et le poète chancelle. Il aperçoit quatre personnes mal cachées derrière les buissons.

    - HE! hurla le poète.

    - Tu vas nous faire quoi? répond l'un d'eux, provoquant.

    - Si t'es si sûr de toi, approche un peu.

    - On y va? Ptêt' que quand on l'aura démonté, il arrêtera de jouer le zorro.

    Ils se rapprochent.

    - Vous avez vos couilles en bandoulière! A quatre sur un mec qui vacille! Qui est celui qui a allumé la mèche, je m'occupe de lui en premier...

    - C'est moi. Pourquoi tu cherches les embrouilles comme ça, pédé?


    Le poète est hors de lui, il s'apprête à bondir sur l'allumeur ignorant ses trois collègues. L'allumeur en question attaque pourtant le premier d'un direct du droit. Le poète esquive à gauche, tire sur l'avant-bras de son adversaire vers l'avant et se place dans son dos. Il passe par dessus la tête de l'artificier et coince sa jugulaire dans le "V" de son bras qui se referme doucement pour l'étrangler. L'autre se débat, se jette sur le dos et écrase le poète de tout son poids mais il tient bon. Sans réfléchir, ou plutôt sans avoir besoin de réfléchir, le poète tend la bouche toutes dents dehors et arrache un morceau sanguinolent de l'oreille de son agresseur qui hurle de douleur. Les autres en restent pétrifiés. Le bouffon est un dément! Mais l'allumeur n'a bientôt plus assez d'air pour crier et s'évanouit à moitié.

    Alors le poète se relève maladroitement, enlève le sable de ses égratignures, regarde les autres toujours figés de stupeur et sort l'oreille de sa bouche. Les filets d'un mélange de salive et de toxines pulmonaires visqueuses rompent un à un et gouttent le long des cartilages.

    - Si vous partez maintenant avec votre ami, un médecin pourra recoudre son oreille.

    Le poète jette le morceau d'humain sur le corps ébranlé du pétaradeur et prend ses jambes à son cou.



    II


    Quelques jours plus tard, deux policiers frappent à sa porte, ils brandissent fermement un mandat d'amenée à son nom.

    - Vous êtes bien Mr S?

    - C'est moi.

    - Veuillez nous suivre sans résistance, sinon nous serions obligés de faire usage de la force.

    - Je vous suis, inutile de s'énerver...

    - Vous n'êtes pas en mesure de donner des conseils.

    - ...



    III


    ...un type avec une pochette rouge, une fille pressée sur un vélo et un tombeur dans une voiture banale, un juriste médiocre, un curieux, un borné, un rêveur et un homme vide... une elliptique, un simplet grunge, une fille méfiante adorable, un chauve patient, un couple forcé et un ami fade... soit elle s'ennuie profondément, soit elle a des escarpins trop étroits...

    ...un étrange ordinaire qui lave sa chaussure dans les flaques, une nombriliste dépressive, une vieille nostalgique qui flotte sans déplacer son corps... un chien noir... et la plupart des gens qui pensent sans penser, ils profitent du soleil d'hiver et de son reflet sur l'eau de la Saône... au bout d'un moment, on retrouve les mêmes personnes seules qui rêvassent... les autres semblent un peu plus à l'intérieur, ils vont toujours bien avec leurs vêtements...

    - Entrez dans le hall, s'il vous plaît.

    ...la moue d'étourdie et la coupe négligée, les imperméables et les grands airs, les bas blancs et les varices... ah, une péruvienne magnifique est assise juste derrière... elle serre les genoux pour ne pas trop ouvrir sa jupe pendant qu'elle lit... à part elle, personne n'a l'air dans son assiette, ou peut-être qu'elle est simplement trop jolie pour avoir l'air d'autre chose...

    - Monsieur! Ce n'est pas le moment de rêvasser. Entrez maintenant, je vous prie, c'est à vous!

    ...une adolescente déguisée en prostituée se déhanche. La marche en talons étire les muscles qui sont derrière ses genoux... un type qui regarde et une dame revêche, construite avec des logiques, qui n'existe pas non plus... C'est mon tour...


    IV


    - Mr S? Levez-vous. Vous n'avez pas d'avocat?

    - Non.

    - Vous savez les faits qui vous sont reprochés?

    - J'en ai une petite idée...

    - "Une petite idée"? C'est un peu léger pour une agression caractérisée!!!

    - Contre qui?

    - Ce monsieur... Appelez le plaignant! A sa demande, le plaignant à tenu à être présent ainsi que trois témoins de la scène, Mr P, Mr V et Mr C.

    -Bonjour.

    -Votre Honneur...

    - Mr S compte tenu des faits qui vous sont reprochés vous êtes décidé à ne pas prendre d'avocat? La cour peut vous en commettre un d'office...

    • Vous ne l'écouterez pas, autant lui laisser sa journée.

    • Pardon!?

    • Lors des quelques comparutions auxquelles j'ai assisté, la cour baillait aux corneilles pendant la plaidoirie.

    - Quoi???

    - Dîtes moi que ce ne sera pas le cas...

    - Ce n'est pas le procès du tribunal, mais le vôtre Mr S!

    - Et le procès du tribunal est prévu pour quand? Je demanderais une permission pour me porter partie civile.

    - Votre cynisme est déplacé!

    - Pas plus que vos rappels à l'ordre... Donnez-moi dix mois tout de suite, plus vite je commence, plus vite je serais sorti.

    - Taisez-vous! Ce que vous avez fait...

    - Ne jouez pas les paternalistes! Vous allez me dire que ce que j'ai fait c'est "caca", m'envoyer en cellule et dire la même chose au suivant : autant faciliter le transit judiciaire, vous ne croyez pas, en plus ce serait une forme de franchise? On devrait même me donner une promotion pour cette idée. Je me verrais bien "mouchard" ou "bibliothécaire"...

    - Taisez-vous!

    - ...

    - Bon, si vous êtes calmé, revenons au procès qui nous occupe : pourquoi vous êtes vous jeté sur Mr D, d'une part, et pourquoi diable lui avoir arraché l'oreille?? Avez-vous seulement conscience de ce que vous avez fait?

    - Oui, et c'était la meilleure solution dans cette circonstance.

    - Vous êtes convaincu de ce que vous dîtes?

    - C'était la seule façon de partir entier après avoir fait comprendre à ce type que je n'appréciais pas ses loisirs. La vraie question est "êtes-vous convaincu de cerner le problème, derrière votre estrade?

    - Passons... Vous n'avez pourtant pas les occupations d'une personne brutale. Pourquoi ces agissements barbares?

    - Pour une fois, je n'ai pas voulu baisser la tête.

    - Est-ce une raison pour massacrer vos concitoyens?

    - Ah oui, c'est vrai! J'aurais dû me laisser faire et claudiquer le plus vite possible dans une cabine pour porter plainte en espérant que mes oreilles arrêtent de siffler, attendre qu'on me réponde parce que la partie de carte n'est pas finie, qu'on prenne peut-être ma déposition et qu'on sorte le fourgon pour aller chercher des bières pendant que ces quatre connards balancent fièrement des dynamites dans les landaus!?

    - Vous auriez dû en effet!

    - Et j'aurais aussi dû leur prêter mon cul pour frotter les allumettes?

    - Vous dépassez les bornes Mr S!

    - Vos bornes!

    - Définies par des siècles de délibérations, alors veuillez vous y tenir!

    - Vos paperasses, c'est facile de s'y tenir ici.

    - Apparemment pas! Silence!

    - A vos ordres!...

    - SI-LENCE!!!

    - ...

    - Bon, maintenant que...

    - ... quand on vous ennuie, vous récitez des alinéas?

    - Mr S, je vais devoir vous demander de revenir ultérieurement...

    - A part vous et vos devoirs, vous ne voyez pas grand chose pas vrai!?

    - Vous êtes à deux doigts de l'outrage à la cour!

    - Et vous de l'outrage à l'innocence, au droit d'être libre de lever la tête.

    - Votre innocence est toujours présumée tant que le verdict ne sera pas tombé, je vous l'assure.

    - Mais c'est moi qui ai été agressé!

    - Pour ne pas jouer votre crédibilité, vous auriez dû porter plainte, je vous l'ai déjà dit. Personne n'est là pour coroborer votre version des faits.

    - Quel est le bruit d'un arbre qui tombe?

    - Pardon?

    - "Quel est le bruit d'un arbre qui tombe dans la forêt?": si personne n'est là pour l'entendre, l'arbre fait-il un bruit?

    - ...

    - ...

    • Continuons!

    • Quand on a essuyé les affronts gentiment, fermement et qu'on s'est fait rire au nez, une fois encore, quand tous les jours respecter les règles devient une frustration face à l'impunité ambiante, il n'y a plus qu'une réaction possible!

    • Réagir comme un sauvage!?

    • Ne pas faire usage de la force n'est pas une preuve d'intelligence!

    • On lui a recousu l'oreille, monsieur S! J'ai peur que votre sens des limites ne soit plus guère compatible avec notre société civilisée...

    • Je ne suis pas responsable des conséquences d'une réaction de défense!

    • Pas compris votre histoire...

    • Je ne vais pas regretter d'avoir réagi violemment! L'Etat ne pourra jamais régler les troubles sans sa population. En me condamnant vous stigmatisez une fois de plus l'initiative citoyenne, vous rendez le peuple amorphe et irresponsable!

    • « Vous », « vous »! Vos accusations sont un peu caricaturales... Et puis je ne suis pas « l'Etat »!

    • Vous êtes sa réalité!

    • Son application!

    • Donc si je résume bien, chacun est libre d'humilier qui bon lui semble sans que l'autre ne réagisse?

    • Ne jouez pas les martyrs, par pitié!

    • Je ne joue pas les martyrs, mais le fait est qu'une poignée de... disons «sauvageons», se croient au-dessus de tout. L'esprit ne peut s'empêcher de faire des amalgames et quand quelques imbéciles se permettent n'importe quoi, c'est tout une communauté qui est montrée du doigt!

    - Arrêtez de déballer vos grands principes pour défendre votre inconsistance! Des lois sont faites pour ça aussi et si les procédures sont longues, c'est parce que la justice tente comme son nom l'indique d'être juste! Après l'instruction civique, passons au procès, voulez-vous?

    - LENTE? Il s'est passé 25 minutes de mon entrée dans la salle à ma comparution...

    - A laquelle vous êtes toujours, d'ailleurs!

    - ... et vous avez distribué 13 mois de prison à 3 personnes. Je ne suis pas très fort en calcul, mais ça fait du 30 mois à l'heure pour 6 personnes. Si vous êtes aux 35 heures, ce qui serait ridiculement peu, ça fait 1000 mois de prison pour 200 personnes, en un an ça fait 47000 mois de prison pour 10000 personnes!! Ca fait 4000 ans de prison à répartir dans une petite ville!!!

    - Vous calculez vite mais 10000 personnes en un an boivent cinq millions et demi de litres d'eau et gagnent au minimum 10 milliards d'euros...

    - Ca n'a rien à voir!

    - C'est vous qui le dîtes. Enfin, comme vous avez raison, je vais être obligé d'abréger cette petite discussion parce que 20 personnes attendent encore derrière vous. Vos idées sont très intéressantes mais on ne va pas changer le système ici en quelques minutes, si vous voulez changer les choses devenez député ou ministre. Violence sur un tiers et séquelle non rémissible... Si vous n'avez rien à faire cet après-midi, vous irez me peaufiner ce petit projet, vous avez deux ans. AFFAIRE SUIVANTE et un verre d'eau, s'il vous plaît.

    Prison


    La peine de mort c'est dégueulasse, c'est vrai, des gens se sont battus... mais voilà cinq ans que je tourne en rond dans cette cellule. Mes compagnons de chambre sont des repris de justice, de quoi donner confiance quand on s'endort. L'un est un assassin, l'autre un violeur. Le trio morbide. Moi, on m'appelle « le cannibale », parce que j'ai évité un problème en déchirant l'oreille d'un mec avec les dents...

    Au début, j'étais parti pour deux ans, mais en entrant, j'ai compris que ça ne voulait pas dire grand chose. Ici, ça ne correspond à rien. J'ai essayé d'être le plus gentil possible au début, mais il y a tant de haine, tant d'incertitude ici, que l'humanité est vite passée à tabac, par "prévention"... alors j'ai dû me faire respecter pour protéger mon mètre carré d'espace vital; ou plutôt me faire craindre, comme un condensé de tout ce que j'essayais de combattre dehors, mais c'est ça ou servir de défouloir. Ceux qui croient qu'on règle un problème avec des mots trouvent vite du sang sur leurs mouchoir et leur PQ. Les mots ne résolvent jamais que ce qui est réglé, un malentendu tout au plus mais jamais une peur primale. Les paroles s'envolent, les écrits brûlent, ici rien ne reste que les cicatrices imprimées dans la rationalité de la chair.

    Même avec ceux dont on se lie d'amitié, il y a toujours une rivalité, ce combat de coq dans le moindre regard et en fait cette peur d'être surpris dans un moment de faiblesse. A part les demeurés profonds, même ceux qui se sont convaincus d'être des vrais truands sont largués. C'est une cours d'école, des enfants qui jouent les durs jusqu'au meurtre parce que personne n'a su les rassurer, leur donner confiance en quelque chose.

    Au premier type que j'ai démoli, je me suis retrouvé du même coup tranquille et seul. Et je suis resté là à regarder ma peine grandir au gré des procédures et des téméraires qui aiment se battre, simplement pour ne pas devenir une serpillère. Avant d'entrer ici, je me serais trouvé ridicule mais en vérité, il ne reste que ça, alors je le défends quoi qu'il en coûte. Je ne peux pas me résoudre à tout laisser passer pour un futur dont je ne sais rien. Mon présent, c'est ici et ces compagnons de bagne qui ne respectent que la force ou la folie.


    Cinq ans que je suis là. J'en suis venu à regretter cette routine qui pèse au gens du dehors. Dehors, la routine est une base, un support solide qui permet de se promener en ayant toujours une attache. Elle évolue lentement et se ravive parfois, si on sait profiter de ces petits riens, de ces petits plaisirs... un bon café, des draps propres, se raser en rêvassant... Ici, la mémoire perd chaque jour un petit détail jusqu'à n'être plus que la vision sordide de ce clapier puant.

    On dit que la vie de couple est toujours possible, que c'est toujours mieux que rien. Peut-être... Ma compagne venait me rendre visite, mais chaque mot, chaque regard me renvoyait ici. Tout ce que je voyais d'elle, c'est ce que je n'aurais plus, son odeur aigre-douce après l'amour, ses sourires impatients quand elle était pressée et sa voix endormie qui me disait bonjour le matin, avant qu'elle ne se réveille. Tout ça, je ne l'aurais plus, plus de quotidien, rien d'autre que ce regard navré, ces phrases pleines d'espoir et ces yeux qui mentent mal. Pire encore qu'être arrivé là sans raison, c'est l'espoir qui s'amenuise, que l'on sent filer entre ses doigts à chaque instant. Je lui ai dit de ne pas revenir.


    C'est l'été, il fait trente cinq degré dans cette pièce trop petite et pas une fenêtre pour ventiler. Je ne sais plus combien de temps il me reste mais ça n'a pas d'importance. Le présent s'étire, s'étire si loin qu'il se fige. Dix ans ou dix siècles seraient les mêmes. Plus rien du dehors ne me manque et je n'ai rien à faire pour entretenir cet équilibre.

    La seule rupture, je l'aurai un jour, en sortant. Mes parents seront vieux, ma compagne remariée. Le monde qui tout à coup se révèlera identique et nouveau, si rapide. Dans la vie d'un Homme, cinq ans, c'est déjà beaucoup, alors dix, vingt... Ma barbe aura pu pousser, mes cheveux auront pu blanchir. Peu importe. Au bout de quelques temps, la seule cellule dont on soit prisonnier, c'est cette putain de boite cranienne. On a tant de temps pour se comprendre que plus rien n'existe, tant de temps pour les mêmes choses qu'on se sent comme un vynil rayé qui répète inlassablement la même phrase de saxophone qui n'a plus aucun sens...


    Une fois libre, on a tout à rattraper; le temps, les lois, les gens, plus rien n'a plus d'emprise. Il y a trop de directions possibles, on ne sait pas laquelle choisir alors on se met à courir après sa vie, n'importe où, en essayant d'oublier. Le monde extérieur n'a jamais si bien porté son nom. On n'est ni plus en vie, ni plus mort que le jour précédent, simplement enfermé, perdu, déphasé. Une dernière bribe de lucidité, je sais que je n'aurais pas la force de repartir de zéro, c'est déjà si dur quand on a tout... je serais marqué du sceau de la justice à vie parce que les lois s'abattent comme des guillotines... je suis trop faible pour tout réapprendre, trop en retard pour rattraper ma joie de vivre et je ne veux pas être ça... Je ne veux pas être une larve qu'on regarde de travers et dont on se méfie, une merde désabusée qui survit par habitude. Il n'y a plus qu'une idée qui m'entête, plus qu'un souhait de salut et de dignité, qu'on m'abatte...

    Droit


    Monsieur le Futur Président,

    Concernant votre programme de "transparence" vis-à-vis des électeurs, je vous fais parvenir cette révision de la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen corrigée en fonction des réalités effectives. Il me semble que certains articles y perdent de leur formalisme, peut-être serait-il bon de revoir vos exigences...


    Art 1 : Les Hommes naissent égaux à eux-mêmes. Les distinctions sociales ne peuvent être basées que sur des différences sociales.


    Art 2 : Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et imprescriptibles de l'Homme politique. Ces droits sont la liberté, la multipropriété à mensualités attractives, l'impmunité diplomatique.


    Art 3 : Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans l'accord mutuel entre l'Etat souverain et le peuple de sa nation, blablabla. Nul corps, nul individu à titre interpersonnel ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément par le truchement convexe des articles 9, 12, 56 et 88 alinéa 7 du Code de Redéfinition des Alinéas des Articles 28a et 28b du Code des Prescriptions Alinéatoires du décret du mardi 11 mars 1849, entre autres.

    Art 3 bis: Nul n'est censé ignorer la loi et la loi est censée ignorer les nuls.


    Art 4 : La liberté consiste à pouvoir faire ce qu'on veut si on peut payer des avocats-vedettes. Ainsi l'exercice des droits naturels de chaque Homme n'a de bornes que celles qu'il s'assure.


    Art 5 : Tout ce qui est défendu par la loi peut tout de même être obtenu, mais il faut demander poliment.


    Art 6 : Tous les individus n'étant pas tellement égaux aux yeux de la loi, sont admissibles à toute dignité, place, emploi public selon leur fortune personnelle, ou leur annuaire téléphonique

    Art 6 bis: Tout individu pourra faire évoluer son intégration sociale si les jours d'ouverture des bureaux ne coincide pas avec ses heures de travail.


    Art 7 : Tout Homme peut être arrêté arbitrairement par les représentants de la loi s'il est jeune, black ou beur, mal coiffé ou s'il a une vilaine voiture.


    Art 8 : Tout Homme interpellé au hasard par des agents assermentés peut se voir administrer une contravention de contrariété dont il devra s'acquitter avec le sourire sous peine de majoration.


    Art 9 : Tout Homme sera sûrement présumé innocent par l'opinion publique si il y a France/Brésil sur la une.

    Art 9 bis : Tout Homme sera présumé absent au bout de 3 sonneries.


    Art 10 : Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leurs manifestations ne troublent pas l'ordre public, sauf les francs-maçons, les nihilistes, les catholiques, les écologistes, les juifs, les anarchistes, les marxistes, les moralistes, les autres.


    Art 11 : La libre expression est un droit des plus précieux : chaque Homme peut parler et imprimer librement ses opinions tant qu'elles ne troublent pas la morale puritaine ou l'exercice du pouvoir. Tout contrevenant s'expose à des poursuites gagnées d'avance.


    Art 12 : La garantie des droits de l'Homme nécessite une force publique ; cette force est donc instituée pour l'avantage de ceux à qui elle est confiée pour jouer les beaux dans la rue.


    Art 13 : Pour l'entretien de la force publique et des maîtresses de l'Elysée, une contribution commune est indispensable, elle doit être répartie en fonction du lien de parenté avec ceux qui établissent son montant.


    Art 14 : Les citoyens ont le droit de constater que l'Etat devrait faire quelque chose du moment qu'ils le disent entre eux sans faire chier le monde. Et l'Etat, de son côté, a le droit de ne pas en tenir compte, sauf quand il peut se réapproprier la cause avant les élections.


    Art 15 : La société a le droit de demander des comptes à tout agent public de son administration, mais prévient un peu avant quand même qu'on s'organise.


    Art 16 : Toute société peut invoquer la balance commerciale, le déficit budgétaire et l'inflation pour que personne ne comprenne pourquoi les impôts augmentent.


    Art 17 : Champagne pour tout le monde.


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    Le Dernier Psychologue


    - Vous savez, docteur, j'ai des envies de meurtres. J'ai eu des pulsions incontrôlables contre un type que je ne connaissais même pas, il m'a juste coupé la route hier matin et je l'aurai presque étranglé à main nues s'il n'y avait pas eu du monde autour! J'ai l'impression de perdre complétement mon sang froid... Mais s'il n'y avait que ça... J'ai honte de vous le dire. Mais vous êtes là pour ça, non?

    - Allez-y. Tout ce qui est dit ici restera entre nous.

    - Je... je fantasme sur les amies de ma fille de dix-neuf-ans, c'est immoral, je le sais bien, mais elles sont si... vous savez quoi?

    - Si jeunes?

    - C'est ça! Et quand je regarde ma femme à côté... Non, je sais que c'est mal de penser ça mais ma femme ne me fait plus très envie, mais je ne peux quand même pas passer le cap de la quitter pour vivre avec une gamine! Avec elle, on ne se parle plus, on passe notre temps à se faire des reproches, j'ai l'impression qu'on ne peut plus se parler autrement, et pire, qu'on y prend une sorte de plaisir!

    - Ah?

    - Et je fais des choses sans plus savoir pourquoi, je ne pense plus à rien. Je me suis réveillé l'autre jour et je me suis rendu compte que je détestais mes meubles, mes vêtements et toutes ces saloperies qu'il y a dans le frigo! Ca arrive sans prévenir, je me dis que tout doit changer, que je vais aller courir tous les matins et puis je m'assois devant la télé tout le week-end comme un zombie, sans voir personne, avant de retourner travailler lundi matin. Et je ronfle, je dors moins qu'avant, je mange plus... Je suis en train de dev...

    - Ecoutez, je n'ai pas beaucoup de temps à vous consacrer, si vous en veniez tout de suite à ce qui vous ammène?


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    Mon fiston chéri,


    Si les trois premiers mots t'énervent, c'est que tu es prêt à grandir tout seul. Cherche où tu veux, cherche ce que tu veux, je viendrai toujours te récupérer en cellule ou à l'hôpital, par contre si tu me cherches, c'est moi qui t'y enverrai. Il y a cinquante millions d'inconnus qui n'attendent qu'un prétexte pour faire la gueule ou se battre avec le premier venu alors ne gâche pas notre relation pour des essais, fais-toi la main avec eux et de ton mieux, parce que si c'est pour bâcler, autant t'abstenir!

    J'aimerais pouvoir t'apprendre ce dont tu auras besoin, mais pour être honnête, je crois que je n'en sais rien. Si tu as des questions, des soucis, j'essaierai toujours de t'éviter l'irréparable, mais la plupart des murs, tu les enfonceras tout seul, ce serait trop bête que tu deviennes une de ces lopettes qui récitent leurs leçons pour faire plaisir au maître quel qu'il soit. Comme ça, si un jour tu te demandes ce que tu fous là où tu es, tu sauras au moins par où tu es venu.


    Bonne chance, fils. A plus tard.


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    Lettre Type du Voyage d'Epinal


    Ma chère Alice, j'ai voulu fuir toute cette pagaille, me retrouver un peu face à moi-même et faire le point. Je regrette de ne t'avoir pas prévenue plus tôt mais sur le coup je n'ai pas réfléchi. Il y a tant de choses qu'on ne sait pas, tant de choses à découvrir qu'on s'habitue à l'ignorance, au risque d'en faire une religion. On finit par ne plus voir que les choses évidentes et celles qu'un autre a pointées du doigt. Je te donnerai sûrement cette lettre en main propre parce que je n'ai pas encore le courage d'imaginer ton regard quand tu la recevras. C'est une chose de penser que c'est une folie, une autre de l'entendre dire...



    5 octobre 2004


    J'attends ma correspondance pour le train de Budapest et je regrette déjà un peu les paysages français. S'il est vrai que les paroles s'envolent, à plus forte raison quand personne ne comprend ce que tu dis, il doit y en avoir un bon paquet qui rebouche la couche d'ozone, parce que voilà deux semaines que je suis parti de Lyon et un constat s'impose : si l'anglais est la langue la plus parlée au monde, je dois suivre la ligne qui relie tous les points où on ne le sait pas. A peine arrivé à la gare, juste histoire de faire démarrer le voyage dans le folklorique, mon dentifrice s'était écrasé à l'intérieur des slips et des chaussettes. Si tout se passe bien, la prochaine lessiveuse sera à Kiev. Il va falloir que je trouve un endroit pour passer la nuit, mais les mines patibulaires des types qui rodent autour de la gare n'inspirent qu'une confiance modérée dans la sécurité du pays... Rectification, après avoir aperçu un "Pölisjai", c'est encore moins qu'une confiance modérée. Ils ne doivent pas être tenus à la même présentation que nos poulets nationaux, entre autres, ils ne doivent pas être astreints au rasage, ni à la propreté vestimentaire. Demain à la même heure, si tout se passe bien, j'aurai quitté Bratislava, mais à ce que j'ai cru comprendre, il se prépare un mouvement de grève des transports slovaques...



    7 octobre


    Le voyage a été un peu perturbé par une manifestation des cheminots grévistes mais mon train est quand même arrivé. J'ai réussi à trouver un compartiment vide dans ce train bancal qui m'emmène vers un hôtel sans toilettes. Et veinard comme je suis, un autochtone m'a souri comme un demeuré pendant tout le voyage. Qu'est-ce que c'est que cette lubie de voir le monde? Le monde, tu l'as à la télé et si t'as faim de nouveautés, tu vas au resto, au moins t'as pas le cul sur une planche en bois. Ils doivent avoir un problème avec le confort ces mecs!? Et puis ils ont tous la même tête, je suis sûr qu'à la limite des jours, ils se trompent de maison et personne ne s'en rend compte.

    Je suis un peu crevé par la nuit dehors, mais ça va plutôt bien. Enfin dehors... Dans la gare aussi étanche aux courants d'air qu'une éolienne en Floride pendant les ouragans... J'ai envie de vomir.



    8 octobre


    Il me semble avoir quitté ce compromis culturel des pays du centre, il commence à faire un peu froid et les villes sont de plus en plus distantes les unes des autres. Dans un sens c'est ce que j'étais venu chercher.

    Je n'arrive pas trop à définir à quoi ressemblent les gens, entre des slaves et des turcs, c'est curieux et très cosmopolite, comme si c'était le point de rendez-vous des civilisations eurasiennes. Pendant le trajet, j'ai rencontré des étudiants à la fac de Budapest qui m'ont proposé de passer la nuit dans leur appartement, et c'est plutôt bordélique, comme des étudiants de n'importe où, et comble de la chance, ils avaient un étendage. Bref, ça s'annonce pas trop mal pour le moment. Je vais sûrement passer trois ou quatre jours ici avant de repartir.



    10 octobre


    A l'office du tourisme, j'ai trouvé une carte. Réservation d'un billet pour la Moldavie, le pays de rêve, allégorie du vide. Après on verra sur place mais l'imaginaire se perd déjà d'ennui dans ces paysages fades et déserts, peuplés de tribus éparses qui mangent des vieilles biques. Mais trêve de calembredaines. Chisinau (capitale de la Moldavie), n'est pas très loin de la mer Rouge, j'essaierai d'aller y faire un tour. Tu sais si c'est cette mer qui est trop salée? Ah, attends! C'est celle que Moïse a ouverte, non? Mouais... Encore un joli bobard... Toutes façons, même si il est arrivé à ouvrir la mer, le fond, c'est plein d'algues et de vase, il a pas pu traverser aussi facilement. Bref, la Hongrie, je ne sais pas trop encore, mais Budapest est très vivante. Les maisons sont très typées, décorées avec des poteries aux fenêtres, etc... Ils ne lésinent pas sur les couleurs. Les couleurs sales surtout. Les rideaux, par exemple sont toujours de couleur très vive mais la poussière ambiante se colle aux vitres et au final, cette ville ressemble à une nymphe de boue. On dirait qu'il n'y a pas cet engouement pour la propreté, comme si ils croyaient qu'on peut vivre sans entretenir et sans laver, les sots! blague à part, c'est très agréable. Les gens sont simples et sains (à part l'alcool local qui doit leur défoncer le pancréas). Quelques-uns cherchent vraiment un terrain d'entente et après quelques mises au point, on arrive presque à se parler, avec deux trois gestes, des mots d'allemand et d'anglais et des petits dessins... C'est pas encore de la rhétorique mais ça suffit pour se sentir proche. Heureusement, le voyage nourrit suffisamment l'esprit pour l'estomac parce que les mets locaux ne sont pas des plus fameux. On dirait du porc toujours trop cuit et sec avec une sauce au yaourt ou alors du chou mariné dans le vinaigre, je suis pas difficile, mais c'est quand même un peu spécial.



    Correspondance du 11 octobre


    Je suis toujours perdu dans les rues de Budapest... Pour ce qui est des églises, on a plutôt affaire à un joyeux pêle-mêle religieux. Il y a un peu tout ce que tu veux: les musulmans ont leurs mosquées, les catholiques leurs églises (je sais pas si c'est normal, mais on dirait un peu des maisons alsaciennes), et sûrement les juifs et les bouddhistes se débrouillent-ils pour trouver un lieu de culte aussi. Demain mes semelles s'useront dans les contreforts des Carpates, j'ai une correspondance à Baia Mare en Roumanie pendant douze heures avant de rejoindre Chisinau. Je sais pas si tu te souviens, c'est là qu'on "trouve" le Comte Dracula. Ah sinon, rectification importante, ce n'est pas la mer Rouge !!! La mer rouge c'est vers l'Arabie Saoudite et la Lybie, en Roumanie, c'est la mer Noire. Et si je dis en Roumanie, c'est parce que la Moldavie, n'a pas de frontière maritime! Je comprends rien à leur système de frontières sur les cartes, tout est tracé avec la même couleur. Malgré toutes sortes de différences culturelles, il y a un mot joker: "Cyber Coffee", enfin sauf si tu demandes à un type qui marche sur le côté de la route avec une casquette de berger qui gratte les yeux rien qu'à la voir... Pour le moment tout se passe bien, ce matin j'ai quitté mes hôtes estudiantins un peu à regret, c'est dommage, le loyer n'était vraiment pas cher pour la capitale (la PAF est de rigueur, ça va sans dire). J'avais quand même emporté quelques dossiers mais c'est un peu drôle de travailler des notions aussi abstraites dans un pays aussi concret, ou de l'idée que je m'en fais...



    Correspondance du 13 octobre


    Depuis la semaine dernière, j'ai pratiquement fait que du train et on va dire que ça suffit pour le moment. Je vais rester un peu à Chisinau, histoire de et j'essaierai d'aller à Odessa en stop, donc pas de nouvelles pendant un petit moment. Comme je te l'avais dit, l'escale à Baia Mare a été dédiée a la recherche du fameux château de Dracula, mais je dois m'y prendre vraiment comme un manche parce que c'était pas là du tout. C'est vers un village qui s'appelle (a peu près) Brem. Cela dit, je ne regrette vraiment pas le détour. Bon, je ne suis pas allé trop loin parce que j'étais tout seul, mais rien qu'en suivant la route, je suis arrive dans un bourg minuscule presque abandonné. Aussi propre et lisse que du plastique, c'etait tres etrange... Un village playmobil... Toutes les masures en bon etat donnant sur une rue(lle) deserte et rangée. Et en arrivant au point culminant, le village prenait fin pour s'ouvrir sur la montagne. C'est pas tres haut et pourtant il y a de très forts dénivelés. Au loin, on apercoit les pics un peu enneigés et limés par le vent qui semblent former une barrière infranchissable, nimbée de nuages épais. En baissant les yeux, on est ébloui par le vert des "collines" clairsemées de champs informes aux couleurs familières (sûrement parce qu'ils mangent les mêmes choses que nous, a la base). Depuis que j'ai quitté la Hongrie, il fait gris, presque maussade, si le ciel peut l'être... Au bout d'un quart d'heure, j'ai préféré rebrousser chemin a cause d'une vache qui n'avait pas l'air habituée à partager sa prairie. En revenant au bourg, un paysan est sorti de chez lui l'air curieux et s'est lancé dans une tirade qui a pris la clef des champs. Après qu'il ait compris que je ne comprenais pas, il a fait un signe on ne peut plus clair: "viens manger". Tant pis pour Dracula... Et alors là... Hier, j'ai appris le sens de deux mots: degueulasse et compromis... Peut etre que c'est la vache d'en haut qui se tape la salade parce que eux mangent de l'herbe, pas du pissenlit ou une variété d'herbe, l'herbe du parterre. Mais c'etait offert avec un sourire si sympathique. Après, sa femme apporte, on va dire, un ragout. De quoi, je ne sais pas vraiment, ils ont essayé de me faire le bruit de l'animal mais premièrement, a part la vache, il n'y a rien dans les champs, et deuxièmement, les espèces de beuglements qu'ils chantaient en cœur ne ressemblaient à rien de connu, mais en y repensant, c'etait à hurler de rire. Bref, revenons en à nos moutons, si seulement... Le ragout: des portions (trop) généreuses de cubes gélatineux qu'il faut gober, parce que les dents ne savent pas comment les mâcher, dans une sauce presque aussi épaisse que de la purée avec cet espèce de goût de vinaigre macéré dont je t'ai parlé, mais pire encore, relevé des accents du terroir local qui doit être bien place dans la production d'acide sulfurique. Le verre d'eau (étonnamment cristalline) salvateur libéra mes gencives des attaques de la nourriture et malgré tous mes efforts pour ne rien laisser paraitre, le vieux m'a tapé sur l'épaule avec un sourire amusé. Ca c'est pour le côté folklorique, mais le temps du repas, impossible de se parler, bonjour l'angoisse. Mais ça n'a pas eu l'air de les déranger. Enfin... Avec tout ca, je me suis mis en retard pour choper le train, alors au pas de course, j'ai rejoint le "centre ville" de Baia Mare, et autant dire que quand tu cours, si les habitants s'en foutent, la police s'éveille. "Pliz, canaille louque your passport, mister? Ouate you dou in Romania? Etc..." Et c'est peu dire que j'ai pris peur, parce que là-bas quand y en a un qui te questionne, l'autre te braque... Moralité, j'ai fait le reste du trajet en train debout à cause du "placement libre", qui signifie en fait "tout le monde peut acheter un billet et bonne chance pour vous asseoir"... Voilà, sinon tout est OK, l'hôtel que j'ai trouvé à Chisinau est à un prix dérisoire et en feuilletant un Lonely Planet dans un kiosque a journaux, j'ai trouvé un restaurant qui sert des trucs comestibles. Maintenant, c'est du sans filet jusqu'en Ukraine et quand je te dis qu'il commence à faire froid, c'est pas pour plaisanter. Je m'en sors encore avec un pull parce que je suis pas frileux, mais il va falloir que je trouve un magasin de blousons bien bien épais... A dans quelques jours, si tout se passe bien...



    Correspondance du 15 octobre


    Depuis la derniere fois que je t'ai écrit il y a eu du changements. La Moldavie c'est pas encore très bien au courant de l'euro, mais bon. D'ailleurs je sais meme pas si c'est dans l'Europe. Maintenant que j'y pense, on m'avait dit que c'était plutôt tendu pour se balader dans cette partie de l'Europe mais a part les nerveux en Roumanie personne m'a jamais rien demandé. Donc me voila parti avec une bonne liasse de billets de Monopoli à la decouverte de Chisinau, le 13 en fait. De loin ca ressemblerait à la vue que tu peux avoir de Miribel quand tu regardes du pont de l'autoroute mais en moins dense. C'est très arboré et saturé de bâtiments d'architecture cubique de la grandeur soviétique ou je ne sais quoi. Avec une statue tout les dix mètres qui représente un type fier et ombrageux qui a fait la gloire de la Moldavie à un moment donne. Il y a aussi beaucoup de statues et bustes rouillés de Staline et quand tu rentres dans la banque il y a un gros décor autour d'un emplacement vide. Adieu chère Russie... Quand je te disais qu'il y avait beaucoup d'arbres, c'est vrai partout et particulièrement dans le centre ville où ils se détachent tres bien sur les facades gris souris. En suivant les rues au hasard je suis tombé sur une église fascinante. Tu vois les toits du Kremlin ? Et ben pareil mais bleu vif. Elle était pas très grande mais pour la première fois j'ai eu l'impression que c'etait autre chose qu'un mensonge de cures. Posée au milieu d'un quartier presque vide avec des maisons plates elle semblait imposer la foi. En y regardant de plus près en plus des trois tours, elle avait aussi des petites tourettes en or que je n'avais pas vues sur le ciel gris lumineux. Pour rentrer il a fallu payer 20 leu a prononcer leh ce qui fait en gros un euro. C'est le coût de la désillusion. Leur églises sont très belles de l'extérieur mais dedans c'est pas fameux. C'est trés chargé en icônes avec le christ en deux dimension peint de couleurs fadasses. Peut-être parce que c'est de la vieille peinture, il n'empêche. Sinon il y a du monde par alternance et à certaines heures et dans l'ensemble on trouve un peu tout ce qu'on cherche. En prévision de l'Ukraine, j'ai acheté un blouson russe en cuir doux avec de la fourrure qui dépasse aux manches et au col, impossible à porter quand il fait plus de cinq degré mais j'ai vraiment bien fait, je te dirais plus tard. Remarque, toi tu liras tout à la suite. Je sais pas si c'est question de bonne tête ou quoi mais on dirait qu'ils aiment bien les francais. On a discuté avec le vendeur qui parlait aussi bien anglais que moi et la vache espagnole. Je regarde par la fenetre et je viens de me rendre compte d'un truc, quand j'étais dans la campagne ou par la fenêtre du train j'ai vu aucun pylone électrique... Enfin bref. Le vendeur m'a gentiment offert de belles moufles bien épaisses en peau. Au début tu es un peu réticent et puis ensuite tu comprends que si tu tiens à tes mains il n'y a pas d'autre solution. Bon je te passe les détails ensuite parce que je savais pas d'où j'étais arrivé, etc. et pour retrouver l'hôtel ça a été sympa, j'ai pu visité les vrais quartiers résidentiels, un peu quelconques d'ailleurs, comme partout. Si jusque là ça a plutôt été comme un grand weekend, hier j'ai décidé de partir pour Odessa par la route. Chaque fois que je t'écris j'ai appris un nouveau mot, cette fois c'est épique. Il aurait fallu presque autant de temps pour le raconter que pour faire le trajet tellement personne ne connait la joie de tomber en panne sur une autoroute en France. Toujours est-il que quelqu'un m'a pris dans sa voiture dès que j'ai montré la pancarte odessa qui par magie s'ecrit peut être de la même facon en cyrillique. Heureusement dans un sens parce que les matins sont frais en Moldavie. Et la une nouvelle de ces conversations mémorables, le gars me regarde et dit avec un ton interrogateur Odessa, je le regarde aussi et de toute la puissance de ma langue natale j'extirpe un da bien affirmatif. Et c'est tout. C'est tout. Pas un mot de plus pendant les deux premières heures. Voiture c'est pas vraiment le terme exact. En clair la voiture, c'était dehors. Et à la vitesse de la lumière nous avons rejoint la panne d'essence. Au bout de deux heures de trajet il me regarde et ce qu'il a dit, ca voulait surement dire là mon gars il va falloir pousser... Au final, il restait encore la moitié du chemin à faire soit environ 100 km a ce que j'ai compris. Alors on est sorti de sa voiture, il l'a mise sur le côté, j'ai ressorti ma pancarte Odessa et on s'est fait amener par une camionnette dans laquelle nos deux slaves s'en sont donné à cœur joie dans la lamentation. Tu m'étonnes. Le desarroi, c'est quelque chose qu'on comprend dans toutes les langues. Comme tu vois c'est vraiment une culture de l'entraide, ils te prennent pas en stop parce qu'ils s'ennuient, ils te prennent parce que tu en as besoin. Et c'est plutot agréable. Arrivés à Odessa dans la soirée on s'est dit au revoir et je sais pas trop ce qu'a fait le premier type. J'ai flemmardé dans mon lit toute la matinée. Voilà, des que j'aurai compris comment on reconnait les postes, je t'enverrai une carte.


    Correspondance du 18 octobre


    Après ces derniers jours, ca m'aurait fait plaisir de lire quelque chose de toi. Je commence vraiment à ressentir la distance et l'isolement. Voila deux jours que je n'ai parlé à personne. Odessa est pleine d'une agitation glaciale autour des bateaux de fret qui s'entassent sur le port. C'est insalubre et morose. Toute la vie de cette ville m'inspire le dégoût. Jusque là l'aspect negligé était plutôt significatif de bonne humeur mais cette architecture de la saleté me fait frémir. Peut-être est-ce la sensibilité exacerbée par deux nuits trop courtes, réveillé par un souffle d'air froid qui traverse les couvertures: je ne suis pas adapté! On peut voir l'exploitation des pauvres hères dans les yeux des capitaines emmitouflés dans des tuniques épaisses et hurlant des ordres au matelots frigorifiés qui semblent ne rien dire ne rien ressentir et ne rien penser. Et tout ça à une vitesse démentielle. Les bateaux se cèdent la place et se frôlent presque dans leurs manœuvres. Dans la banlieue, j'en viens à regretter la réclame des grands magasins. Ici, on ne voit aucune lumière, les rues ne sont pas non plus éclairées. Rien que la lumiere du jour qui filtre à travers le brouillard permanent. En fait, c'est même sinistre. Dans la rue les gens font triste mine et se pressent toujours d'entrer quelque part parce qu'on ne peut pas faire autrement. Alors en désespoir de cause, je me suis retrouvé dans un bar de quartier. A l'intérieur, tout le monde chantait et buvait à grandes rasades. Le russe commence à rentrer doucement mais pour ce qui est de lire ou parler, ça s'arrête à vodka et aux dix premiers chiffres, alors voilà un verre devant moi. Avec précaution, je renifle un peu et mouille la lèvre supérieure. C'est très très très fort. Je me demande si ca fait pas fondre les sucs gastriques. En tout cas mon organisme a été libéré de tous les virus qui avaient survécus au froid. Mais ça a pas servi à grand chose. Ca doit être qu'un mauvais cap à passer quand on s'en va plus d'une semaine dans un pays qu'on ne connait pas.



    Correspondance du 21 octobre


    Rien n'est vraiment futile mais tellement présent qu'un souffle est une tornade quand rien d'autre n'attire ton attention ou ta douleur, on ne peut pas passer sa vie à relativiser (ça marche aussi pour le bonheur), c'est simplement humain. En ce qui concerne le projet de se baigner, est-il besoin de préciser que quatre degrés n'invitent qu'assez peu au bain... Une tentative de contact avec la Mer Noire a frustré d'emblée mes velléités aquatiques. Depuis la dernière fois, j'ai fait à peu près 400 km jusqu'à Kiev par le bus, en passant par beaucoup de petits villages figés dans le treizième siècle. C'est vrai que la capitale n'a rien à envier aux grandes métropoles de l'Ouest mais ce qui pour nous serait la province, est ici un anachronisme. Plus on s'éloigne des villes importantes, plus l'on se rapproche du moyen-âge, si bien qu'à mi-chemin entre Odessa et Kiev, on rencontre parfois des villages sans nom dont les habitants s'affairent dans des champs presque gelés à toutes heures du jour. Certains ont le visage si usé qu'on les croirait inuits, attaqués par le blizzard et les gerçures, les yeux plissés pour éviter la cécité. Mais dans ces trois jours de silence, je crois avoir compris ce que je voulais comprendre: je ne peux pas comprendre. Eux ont grandi comme ça et acceptent pour évidente cette vie difficile, oubliés du reste du monde, et je n'ai pas ma place ici. Le voyage ne doit pas être une observation, il doit être une immersion. Si l'on veut comprendre et apprendre de ses périples, il faut s'intégrer à eux sans considérer ce qu'ils peuvent nous apporter, mais ce que nous pouvons faire ensemble. Ou bien partir au Club Med ou aux USA... Et en fait peut-être que chaque rencontre est un voyage, ici ou ailleurs, qui permet juste de savoir ce que l'on peut faire ensemble, parce que dans nos vies sans but, rien n'est pire que la solitude. Mais bête comme je suis, il aura fallu venir ici pour le comprendre. Je vais rentrer.



    Correspondance du 24 octobre


    La dernière fois, j'étais vraiment secoué et dans ces cas- là, j'ai tendance à faire des phrases mélodramatiques et un peu niaises. Mais en tout cas, je suis quand même sur le retour. Et c'est étrange comme le fait de savoir que tu reviens peut transformer ce que tu vois. Tu les vois avec plus de simplicité, plutôt que comme une vie potentielle inadéquate. Les choses paraissent au lieu d'avoir un sens propre, elles ne dévoilent que ce que tu voudrais leur faire dire, et c'est peut-être un peu ça que "les riches" viennent chercher, une simple stimulation, rien d'autre que le contre-exemple de leur vanité. Peut-être qu'on se verra sur Paris bientôt, ou plus tard, plus loin. En attendant, prend soin de toi et des autres. Gros bisoux.



    Epilogue


    Ca fait deux heures que j'essaie de récupérer mes bagages dans la cohue de ces pleurnichards, dont je ne fais que trop partie, et j'en ai déjà marre. Des pointages, des embouteillages, des émissions qui colmatent les paupières avec du miel et de tous ces hypocrites qui vont me dire "alors, sacré veinard, il était comment ce voyage ?" pendant les quarante-sept semaines de boulot qui restent jusqu'au prochain parce que mon boss qui ne perd pas le nord a pris ça sur mes congés! Marre de la grande consommation et des débats philosophiques pendant que la guerre tue des milliers d'enfants en enrichissant des types qui affichent chaque nouveau menton comme une légion d'honneur, de tous ces paumés qui chipotent sur une couleur de tapisserie parce qu'ils ne savent pas à quoi se raccrocher, des flics qui vont m'arrêter parce que ma voiture à un clignotant trop arythmique et de tous ces députés qui calibrent les bananes, marre de retrouver ma belle-soeur pour qu'on s'engueule encore sur la profondeur de la palette chromatique de tel ou tel connard qui savait plus ou moins peindre et de tourner en rond sur mon plan de carrière en cinq ans, trois mouvements, sept courbettes et quatre mille neuf cents heures à rédiger des dossiers sur l'efficacité du nouveau prototype AE-78 avec adoucissant dans la combustion interne des capots de plastiques thermomodulables qui protègent la cuvette des bidets! Marre de toute cette merde qui m'embourbe l'esprit depuis vingt-deux ans. En fait, j'ai l'impression d'avoir vu avec des yeux fermés, d'avoir fait prendre l'air à mes stéréotypes. C'est seulement depuis que je suis revenu que je sais n'avoir rien compris. Un train repart dans cinquante minutes. Je serai dedans.


    PS: cette lettre fut, à l'époque de son écriture, un canular à Célia Payen, à qui une routine désespérante m'empêchait de raconter quelque chose d'intéressant.

    Pour ceux qui voudrait lire un peu plus loin que l'évidence, cette nouvelle est aussi une délicate diatribe sur la facilité et l'indépassabilité du modèle. Vous avez sûrement trouvé ça prenant mais le fait est que c'est un monumental cliché qui fait passer sa grossierté pour de la finesse à grand renforts de phrases bucoliques, oniriques et naïves. Ca ne chamboule pas trop l'idée éculée du carnet de voyage 1900'. C'est la lettre type de n'importe quel voyageur racontant un voyage fait d'images d'Epinal. Et ouais!


    PPS: Bon d'accord, c'est aussi plein de trucs sympas qu'on critique a posteriori juste pour avoir l'air cynique, se donner un genre... mais je suis pas cynique, ceux qui lisent que je suis cynique, c'est eux les cyniques parce que c'est celui qui lit qui y est! Na! C'est comme dire que les académiciens sont cyniques parce qu'il y a « sycophante » et « forfanterie » dans leur dico. Non!?


    PPPS: Et puis de toutes façons j'ai l'impression que personne ne comprend là où je veux en venir. La plupart du temps, les gens me parlent de la couleur de la tartine sans avoir croquer dans le pain. J'ai deux hypothèses, non trois: un, c'est que j'écris mal... non, quatre hypothèses, un c'est que j'écris de manière trop approximative. Deux, c'est que j'écris bien mais que l'écriture en elle même est un moyen d'expression très imparfait quand on veut montrer sans imposer son doigt, trois, c'est que la plupart des gens sont des demeurés qui comprennent la vie avec des gros cubes de 1 mètre sur 1 mètre sur 1 mètre, et quatre, celle qui semble le plus plausible, c'est que tout le monde au fond s'en fout (moi y compris) parce que tout ça c'est bien beau, mais ça fait pas pousser les cacahuètes et gagner les matchs de foot...


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    Robert,

    Le Nichon d'Amazone


    Pendant près de quatorze ans, mon frère et moi avons grandi en paix dans la caresse d'une brise de chevauchée, pointant un nez curieux sur les vastes prairies qui s'offraient à nous. C'est peut-être le meilleur des apprentissages que de grandir avec son alter ego parce qu'on peut voir ses défauts ou être ensemble pour y croire. En tout cas, nous imitant l'un l'autre, nous arborions tous deux une silouhette magnifique, et dieu sait qu'à cet âge, l'apparence est importante...


    Mais alors que, prenant confiance, nous avons osé sortir, nous montrer un peu plus, les choses ont commencé à changer. Moi seul pouvait flirter avec le vent tandis que lui recevait les châtiments d'erreurs incompréhensibles. Peut-être étions nous trop identiques pour le sort. Trop inséparables et trop forts ensemble pour apprendre de la vie. Sans cesse harcelé par le lacet cinglant d'une mère injuste, il se mit à dépérir.

    Dès lors, je compris que la compassion ne servait jamais qu'à ceux qui l'imposent, et perdu dans la futilité d'être déjà un autre, je l'ai regardé disparaître sans pouvoir l'aider.


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