• Vert

    I, 1


    ... dans le royaume de Sylphe, vivait un vieil homme. Les peuples s'entredéchiraient pour le pouvoir détruisant tout sur leur passage. Rien ne semblait plus important à leur yeux qu'installer leur suprématie totale sur la totalité du monde en consumant chaque jour un peu d'espoir et un peu de leur avenir. Le vieil homme avait tenté toute sa vie de tempérer cette folie, de barrer la route à ces batailles sanglantes et dévastatrices. Pourtant bien peu de ce qu'il avait pu faire n'avait calmé les ambitions... A bout de force, il s'était un jour réfugié dans un souterrain secret duquel il assistait impuissant à l'agonie des Hommes. Elle emportait tout sur son passage, réduisant le plus pur des courages à la fuite, simplement pour survivre une seconde de plus, ne pas affronter cette horde démente.

    Mais le vieil homme ne perdit jamais espoir... Il pensait que sans le sentiment de malheur, l'humanité ne chercherait plus à se rassasier de l'extermination de la vie. Sans malheur, il n'y aurait plus aucune cause à défendre jusqu'au sang ni de bouc-émissaires qui payent de leur existence l'impuissance de chacun à se regarder en face. Un peu sorcier, il voulait soustraire tout le mal que conservait l'esprit pour qu'il ne puisse plus le concevoir, jamais.

    Au crépuscule de sa vie, alors qu'il finissait l'élaboration de l'élixir d'équilibre, il fut trahi. Il avait peut-être trop ouvert son coeur pour ne pas en être affaibli. Peut-être se l'était-il caché durant toutes ces années, mais le mal l'avait détruit de l'intérieur, il avait transporté avec lui ce fléau et son coeur s'arrêta.

    Dans un dernier souffle, il réussit tout de même à verser le dernier composant dans la fiole, mais son corps s'affala, renversant le contenu de la fiole sur le parchemin retraçant ses expérimentations.

    Avec avidité, la peau tannée se mit à boire l'élixir jusqu'à la dernière goutte.


    2


    Les années passèrent et la civilisation élargit le champ de bataille. Le dédale des destructions, des constructions envahit totalement la colline sous laquelle le vieil homme avait péri.

    Dans un souci de stratégie, le souverain d'alors décida de faire de cette hauteur le promontoire de ses vigies et délégua la tâche fastidieuse d'étudier les sols à son meilleur et seul architecte.

    Consciencieux, l'architecte avait parcouru les hectares pentus de la colline en long, large et travers durant des jours afin de choisir le sol le plus stable, le plus élevé et le moins accessible, pensant également à la défense du poste avancé pour la survie des gardes qui y seraient en faction. Et tandis qu'il inspectait les propriétés de la roche quelque part au sud, il découvrit une sorte de galerie à moitié effondrée qui s'enfonçait dans les ténèbres. Si la colline s'avérait être un gruyère, il serait plus sûr de chercher une autre place pour la vigie.

    Le souverain était trop occupé avec ses maîtresses pour lui accorder ne serait-ce que son attention, il décida donc de s'y aventurer seul. Enfant sans bougie, il ne craignait pas la nuit, il pallia sa progression de pauses pour accoûtumer ses yeux à l'obscurité croissante et ne s'arrêta que lorsque l'entrée ne fut plus qu'une étoile mourante derrière lui.


    Devant lui, la lumière infusait maintenant à travers la voûte d'une caverne recouverte de mousse et de poussière. Un rayon plus clair semblait fondre sur une silhouette immobile, comme endormie, les mains posées sur un bureau. Il appela mais personne ne sembla répondre, alors il avança jusqu'au bureau d'un pas prudent.

    La silouhette n'était rien d'autre que le corps inerte d'un homme, dans cette position depuis un temps indeterminable. L'expression de son visage était une énigme, comme s'il avait voulu dire quelque chose au plus vite mais avait été coupé par la mort. L'architecte en fut si troublé qu'il secoua le corps du vieil homme pour vérifier s'il était bel et bien mort et une fois convaincu que plus rien ne pourrait le tirer de son repos, il entreprit de fouiller la caverne.

    Des fioles s'entassaient ça et là, ainsi que des vieux grimoires qui tombaient en poussière sitôt qu'il les saisit. L'atmosphère devint irrespirable quelques instants et il dut se retirer un peu dans la galerie.

    Quand la poussière fut retombée, il se rendit à nouveau près du vieil homme et l'observa plus attentivement. Sa main dessèchée pointait quelque chose et alors qu'il regardait dans la direction indiquée, une voix éraillée, essouflée sembla sortir du corps inerte. Un peu effrayé mais déterminé à garder son calme, l'architecte se saisit de ce que le vieil homme pointait. Il s'agissait d'un parchemin encore souple... Après l'avoir dépoussiéré, l'architecte tenta de lire ce qui y était écrit mais sans succès, les signes devaient appartenir à une langue ancienne ou à un dialecte particulier. Mais quand il voulut reposer le parchemin, l'architecte se rendit compte que celui-ci était collé à sa peau. Il tenta de le détacher mais quand il tira un coup sec pour le retirer, c'est sa propre peau qui se décolla. Le temps de réfléchir et le parchemin avait intégré l'avant-bras de l'architecte, s'était substitué à sa peau.

    Une désagréable moiteur se répandit en lui, il se sentit tout à coup malade, sale, usé. Une vague de violence le submergea et il se jeta sur le crâne du vieil homme et le brisa sur le bureau. Quand il recouvra ses esprits, une force étrange avait pris possession de son âme. Quelque chose avait détruit ses craintes, ses douleurs, il n'y avait plus en lui qu'un bonheur diffus et naïf. Il se mit alors à sourire, fort comme il ne l'aurait jamais été.


    De conseils en audaces, il parvint à se hisser aux côtés du souverain qui perdait sa semence dans trop de courtisanes. A l'heure de sa mort, il n'y eut pas de digne descendance pour occuper le trône. L'architecte étant considéré comme le plus brillant des conseillers fut désigné comme successeur de la couronne...



    3


    Son règne fut celui de la paix. Pas une paix par les armes, une paix juste. Chaque jour, le nouveau souverain parcourait ses terres pour user de son aura et calmer les dissensions au sein de son royaume. En vingt années seulement, il réussit à signer des accords de paix avec tous les royaumes alentours et rétablit l'équilibre au sein de son peuple. Bien sûr les querelles continuèrent leur bonhomme de chemin, mais jamais plus jusqu'à l'offense et chacun trouva peu à peu sa place sans convoiter celle du voisin.

    La cour devint inutile et seuls quelques conseillers restèrent proches de l'architecte pour l'aider dans les décisions les plus délicates.


    4


    Tout allait bien, pourtant, l'architecte changeait.

    La force du parchemin n'était plus aussi puissante. Elle accomplissait les négociations, les applications et guidait le souverain sur la voie de la justice, mais parfois, la force s'effaçait, disparaissait et l'architecte reprenait le contrôle de son esprit. Bien sûr, l'équilibre du royaume importait plus que la propre santé du roi et il mit de côté ses troubles. Pourtant, il dut se rendre à l'évidence, la force était incomplète. Quand il relisait sa mémoire, il ne découvrait qu'une puissance imbécile, incohérente, rien qui ne soit pas aussi limpide qu'un songe.

    Peu à peu, l'architecte se perdit dans l'explication de ce qu'il était, de ce qu'il avait fait, mais n'y trouvait qu'une gloire inutile, saccadée. Il passait de longues heures dans ses appartements et se mettait parfois à hurler comme un dément des phrases incompréhensibles.

    Les conseillers s'occupèrent de perpétuer l'équilibre, mais un beau jour, la force le quitta définitivement et il devint fou...

    Les effets furent immédiats, l'équilibre en fut perturbé, la nature humaine refaisait peu à peu surface. Dans un dernier instant de lucidité, l'architecte scella le destin du royaume à celui de sa fille, Alaëlle.


    5


    Alaëlle avait passé ses premières années dans un pays pacifié, agréable et généreux, aussi était-elle vive et souriante. Son père s'était occupé d'elle du mieux que lui avait permis sa fonction et sa mère, venant d'un milieu modeste, lui avait donné la simplicité et l'amour qui donnent une vraie noblesse.

    Quand l'architecte était mort, elle avait hérité du royaume sans trop comprendre ce que celà impliquait et avait continué encore dans l'insouciance. Les conseillers qui assuraient la régence s'évertuaient à éduquer la fillette à ses rôles et devoirs mais à la moindre occasion, elle s'enfuyait du château pour vagabonder dans ses alentours à la découverte des trésors cachés et des habitants.


    6


    La princesse devint une demoiselle d'une beauté incomparable alliant la robustesse de ses origines à l'élégance de son éducation. Le port altier et le regard épanoui et de longs cheveux roux qui coulaient le long de ses épaules. D'ailleurs, les jeunes paysans du pays ne s'y étaient pas trompés, quand ses pulsions l'avaient éveillée au corps, elle se grimait pour sortir discrètement et profitait de ses amants jaloux dans la paille.


    Mais une fois en âge de se marier, Alaëlle devint le lot d'un immense tournoi d'adresse en tous genres et les conseillers lui trouvèrent un mari.

    Un premier mari.


    7


    Le jour de son mariage coïncidait avec celui de son anniversaire, aussi une fête mémorable avait-elle été organisée. Le prince, cadet d'un royaume voisin, avait l'air aussi peu disposé qu'elle à assumer son rôle et les deux promis devinrent très vite d'amoureux complices.

    Ils jouaient comme deux chats, courant à travers le château au grand dam du conseil qui veillissait et attendait de pouvoir rétablir la lignée de l'architecte sur le trône.


    Dès leur premier baiser, quelque chose se passa... le nouveau roi de Sylphe changea. Ce regard qu'elle prenait pour de la joie dans les yeux de ses anciens amants, Alaëlle venait de la retrouver dans les yeux du nouveau roi, finalement règner serait aussi doux qu'une caresse...

    Lorsqu'il prit conscience de la vitalité de son peuple, le nouveau roi espéra rallier les royaumes alentours sous la bannière sylphide et porter la paix sur sa route. Les conseillers le raisonnèrent en attendant de trouver avec lui un terrain d'entente, mais il devint incontrôlable.

    Allaëlle était trop jeune pour s'en souvenir exactement, mais elle avait de plus en plus l'impression que quelque chose de familier était en train de se produire. L'équilibre fut de nouveau rétabli, quelques temps... et de nouveau, le roi s'isola, des heures, hurlant à la mort contre tout ce que le château comptait de vivant. Rien ne pouvait le décider à s'interrompre sinon l'épuisement.


    N'y tenant plus, la reine s'interposa un jour entre son époux et une servante terrorisée. Mais le roi savait qu'il était juste. Il écarta la servante d'un revers de main avant de fondre sur Alaëlle pour l'en convaincre.


    8


    Après une longue délibération à laquelle Alaëlle et quelques dignitaires du royaume furent conviés, le conseil interna le roi. On choisit un nouveau prétendant mais jour après jour, il avait sombré lui aussi dans cette folie qui avait emporté l'architecte et son successeur.


    9


    Après cinq années de règne et cinq princes délirant dans les geôles capitonnées réservées aux fous de grandes lignées, Alaëlle ne put que constater qu'elle n'amènerait rien de bon. Elle était le seul facteur commun entre tous ces hommes qui avaient perdu la raison. C'est à cause d'elle que le royaume ne pouvait connaître un souverain durable. Le conseil essayait de lui apporter son soutien, mais elle resta seule de plus en plus longtemps, refusant de briser la vie de ses époux en même temps que celle du pays.

    Et puis un beau jour, plus rien ne put la rassurer, elle monta dans la plus haute tour du château. Quelques larmes coulèrent le long de ses joues, la malédiction ne la quitterait jamais...

    Elle regardait au loin, les yeux dans le vide.

    Et c'est ainsi que la reine de Sylphe, fille de l'architecte, sauta dans le vide.


    Alaëlle sentait la chute la libérer de son destin et en fut soulagée, mais une aura bleutée se dessina autour d'elle, une énorme sphère bleue. A mi-hauteur, elle se mit à vibrer et une fois au contact du sol, la sphère absorba l'énergie du choc en lançant de petits éclairs bleus d'une intensité aveuglante. Dans un réflexe étrange Alaëlle s'était cachée le visage et ne rouvrit les yeux que pour s'apercevoir avec affliction qu'elle était toujours en vie.



    II, 1


    En lisant les étoiles la nuit précédente, il avait su que le froid s'abattrait sur sa vallée, mais un frisson parcourait sa peau depuis le milieu de la nuit et son sommeil était nerveux.

    Le carillon d'un clocher résonna sur les parois de la montagne, imposant à la vallée un rythme artificiel. Ce bruit était devenu familier pourtant, il était toujours aussi gênant. Le son du métal. L'homme se leva d'un bond...

    D'une main ferme, il effleura la pierre pour savoir si elle supporterait son poids et il se dressa alors de toute sa hauteur pour faire le guet.


    Cette nuit, comme les autres, il l'avait passée pelotonné sur lui-même à la chaleur du sol, recouvert d'une peau épaisse. Voilà plusieurs lunes que sa mère avait cessé de l'allaiter et ses instincts de chasseur s'éveillaient toujours avant lui. Il avait ouvert les yeux, prêt à la chasse.

    Un aigle tournait en cercles concentriques à quelques kilomètres. L'homme émit un cri strident auquel l'aigle sembla répondre naturellement. Sa proie n'était pas seule...

    Il resta un instant debout pour puiser la force du matin dans le sol de la montagne et se mit en route guidé par la lumière et le timbre de la terre qu'il avait aperçu de son promontoire.

    En une heure à peine, il se trouva sur les lieux. Campé dans les branches d'un chêne, il scrutait le sol enfeuillé dont émanait une discrète odeur de décomposition qui masquait sa présence. Les feuilles sèches de l'automne étaient aussi un sol bruyant qui prévenait de tout déplacement d'une future proie.

    Un souffle d'air glacé lui glaça l'échine et son oreille se fit plus alerte : un animal bien plus imposant que prévu faisait vrombir la terre humide d'un martèlement sourd.


    2


    Au rythme peu appliqué de l'allure, il reconnut un ours mâle et malgré son immobilité, il crispa sa posture avec précaution devenant presque aussi immobile que les branches qui l'entouraient, un ours n'était pas une proie potentielle, c'était un danger. Il put observer l'ours avant d'être repéré.

    En plus de sa taille gigantesque, le géant était dévisagé par une profonde déchirure, ce qui ajoutait encore à son air féroce. Cette plaie purulente le faisait souffrir, entre deux grognements il tentait de l'atteindre avec sa langue sans y parvenir et s'escrimait à en devenir fou. Il commença à se frotter à chacun des arbres avec frénésie et le seul soulagement qu'il trouva fut de s'entailler d'avantage. Il allait de plus en plus vite entre les arbres et les percutait avec une violence inouïe. Quelques-uns des plus fragiles en furent même déracinés.

    Dans sa colère, il avait prêté bien peu d'attention à ce qui l'entourait et le camouflage de l'homme lui permit de rester invisible, jusqu'à ce que le monstre fonce tête en avant sur le chêne qui servait d'observatoire. La rosée avait rendu le lichen glissant et le choc ne tarda pas à faire tomber l'homme avec un bruit mat.

    Il écrasa son arrière-train sur le crâne de la bête qui l'envoya dinguer quelques mètres plus loin. Malgré sa corpulence, l'ours perdit ses esprits et l'homme eut juste le temps de s'accroupir... Son dos endolori le prévenait de faire attention mais il n'y avait aucune alternative, il posa ses mains au sol et toisa l'ours dans les yeux. L'ours furieux secouait sa tête dans tous les sens et cherchait ce fruit qui l'avait assommé.

    Il l'avait vu et s'apprêtait à charger mais l'homme se mit à gronder.

    L'ours s'arrêta, surpris un instant, mais se reprit aussitôt et se redressa, les pattes écartées pour montrer sa force à ce petit animal.

    L'homme gronda plus fort, plus menaçant. Ses canines supérieures commençaient à s'allonger, à sortir de sa bouche, son souffle se faisait plus grinçant.

    L'ours ne sut que faire et puis de cet instant d'hésitation, l'homme profita pour s'enfuir en courant.


    3


    L'homme passa les jours qui suivirent embrumé dans les vapeurs de décoctions qu'il appliquait sur ses plaies. L'esprit confus, il avait vacillé jusqu'à son repaire pour se soigner et se reposer. Après quelques proies faciles, il s'était écroulé de fatigue et de peur. L'ours avait bien failli le frapper et seul son instinct lui avait sauvé la vie.


    Quand il fut rétabli, il reprit le cours de ses chasses, mais le givre se répandait peu à peu dans la forêt, formant des prisons meurtrières pour les végétaux. Il serait bientôt temps de suivre l'hiver. Les réserves de bois venaient à s'épuiser, les proies se faisaient de plus en plus rares, l'homme ne pourrait pas resister longtemps. La dernière bûche était trop humide pour se consummer normalement et crépitait en produisant une fumée dense et toxique. Il sut que l'heure était venue.

    Il sortit sans hâte de sa grotte, nu, les pieds dans la neige. Agenouillé au sol, l'homme dégagea un espace vierge et s'y assit en tailleur, les doigts de pied enfoncés dans la terre. Les battements de son coeur ralentissaient peu à peu, devenant plus profonds, plus intenses. La vie de la forêt sembla s'interrompre un instant infime. Son pouls puissant assaillit ses tympans et martela sa conscience d'un effet hypnotique. Quand il ne fut plus que les pulsations de son système sanguin, il fit sourdre en lui une profonde monodie, une vibration qui une fois à sa juste fréquence trouva écho avec le son de la flore. Alors son corps entra en symbiose végétale... Ses doigts de pieds s'enfoncèrent plus profondément encore dans le sol et ses ongles s'allongèrent à la recherche de la nappe phréatique. A mesure que son système radiculaire faisait remonter l'eau du sous-sol, ses muscles se serraient devenant des fibres ligneuses. Son individualité se dissipait dans la métamorphose, les bras tendu à tout rompre, il intégra la pluralité de la forêt. Ses branches se durcirent jusqu'au bout des doigts et ses cheveux roussirent. La peau sèche épousait avec précision les aspérités ligneuses de son tronc et se raffermit pour conserver plus le plus de vie possible. Un dernier souffle balaya ses cheveux et l'hiver le plongea dans un sommeil de souche.



    III

    1


    Personne n'avait été mis au courant de cet épisode, et tout continua comme si de rien n'était.

    Au château, Alaëlle prenait un malin plaisir à fuir la cour pour se promener n'importe où. Elle rangeait ses boucles rousses sous la capuche d'une bure et sortait dans les rues bruyantes de la cité. Les denrées odorantes qui croupissaient sur les étalages, les commerçants au langage cru, la boue qui remontait jusqu'à mi-cuissarde, tout l'amusait encore parce qu'elle palpait la vie des gens, parce que les sourires étaient d'autant plus francs que les dents étaient cariées. Elle se délectait des coulées de jus sur ses joues qu'elle essuyait d'un franc revers de manche parce que c'est fait pour ça, même si son destin lui pesait.


    La fête battait son plein à grand renfort de cris et de hurlements. Les cris de liesse que poussaient les villageois ivres des festivités et les hurlements sinistres des animaux égorgés à même la cohue par quelques apprentis bourreaux. Les enfants s'amusaient beaucoup et l'on pouvait lire dans leurs yeux le bonheur de pouvoir jeter ce qu'ils voulaient contre un des mécréants, harnachés au pilori, qui avaient troublé l'ordre public. Celui-là était sûrement de ceux qui préféraient le vol au labeur et pour cette jeunesse enflammée, il était de la lie des Hommes. Ils avaient même une préférence pour les cailloux qui provoquaient immédiatement une giclée de sang, preuve visible et indiscutable de leur réussite.

    La terre mêlée au sang coagulé collait aux semelles de cuir et l'air aviné collait à la peau avec acharnement. Finalement, l'enceinte du château se teintait d'une couleur brunâtre assez homogène sur le fond gris des murs de pierres. L'attraction isolée était un trouvère vêtu de couleurs vives qui s'évertuait à échapper aux salissures, raillé par une horde de gars bourrus et bourrés qui lui lançaient au corps des boules de boue et autres glaviots.

    Par hasard et persévérance, un des soûlards l'atteignit à la tête, ce qui le plongea dans une rage efféminée des plus comiques pour ses agresseurs. Après avoir gargarisé leur satisfaction, ils s'empressèrent de passer leur proie à tabac et, une fois le bouffon suffisamment récompensé à la manière des braves, ils retournèrent vers les tonnelets...


    - ô ! Comble de guigne ! Suis-je à ce point honni que les œuvres me boudent?

    Les gueux me désobligent et souillent mes parures

    Servir notre bon roi était d'une autre allure

    Et tant de nourriture sans trop jouer des coudes...


    Les paysans labourent et s'entraident

    Contre denrées l'apothicaire offre remèdes

    Mais les louanges en vers sombrent dans l'inutile

    Et je reçois la pluie en convoitant les tuiles


    Dans cette vulgaire entente, le nécessaire est saint

    Le superflu banni, confiné au chagrin

    Encore un jour de jeûne et l'esprit oubliera

    Qu'il est plus que le corps et perdra tous ses droits


    Peut-être pourrais-je par votre bonté

    Survivre encore un peu dans quelque dignité

    Avant de mettre voile le cœur déchiré

    Vers un autre rivage, si loin de ma contrée...


    Les badauds encore présents au début s'étaient lassés de son charabia et l'avaient laissé réciter seul. Mais une jeune paysanne était restée pensive à l'écoute, semblait-il, de sa complainte.

    Il s'était presque troublé quand elle avait posé les yeux sur lui. Sa peau paraissait étrangement fine pour le travail dans les champs et son sourire trop délicat pour les échanges grossiers.

    Paraissant sortir d'un songe tourmenté, elle donna au trouvère deux pièces du métal en vigueur et partit précipitamment.


    2


    De retour au château par un couloir secret, la journée d'Alaëlle était accaparée par les dames et servantes, entre ragots et coiffures dont elle ne se souciait guère. Quand elle était reine, il fallait qu'elle s'y soumette en souriant intelligemment avant de donner un avis, mais entre-temps, rien ne l'ennuyait d'avantage.


    - Aujourd'hui, j'aimerais que vous me laissiez un peu, Mesdames, je souhaiterais me recueillir dans les jardins de roses.

    - Mais Madame, c'est le soir de vos noces et votre robe n'est pas terminée.

    - Celle-ci est trop lourde, elle dénude mes épaules et vous conviendrez que mon rang n'autorise aucune indécence. Pourquoi ne puis-je pas remettre celle du précédent mariage ? Elle était plus légère et autrement plus souple.

    - Majesté, c'est Fénol de Gazderal en personne qui est venu l'apporter, elle appartient à sa mère qui souhaitait vous voir assortie à ses propres couleurs lors du festin de ce soir. Nous ajouterons deux pièces d'étoffe au niveau des épaules, mais je crains que ce soit tout ce que nous puissions faire pour votre pudeur, Majesté.

    - Ma pudeur ? Elle souffre plutôt de ces mariages incessants qui ne servent qu'à faire illusion ...

    - Mais...Madame, le peuple vous aime et vous respecte.

    - Pour le peuple, le vrai roi, c'était mon père, et ce Fénol, comme ceux d'avant n'y changera rien. Si nous sommes encore à la cour, c'est justement parce que les paysans ont encore du respect pour son souvenir et nous apportent de quoi donner le change aux autres royaumes, mais s'il s'avisait de vouloir gouverner... Je sais que nos conseillers ont été des plus adroits pour les convaincre de ne rien changer, mais si celui-ci était plus têtu que les autres, s'il découvrait qu'il ne sert à rien, qu'il ne peut que devenir fou...

    - Il est tard, Madame, vos invités vont arriver et vous ne serez pas prête.

    - Si je ne suis pas prête à sortir, je suis au moins prête à nuire.

    • Séchez vos larmes Mademoiselle, après tout peut-être celui-ci gardera-t-il sa raison...


    3


    Le soir venu, elle dût se rendre dans la grande salle du château pour y rencontrer Fénol. Dans la robe la plus lourde qu'elle ait porté, elle adopta l'allure solennelle requise par la circonstance, lançant d'aimables sourires aux invités qui se courbaient avec dévotion en pensant à autre chose.

    Un très jeune homme vint à sa rencontre, les traits durcis par des baumes colorés. Ses cheveux plaqués à grand renfort de graisse de porc supportaient mal la chaleur ambiante et quelques gouttes commençaient à perler aux pointes de ses mèches. Alors qu'il tendait son bras pour tenter un baisemain, une de ses bagues agrippa une maille de son collant, entraînant son genou au sol avec élégance.

    Un peu décontenancée, Alaëlle détourna le regard tandis que Fénol se relevait avec un mouvement de cape pour masquer le trou béant de son vêtement.


    Se pliant aux usages, elle écouta les exploits de son fiancé. Heureusement, ses doigts purent s'occuper avec les fils de sa robe, cachés sous les manches amples. Mais en peu de temps, elle s'ennuya de nouveau.

    Avec la plus polie des discrétions, elle baissa la tête pour regarder le sol, retroussa ses bras à l'intérieur des manches et glissa lentement jusqu'à être accroupie à l'intérieur des anneaux de sa crinoline. La robe était si épaisse qu'elle tint toute seule et Fénol qui regardait davantage les dessins de la poitrine de sa fiancée ne s'aperçut pas que son visage avait disparu.

    A moitié nue, elle se faufila sous une table et rejoignit les couloirs désertés menant à sa chambre.


    4


    Dans la salle de réception, le subterfuge ne tint pas longtemps, à peine eut elle quitté la pièce que les tissus s'affalèrent sur eux-mêmes.

    - Sorcellerie ! s'écria le prince, coupant sa phrase entre "moi" et "je".


    Il hurla si fort, qu'Alaëlle se cru démasquée et se colla contre le mur entre deux tapisseries mais le contact glacial de la pierre sur ses fesses lui fit pousser un sifflement de surprise qu'un garde entendit.

    A peine le temps de courir à sa chambre, elle se dépêcha d'enfiler quelques vêtements et d'ébouriffer ses cheveux pour avoir l'air d'être victime des événements et au premier qui ouvrit la porte elle jeta son air le plus idiot...


    5


    Sitôt informé, le prince accourut, évinçant de la pièce tous les invités qui se mirent à jaser sur tout ce qui supporte une rumeur, c'est à dire tout.




    6


    Une fois seule avec le prince du Gazdéral, la jeune fille se mit à pouffer. Le prince prit alors un air de parade et fixa les plis que faisaient la fine tunique d'Alaëlle aux contours de ses seins. Presque arrogant, il la toisait maintenant d'un regard hypnotique pour qu'elle sente la crainte monter en elle sans pouvoir réagir. Le sourire de la reine s'était changé en une nausée qui semblait se diffuser en elle jusqu'au fond de son âme, consciente à en être malade qu'elle était son dû.

    Tous les champs de fleurs qu'elle avait dans la tête ne purent remplacer l'odeur fétide de la verge qui la violait vigoureusement sous le sceau du devoir.

    Après que le ruissellement adipeux des cheveux de Fénol eut rejoint sa transpiration en elle, le délice de l'orgasme princier passa inaperçu derrière l'effort qu'elle faisait pour ne pas défaillir. Alors dans un brouillard de haine, elle entendit sa voix de crécelle dire avec aplomb: "Alaëlle de Sylphe, tu feras une bonne reine."



    IV

    1


    Le soleil se levait doucement dans la forêt, décomposé par les gouttes de la rosée. Les oiseaux commençaient à pointer le bout de leur bec et les premières portées de mulots venaient de naître. De minuscules bourgeons apparaissaient sur ses branches les plus ensoleillées... L'air était chargé des énergies nouvelles du printemps. Alors, lentement, très lentement, son écorce se gonfla d'une eau rafraîchissante. Elle le parcourut des racines aux branches pour réhydrater ses fibres, les assouplir.

    Pendant près de trois jours, on entendit ses grincements dans toute la forêt, alors qu'il faisait des étirements à vitesse végétale. De petits cheveux drus perçaient déjà sous la croûte de son crâne. Ensuite, la sève remonta doucement, se condensa dans les sinus, et quand le sang eut repris sa place dans le réseau de veines, il expulsa deux glaires de sève visqueuse. Ses poumons se défroissèrent avec une grimace, il inspira une grande bouffée d'oxygène et se mit debout.

    Ses yeux se réaccoutumaient à la lumière du soleil. Il faisait beau.

    L'homme mâchouilla quelques feuilles pour reprendre contact avec la nature et se mit en chasse. La rivière offrait une réserve sûre de nourriture pour le printemps et il n'aurait pas à courir plus vite que sa proie après un sommeil de trois mois...


    2


    L'homme s'accroupit au dessus de la rivière et laissa tomber son appât.

    Il suivit les zigzags de l'étron durci par les eaux froides de la rivière, qui en se désagrégeant appâterait quelques alvins. Il suffirait ensuite de se poster en surplomb d'une cuvette et d'attendre les carnassiers en chasse.

    Un banc d'alevins pistait effectivement les miettes depuis qu'elles se désagrégeaient et, pris au piège dans un bassin stagnant, ils furent happés par un grand brochet qui finit sa cuisson à l'heure des premières étoiles.


    3


    Sitôt que l'homme eut baissé son attention, le repas sauta hors des flammes et disparut. Par chance, le poisson avait laissé quelques belles empreintes de pattes dans la terre meuble, qui marquaient sans trop de discrétion le chemin de sa fuite. Une centaine de mètres plus loin, il le retrouva à moitié caché dans la gueule balafrée qui ronflait au bout de l'ours.

    D'un grognement rauque qui lui arracha quelques glaires, l'homme réveilla le voleur et le toisa d'un air vengeur. Toujours à jeun depuis son réveil, il tremblait insensiblement de ses carences. Ses muscles affaiblis n'auraient pas soutenu l'affrontement mais il n'en laissa rien paraître pour peut-être retrouver son dîner.


    L'ours, émergeant, lorgnait la silhouette indistincte qui faisait un tel vacarme. La détermination de l'homme ne dépassa pas la torpeur floue du réveil et, jugeant le danger surmontable, l'ours se rendormit.

    Brûlant ses dernières force pour tomber de moins haut, l'homme se mit à genoux et écrasa son nez sur le sol...


    4


    Il fut réveillé par une odeur acide et la démangeaison de quelque chose sur son oreille. Les yeux exorbités par l'intensité de son réveil, il discerna lentement son environnement. Une obscurité clairsemée emplissait l'intérieur de ce qui semblait être une caverne. Le sol sec et terreux faisait de chaque mouvement un nuage de poussière irritant. Par intermittence, une goutte d'eau glaciale fondait sur lui à la manière des oiseaux de proies s'écrasant sur une partie de peau qui s'ébrouait de nervosité.

    Quand il distingua plus nettement les rugosités de la paroi et l'origine de la lumière, il projeta de se guider vers l'extérieur mais une bourrasque chaude sur sa nuque retint son mouvement. Avec précaution, il se retourna et son nez effleura quelque chose de gélatineux... Le temps d'y voir clair, un grand cou de langue visqueux avait parcouru son visage du menton aux sourcils. Avant même qu'il n'ait pu répliquer, un deuxième vint parfaire la toilette et apaiser ses craintes. Il commença tout de même à se remettre debout pour comprendre un peu ce qui lui arrivait.

    Dans un recoin de la grotte, il aperçut quelques réserves de nourritures qui semblaient être mises à sa disposition...

    5


    Ils somnolaient jusqu'à l'extinction du feu dont l'homme s'occupait le plus souvent et s'endormaient avec la nuit. Pendant le temps d'une vie d'oiseau, il ne se passa rien d'autre que l'essentiel et jamais ils ne se chamaillèrent pour avoir pris trop de couverture. Pour tout dire, ils s'adressaient assez rarement la parole parce qu'ils vivaient tous les deux de la même manière, entre eux, il suffisait d'un grognement, de temps en temps, pour montrer qu'on est là.

    En fait, l'ours et l'homme supportaient chacun la solitude de l'autre sans jamais l'entraver, mais les quelques bêtes égarées qui s'approchèrent trop près de la caverne surent dans une frousse tonitruante que ce n'était pas valable pour eux.


    Cependant, en rentrant d'un bain dans le cours d'un ruisseau, l'homme entendit gémir la caverne. Il se précipita à l'intérieur et s'agenouilla près de l'ours qui gisait sur le flanc dans une tâche sombre. La faible lumière de la grotte ne lui permit pas tout de suite de comprendre que son compagnon venait de croiser les Hommes et leur lâcheté de métal...

    L'homme plongea son bras dans la plaie et en retira une demi-douzaine de plombs trop gros. Il tenta de refermer la plaie, de ralentir l'hémorragie mais il était déjà trop tard.

    L'ours lança un dernier appel plaintif et pour la première fois de sa vie d'ours, il eut peur avant de fermer les yeux.

    L'homme sentit quelque chose gronder en lui, une sensation qui étreignait ses entrailles. Des gouttes d'eau se mirent à perler et glissèrent sur ses joues pour arroser la rage bestiale qui se condensait. Ses pupilles s'effacèrent et ses yeux devinrent totalement blancs. Il n'avait plus besoin de voir, plus besoin... Il détruirait tout ce qui serait humain, écrasant chaque pas de son énergie meurtrière.

    V

    1


    La jeune fille se sentait souillée au plus profond d'elle-même. Elle se leva le plus discrètement qu'elle pouvait pour ne pas réveiller le nouveau roi.Suivant les contours des meubles à tâtons pour atteindre la porte, sa main s'arrêta sur un objet froid et métallique. A la lumière du clair de lune, elle discerna la dague que le Gazdéral avait offert à la reine de Sylphe "pour se défendre contre ses ennemis". Ils n'avaient pas cru bon d'ajouter que leur héritier en était un lui-même...

    Alaëlle s'empara du poignard et dans un instant qui dura des siècles et planta la lame dans la gorge de Fénol. Ce dernier n'eut pas même le temps de crier, à peine un râle, quelques bulles de sang et l'honneur fut vengé...

    Elle enfila les vêtements du nouveau roi.


    Arrivée devant les lourds battants de la porte de sa chambre, elle cogna discrètement et baissa la tête pour ne pas se trahir. Dans la pénombre, le garde le reconnut et après l'avoir salué, referma la porte.

    Elle pressa imperceptiblement le pas jusqu'à une tapisserie représentant un cheval de dos monté par un vieil homme en robe bleu ciel. Comme elle l'avait fait souvent, elle s'allongea entre le mur et la tapisserie et tira un crin de la queue du cheval. Le tissu s'enroula autour d'elle en montant vers le plafond.

    Une fois en haut, elle se tortilla hors du tube et tenta de se redresser. Il fallait attendre quelques minutes, histoire de retrouver son équilibre. Quand ses yeux eurent cessé de créer le mal de mer, elle s'aventura sur les poutres qui surplombaient les chambres. Ne pas regarder en bas... Surtout dans son état...

    Elle connaissait ce chemin par coeur, celui qu'elle utilisait depuis si longtemps pour s'enfuir. Enfin elle arriva au mur d'enceinte, un petit pan de mur qui donna sur l'extérieur directement. Une échelle de corde se déroula, elle descendit avec précaution pour ne pas faire les derniers bruits qui pourraient la trahir. Voilà, Alaëlle était sortie du château et jamais plus elle n'y reviendrait!

    La jeune fille se mit à courir sans aucun bruit, si vite que ses pieds touchaient à peine le sol. Ses respirations haletantes emportées par le vent partaient avec elle et la lune semblait ne jamais éclairer sa course. Quand elle fut dans la forêt, elle souffla quelques instants, en nage...

    Derrière elle, elle imaginait déjà les cavaliers à sa recherche qui retournaient la campagne et la reine mère qui hurlait de chagrin en chemise de nuit devant la dépouille de son cher petit salopard.


    2


    Emportée par la nuit, elle courait toujours quand sa jambe plongea dans une mare qu'elle ne connaissait pas. Sans atermoyer, elle chercha un moyen sûr de traverser mais ne trouva qu'une barque vermoulue enchevêtrée de lianes.

    Les liens de la barque cédèrent en un coup sec, elle embarqua et se mit à dériver sur unu surface qui semblait immense aussi inquiétante qu' un miroir sans tain. Elle sentait toutes les chimères la regarder du fond des eaux et aucune qu'elle n'aurait pu décrire, seulement des yeux jaunes qui ne sont qu'appétit qui épient en silence, attendent que le repas s'enfonce dans leurs ténèbres...

    Recroquevillée au centre de la barque envahie de mousses, elle priait quelque chose qui pourrait la guider mais elle ne croyait plus dans les dieux de ses pères depuis longtemps. Elle s'était construit un monde de croyances qui lui donnait parfois le courage d'être à sa place. Pourtant, à bout de force, elle s'endormit...


    3


    Il y eut un craquement au dessus de sa tête, quelque chose tomba...

    Un sursaut, elle se réveilla. Emmêlée dans sa chevelure sans voir ce qui se passait, elle maudit un instant les modes du chignon qui laissent insoupçonnées la longueur des cheveux.


    C'était un arbre à lotus qui le premier avait aperçu la présence d'Alaëlle. Il savait que les planches de l'embarcation étaient plus que mourantes et qu'elles ne supporteraient plus longtemps le poids de la princesse. Sacrifiant les forces qui lui permettraient de refleurir, il réunit toute la vitalité de ses branches dans une ultime graine qui en tombant, perfora le plancher de l'embarcation qui s'enfonça de plus en plus vite dans le repère des yeux jaunes.

    A mesure que le bateau sombrait, la graine puisait dans ses réserves l'énergie d'éclore. Elle éclata soudain à un pied sous l'eau en libérant ses racines, une deuxième explosion déroula des feuilles immenses au gré du hasard aquatique. Alaëlle se laissa portée, soulevée par ce sauveur étrange et alors que le cadavre encore chaud de Fénol était découvert, Alaëlle fut happée par le sommeil.

    Pour la première fos depuis trente ans, la Sylphe était en guerre, contre le Gazdéral voulant venger son héritier et les habitants n'y étaient pas préparés.

    VI

    1


    Dans les bois, le vent pleurait. Cela faisait plusieurs jours que l'homme n'avait pas cligné des paupières et ses yeux le brûlaient comme dans le crépitement des braises. Même lorsque de petites libellules vinrent se poser sur ses arcades et sucer le liquide qui persistait encore à les humecter.

    C'est finalement un hurlement qui le sortit un beau jour de sa fureur. Il se précipita et découvrit une jeune humaine, encerclée par une meute de chevaux sauvages dont les phallus saillants indiquaient les intentions. La jeune fille esquivait les sabots comme elle pouvait jusqu'à ce qu'un étalon gris moucheté de blanc la surprenne et la fasse tomber sans connaissance.


    Et alors quelque chose dépassa sa haine, quelque chose inscrit dans chaque individu et qui fait que dans le moments les plus critiques, on sauve un autre membre de son espèce... En quelques secondes, l'homme se cambra avec les yeux du tueur, ses pieds se couvrirent de poils et ses doigts se durcirent. Un hurlement, bestial, qui provenait du tréfond de ses tripes allongea sa gueule vers l'avant, les crocs saillants. Les griffes de 15 centimètres de long prêtes à trancher, il bondit sur le cheval qui semblait être le chef de horde. Ses pattes se plantèrent dans le garrot du cheval, il approcha sa gueule de l'encollure et planta ses crocs dans la jugulaire qui fit sourdre des salves énergiques de sang. Le cheval se débattit violemment à coup de sabots éventées mais dans un hennissement de détresse, vacilla quelques mètres pour s'étouffer de sa propre vie.


    Pendant ce temps, l'homme avait récupéré la jeune fille et grimpait hors de portée des ruades. De là, il put voir les autres chevaux s'approcher du cadavre de leur chef et boire son sang qui versait dans l'humus.

    La jeune fille reprit peu à peu connaissance, se blottit contre le torse de l'homme et s'endormit.


    2


    Quand les assaillants furent partis, ils descendirent de l'arbre et sans un mot, elle le prit par la main et marcha vers le soleil. Il fallut marcher longtemps pour atteindre le premier chemin, si bien qu'il finit par la porter sur son dos. Arrivés au bord, ils se postèrent calmement pour attendre une carriole.

    Dans un cahot assourdissant, ils virent s'approcher aussi lentement que possible une charrette de foin vert gérée par deux mulets. Une fois à leur hauteur, elle héla le premier qui arrêta l'autre d'un vif coup de brides.

    - Mais c'est la p'tite du bosquet ! Qu'est-ce qu'é vient don' faire sur le chemin des récoltes ?

    - Je me suis un peu éloignée, est-ce que vous pourriez nous amener près du village en parlant face à la route ? Ne craignez-rien, il est gentil!


    Après un bref salut à l'homme étrange qui l'accompagnait, il tapota la croupe de sa mule qui repartit dans le grincement des pièces de bois et de métal qui frottaient sans plaisir les unes contre les autres.


    3


    Ils dormaient enlacés dans la paille molle quand les prédications incompréhensibles d'un homme en habit marron les sortit de la paresse. D'un sourire amusé, elle chassa le moine et ils prirent à pied le chemin de sa maison.

    Des lambeaux de cuirs séchaient à la fenêtre, ballottés par le vent, et claquaient sur le mur de pisé en l'allégeant à chaque fois d'une poignée de terre, si bien qu'à cet endroit, le mur était presque creux. Et dans l'embrasure de la porte se tenait une femme dodue, vêtue d'un pagne sale qui traînait dans les herbes.


    Dès qu'elle la reconnut, elle ouvrit grand les bras et la jeune fille s'écrasa contre deux mamelles qui épousèrent les formes de son visage. Mais l'étreinte ne dura que le temps de l'euphorie et elle jeta vers sa fille un regard inquisiteur.

    Alors la jeune fille raconta l'histoire en oubliant quelques détails et observait sa mère changer peu à peu d'expression.

    Quand elle eut terminé, sa mère souriait les larmes aux yeux et partit dans un éloge excessif des hommes nus dont le jour n'a pas vu la fin.

    Pendant plusieurs heures, la maisonnée fut baignée de vapeurs appétissantes et au onzième coup de cloche, tandis que le moine se noyait encore une fois dans la surdité, elle servit un copieux repas qui débordaient des écuelles.


    Au premier chant de la chouette, quand sa fille fut endormie, elle amena l'homme dans l'autre pièce de la chaumière et se déshabilla.

    VII

    1


    Sur le nénuphar, la sphère bleue était réapparue pour défendre Alaëlle contre le temps... Son visage rayonnait toujours de cette beauté solide mais ses cheveux roux pâlirent étrangement. Autour d'elle, la forêt devint un cimetière végétal, comme plongée dans un éternel hiver. L'eau froide du lac engloutit peu à peu le sol en rongeant les racines des arbres. Et la dégénerescence du monde semblait aller de plus en plus vite. La brume la plus épaisse que le soleil ait eu à traverser se déposa autour du lotus, irradiée de vibrations bleues.


    2


    L'issue des combats était prévisible. Trop prévisible. Mais ce fut un choix... Qui veut la paix vit dans la paix. Préparer la guerre n'est qu'une guerre latente, la Sylphe fut rayée de la carte.


    3


    La sphère bleue semblait redouter quelque chose. Un danger qui la menaçait elle! Le seul danger qui puisse la menacer et qu'elle ne pouvait dissoudre. Alaëlle se mourait lentement et pour sa survie, la sphère bleue se devait d'attirer le remède, même s'il serait sa propre perte. Alaëlle serait sauvée par sa destruction parce que ce pouvoir de la sphère était aussi le mal qui la détruisait.

    Il viendrait. Il ne pourrait pas fuir son instinct. Et il la détruirait parce qu'il n'avait pas besoin de son pouvoir...

    VIII

    1


    Hormis le villageois bâté qui l'avait pris sur sa charrette, il avait évité tout contact avec les habitants mais ne se lassait pas de les épier, enfoui dans un tas de foin; principalement le curé qui s'affairait sans cesse à percevoir avec frénésie les manifestations du démon. Les pierres un peu trop rondes et les reflets un peu trop luisants étaient noyés d'eau bénite et autres incantations visiblement efficaces parce qu'il ne chargeait jamais deux fois les mêmes. En dehors de ça, les allées et venues incessantes des paysans chargés de céréales toujours un peu abîmées creusaient le chemin presque à vue d'œil. On n'aurait pu être épuisé juste en les voyant s'affairer.

    Durant les jours qui suivirent, aucun autre homme ne vint les rejoindre. Il était choyé plus que de raison malgré ses mœurs sauvages et l'ivresse du confort étourdit peu à peu la hargne de sa vengeance. Mais la nuit, il errait dans le village, pour ne pas croiser les habitants et observait les signes de leurs passages. Accroupi sur le sol, il reniflait les empreintes laissées dans la terre pour y retrouver l'odeur meurtrière, mais le renouvellement incessant des actions humaines l'inondait sous les pistes à suivre. Pour retrouver les chasseurs, il devrait se rapprocher d'eux.

    Et chaque matin, il rentrait s'allonger sur une paillasse de plume à côté de celle qui y dormait.


    Il pouvait dormir quelques heures de plus depuis qu'un réveil en sursaut lui avait fait étrangler le coq, et comme personne n'avait l'air de s'en plaindre, il fut enfourné dans une dévotion carnassière.


    2


    Un jour, la jeune fille se mit à pleurer, sans raison. Et il su pourquoi personne ne réclamait ce territoire. Elle dessina dans le sable un petit bonhomme et un monstre énorme qui se jetait sur lui... Elle s'était encore perdue pour suivre un chemin inconnu. Quand son père l'avait retrouvée, l'ours allait se jeter sur elle, et son père était mort de l'avoir sauvée, tué d'un seul coup de patte.


    Il la regarda comme évaporé. Cette petite fille pleurait un de ceux qui avait tué son compagnon sans rien comprendre de plus que la haine qu'elle éprouvait. Et à ce moment précis, il sut qu'il devait partir. Parce que trop de gens avaient peur de recroiser cet ours ou les milliers de dangers qui vivent dans les arbres, les rochers ou les galeries. Parce qu'il y avait trop de différences entre leur langage pour que chacun entende que l'autre ne défend que sa tranquillité... Et parce que trop de vies se partageaient le monde pour pouvoir se comprendre, il étreignit la jeune fille comme si elle venait d'être épargnée et quitta le village.


    3


    Il resta là, assis sur le bord de la rivière des heures durant dans l'espoir d'un signe mais il ne parvenait plus à lire la nature. L'écume légère qui naissait sur les arêtes tranchantes des rochers n'était plus qu'une mousse blanche et le bruissement des feuilles un simple bruit derrière ses pensées. Et pour la première fois de sa vie, il se sentit perdu. Un paysage flou et détruit s'imposait à lui dans un état second:


    "...Il avait marché jusqu'à l'épuisement en s'arrachant quelques touffes de poils sur les ronces agressives. Depuis qu'il était à nouveau debout, il n'avait pas ouvert les yeux, se laissant guider par des halos bleutés qui zébraient l'intérieur de ses paupières et un bourdonnement qui devenait de plus en plus tyrannique. A bout de force, il se mit à courir, maladroitement, attrapant au passage un insecte dans ses babines retroussées, profitant de ce festin avec avidité même si le soleil n'avait pas daigné le cuire.


    La lumière bleue dessinait maintenant tous les contours de la forêt, elle était si puissante qu'il commençait à être aveuglé par l'intérieur. Quand un picotement insupportable s'empara de sa tête, il fonça tête baissée entre les troncs épars et l'image consuma son esprit de plus belle. Il évitait les obstacles comme s'il était possédé par sa vision, comme si la lumière pensait... Les muscles dissous par l'acide et haletant, il s'arrêta debout face à l'étoile d'azur et se réveilla, toujours assis au même endroit...".


    Eteint, il devint bientôt la seule chose de lui qui existait encore, de la chair, flasque et sans âme, dénuée des forces diffuses qui poussent à survivre, alors spontanément, il bascula dans la rivière, se blessant sans broncher sur le fond agressif et se laissa emporter par le courant.

    A mesure qu'il s'oubliait, il se mêlait à l'eau agitée de la rivière. Quand les éléments eurent raison de son corps, il flotta désincarné, suivant les remous comme autant de particules d'eau. Dès lors, il perdit toute consistance, mêlé aux eaux qui l'accueillaient... Il fut dispersé au gré du courant jusqu'à s'infiltrer dans la tourbe qui bordait la forêt...

    Les derniers vestiges de ce qui avait été lui infiltraient les millions d'aspérités des sables, des terres et des plantes. Les radicelles le buvaient, les tubercules le transfromaient et au rythme de l'évaporation, quelques années plus tard, il reprit forme, retrouva sa structure...


    4


    A peine émergé, un point bleu magnétique troubla sa vue, semblant indiquer un chemin.

    Encore engourdi, il s'ébroua en mouchetant la forêt sur un bon périmètre et tituba sans vraiment savoir où il allait, attiré par le point bleu dans le fond de son œil...


    Il se rapprochait de l'astre bleu, il le savait maintenant. Il courut jusqu'à l'épuisement jusqu'à rattrapper la vision du bord de la rivière.

    Il n'y avait aucune issue possible mais rien n'avait pu l'arrêter dans sa course, pas même sa volonté. Il suivait désormais son destin en courant, trop tourmenté par la douleur pour se soucier de son sort. Enfin il aperçut la sphère bleue, loin au milieu du lac, mais il ne s'arrêta pas: il s'élança sans réfléchir en marquant son envol d'une traînée d'eau boueuse.

    Attiré par la sphère, il survola les eaux jusqu'à s'aplatir à sa surface et entrer en elle avec l'indolence d'un insecte dans le miel.

    IX


    Une jeune fille aux cheveux blancs était allongée dans des frusques horribles. Il la voyait dormir pendant qu'il intégrait la sphère. Elle ouvrit des yeux noyés de tristesse. L'homme la regarda en silence. Elle aurait voulu dire quelque chose mais n'en trouva pas la force.

    Le temps passait très vite dehors, il n'y avait plus maintenant qu'un désert à perte de vue et des éclairs bleus métallisés. A la vitesse des siècles, l'homme s'allongea aux côtés d'Alaëlle et posa la main sur sa hanche. Alors la sphère vibra, de plus en plus intensément mais ils n'y firent pas attention. Ils s'embrassèrent, lui parce qu'il devait le faire, elle parce qu'elle y trouvait son salut, et la sphère explosa, relâchant le temps prisonnier et toutes les erreurs qu'elle avait absorbé. Et tandis que la vie renaissait de ses imperfections, les os enlacés partirent en poussière.


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  • Préambule

    Courant mai...

    Première nuit dans un duvet trempé et froid.

    Mes chaussures sont cassées. Etc.

    Et la facilité qui me tend les bras si près du point de départ...


    Dans un long voyage, on se cherche ou on se fuit. On se fuit parce que rien ne rappelle ce qu'on est. On se cherche parce qu'on est, au fil des jours, la seule constante.

    C'est venu comme une révelation.

    Je n'ai rien à prouver.

    90 jours, c'est long, c'est loin, trop loin.

    Pour aller quelque part où je n'ai rien à faire.

    Je vais courir le long de ces sentiers qui ne sont pas les miens pour renctontrer des gens qui ne comprennent pas, des profiteurs et d'autres qui offrent l'hospitalité à leurs rêves déçus, par procuration.

    Alors STOP!

    Courir à l'autre bout du monde quand on connaît si peu sa maison, son jardin. La vie est dans le quotidien et puis je suis fatigué de courir. Ce voyage là, je l'ai déjà fait...

    Je rentre.

    Mais qu'est-ce que je peux raconter comme conneries des fois! Voyager, j'ai ça dans le sang et puis je pourrais pas supporter de dire «gnagnagna, j'ai arrêter parce que j'avais une ampoule»! J'ai toute la vie pour le quotidien... On the road again!




    5 Juin 2007...

    Mon premier est une chausse qui pique...

    Mon second invoque...

    Mon troisième est d'engrais...

    Mon quatrième est sous si...

    Et mon tout la réponse à des questions qu'on ne se pose pas!

     

    5/06


    Jamais vu un 06 aussi bizarre. Lunatique... Bon...

    Me revoilà sur les routes avec la pluie qui tambourine sur le toit de la grange de Liac, en Auvergne. Arrivée au Puy après tout les ratages de train (et oui!) à 17h35. Un mec avec un coquillage autour du cou m'explique l'histoire de la statue très moche du sieur Jacques dont on espère rallier le tombeau. Je sais par expérience qu'on imagine toujours faire mieux tant qu'on a les mains dans les poches mais (plus sonore qu'un tambourin... la pluie joue du sourdo, elle sourdonne) si l'Eglise de Santiago est à son image autant ne pas y aller trop vite. C'est le message du pèlerin: « vas-y doucement, peut-être que l'arrivée n'est pas top ». On retrouve un peu les principes du bouddhisme. Euh... Je vais essayer de ne pas être trop spiritruel et de n'écrire que ce qui manque aux innombrables récits de ce parcours mystico-touristique qu'il faut quand même se faire. Au puy, 1521km! Une heure plus tard, autre pannonceau officiel qui indique 1698km. Ca fait plaisir de voir qu'on avance.

    Mais ce n'est pas tellement important. L'important c'est que je sois là, décidé comme le vent et en bonne santé. Mode solitaire convivial et aucun réel objectif si ce n'est de errer dans la vie sans lui faire de mal (notamment ne pas marcher sur les limaces). Au moins « ici », pas de poids inutile ou de contrariétés généalogiques ou sociales, la route efface les mauvaises choses parce qu'elle en propose toujours de nouvelles... Arshet Pletan! Ou plutôt Ultréia comme on dit sur le chemin. Non que les mauvaises choses soient une mauvaise chose mais on est souvent plus léger avec les bonnes choses jusqu'à l'apathie et la superficialité la plus béate. De bons gros boeufs bien gras qui n'ont plus que le goût du sel dont on les saupoudre.

    Ca n'a pas été aussi facile que ça de se lancer mais 25 ans, c'est l'âge de continuer à faire avec ce qu'on a et chercher à obtenir ce dont on a vraiment besoin.


    07/06

    Aumont-Aubrac


    Hier soir, « attaqué » par une chauve-souris dans une grange délabrée. Et puis froid. Mais j'ai un mental assez solide, au moins quelques fois. Ce matin, départ brouillard, marché 25 bornes en ne mangeant que des plantes (plantain, rhumex, oseille, bouleau, pissenlit)

    Matelas posé dans une salle de cathéchisme de la salle paroissiale. Petit manuel explicatif. Derrière tout ce qu'il y a de dogmatique, il y a l'essentiel, et un essentiel que j'avais perdu de vu ces temps-ci (ou depuis toujours?), c'est un voyage intérieur, partir léger pour quitter son évidence. De plus en plus, j'ai l'impression de cotoyer des gens gras, même maigres, ils sont gras. Et on se laisse toujours un peu beurrer... Tout ce bordel, je l'ai emporté pour rassurer mes proches et maintenant que je suis seul, il est de plus en plus lourd parce qu'il ne répond à rien.

    Ce type débordant de vie incertaine, Pierre-Olivier, c'était moi avant. Je croyais que j'emmerdais le monde à force de gesticuler. Mais tout ça doit rester dans la tête encore un peu. Les mots donnent parfois vie, mais le plus souvent, ils tuent. Médiocres, il n'y a pas de meilleurs assassins.

    Ultréïa, si je puis dire.



    10/06

    Estaing, 5h départ pour Conques


    « Emportez un peu de l'Aubrac » sur un panneau publicitaire de produits du terroir. Emportez un peu de l'Aubrac pour aller le chier chez vous, finalement... Rien à dire.


    Heu... Je marche...


    12/06

    Livinhac


    C'est fou comme le bêlement d'un mouton ressemble toujours à celui d'un mec qui imite mal un mouton.


    13/06

    Figeac, matin


    Le type en début de route qui propose des ardoises peintes. Des ardoises! A des pélerins qui marchent encore 1000 km! Y en a qui font pas d'étude de marché avant d'ouvrir leur échoppe.


    14/06

    Varaire


    Rien à dire

    Les plus faciles à berner sont les malins qui s'affichent.


    * On ne peut pas accuser le chocolat d'être appétissant!


    19/06

    Castelnau sur l'Auvignon, gîte!


    Il assure le trouble pour rester séduisant.

    En eau trouble, les baudroies ressemblent à des saumons.


    23/06

    Arthez de Béarn


    En direct du Béarn pour radio Santiago. 700 kilomètres au compteur. Début étincelant sur les sentiers accidentés jalonnés de curieux, de dilettantes, de marcheurs. Des rencontres... Et puis chacun va à son rythme, «c'est le chemin», alors on se sépare. Mon rythme, c'est vite, alors on se croise rarement deux fois, vite et loin, mais je le savais déjà. Et puis au fur et à mesure tout l'équipement s'est retrouvé à la poste dans un colis pour la maison et me voilà sans rien d'autre que la tenue que je porte et un caleçon pour la nuit pour les 900 km qui restent. Et ça suffit. D'autres se font porter des malles remplies à ras-bord à chaque étape de 25 km, histoire de ne pas être trop dépaysés, comme les hollandais qui viennent avec des campingcars remplis de bouffe hollandaise...

    Beaucoup attendent un solution à leur vie ou fuient vers Compostelle mais le chemin ne répond qu'à ce qu'on ne demande pas.

    Fini le faste, les tentatives ou l'euphorie, il ne reste déjà plus que les mystiques légers, les fades qui ne marchent que 10 jours, les gens-carotte droite (cf Thérèse, Miradoux: les légumes calibrés qui poussent dans le sable comme les gens qui poussent à la fac) et des paumés sévères... Plus personne. Plus de loufoques, de marcheurs rigolos ou futés, plus de dingues dépressifs qui sont débordants de sympathie. Route monotone donc. La vraie question, c'est à quelle catégorie est-ce que j'appartiens!? Quand la réponse n'est pas intéressante, autant ne pas perdre son temps à la trouver. Tout ce que je vois, c'est qu'il arrive des choses magiques, des choses lassantes, et que je suis monté sur Duracell. Et en fait de voyage intérieur, je découvre que je me connais déjà beaucoup et qu'ici comme ailleurs se pose le problème d'une compagnie qui ne soit pas un sacrifice. Comme tout le monde.

    Pour le reste et bien ma foi, c'est beau, ou pas... Tout baigne.


    * Du pain dégueu, s'il sèche c'est qu'au moins il était frais.


    27/06

    pays basque


    Ici comme ailleurs, la différence fondamentale qui sépare les uns des autres, c'est que nous, c'est nous et eux c'est eux. C'est presque une lapalissade mais c'est cette différence qui fait les guerres:

      - C'est quoi qui change entre le pays basque et le béarn?

      - Euh... ils portent le béret à gauche, c'est ridicule!

      - Ah... Et!?

      - Et ils ont des toits en ardoise!

      - Mais vous avez les mêmes spécialités!

      - Tout le monde essaie de tirer son épingle du jeu!... Les danses sont différentes!

      - Ah oui, bien sûr, les danses...


    En fait, la seule différence entre les gens, c'est le sketch de Daniel Prevost, c'est celle à laquelle on est prêt à s'accrocher parce que... parce que rien.

      * Je pense qu'on doit pouvoir être prophète en son pays si on a une barbe postiche.


      * Découverte: le negro spiritual est basée sur les pratiques de l'Islam intégriste... « Oh lapidée, o lapidée »...



    * Une gonadine bien blanche pour la 4!


    29/06

    Puerte-la-Reina


    Une sensation étrange en passant le col de Roland entre pluie et vent et brouillard et froid... mais j'aime la montagne. Il se crée une réalité étrange, toujours mouvante, on s'éveillle chaque jour dans un lieu nouveau et familier fait de ces quelques repères immulables: les églises, les conchas qui jalonnent le chemin et ces bonnes vieilles marques rouges et blanches. Les pélerins changent et se ressemblent tous. On finit avec le premier venu une discussion commencée avec le dernier ou soi-même. On se salue, on échange, on butine et on se quitte sans plus de formalités. On découvre, on survole, les autres et le décors.

    L'immersion dans une langue nouvelle me fait toujours l'effet agréable d'un réveil, d'un étirement après une sieste pâteuse.

    C'est un voyage au rythme de la normalité, pris, épris même d'une routine confortable qui se meut lentement. Un peu plus chaud, un peu moins cher et toujours sponsorisé par ce bon vieux Coca. Des plaies, des bosses, un peu de philo barbante et de facilités plein le sac et c'est parti pour l'aventure commerciale de tous ceux qui cherchent, à peine un peu plus, à équilibrer quelque chose.


    Enfin voilà, après les vents turbulents des Pyrennées, le soleil brutal de l'après-midi espagnol. Tout tient le coup jusque-là et une petite légende est en train de courir, une de plus, dans le petit monde des peregrinos, celle de celui qui allait sans rien, à côté de celle de celui qui allait pied-nu ou celle de celle qui marchait avec un plâtre. Autant d'histoires qu'on se raconte dans ce petit microcosme particulier qu'est le camino.


    Un bonhomme a dit qu'un prêtre lui avait dit: ce que tu transportes dans ton sac, ce sont tes peurs... je n'ai plus de sac. Ce qui me fait peur, c'est de crouler sous tous ces trucs inutiles et de vivre en fonction d'eux. Alors à deux ou trois détails près, ça roule.


    Plus que 690km avant Santiago, fastoche!


    * Un pélerinage, c'est une marche déterminée. Ceux qui croient qu'ils prennent leur temps simplement parce qu'ils sont lents passent aussi les cinq sixièmes de leur temps à regarder leurs chaussures...


    2/07

    Logrono


    * Tout ce qu'on peut dire, c'est que les espagnols ne sont pas trop branchés « culture ». Par exemple, je n'ai pas encore vu une seule rue Victor Hugo.


    * Pélerinage: quand les étapes sont courtes, on peut toujours se détendre avec une petite randonnée ou la visite d'un clocher à 640 marches de hauteur. C'est vrai que si on n'aime pas marcher...


    * Ici, on constate à petite échelle ce qu'est le gaspillage: chaque jour, dans chaque albergue, 30 kilos d'ordures. Je pense que la conscience de ce siècle va faire mal... Un genre de crime contre l'humanité imputable à l'humanité entière. Il suffira de mettre une barrière autour du Lesotho et de dire que tout le reste du monde est une prison pour les coupables...


    2/07

    Soir à Granon


    Si ça ne l'était pas déjà, c'est officiel, je suis un furieux: aujourd'hui, j'ai marché 57 km en 11h dont une de pause ce qui fait une MOYENNE de 5,7 km/h pendant 10 heures! Et je crois avoir été RE-GU-LIER... Take it easy, même pas mal. C'est FOU!


    * A Granon. « Laisses ce que tu veux ou prends ce dont tu as besoin ». Waouw...


    4/07

    Sam Bol/Hontanas


      * J'aime le pain et même je trouve les champs de blé mur appétissants!

      * Passer 6 mois dans le désert avec des touaregs

      * 50km, je me prépare tout doucement une gentille petite retraite pleine de rhumatismes...

      * Un trésor métaphorique ça paye pas le loyer

      * En plein désert, on regrette que le symbole des cathos ce soit pas un disque ou un carré parce que pour ce qui est du soutien de Dieu en plein caniar, ils repasseront, une croix ça fait pas d'ombre!



    5/07

      Et puis une croix, ça abrite pas de la pluie...

      * Dans le genre « truc à savoir », ne JAMAIS faire confiance à un hyppi et en voyage ne JA-MAIS se laisser prendre par le côté « cooool », y 'a pas plus roublard et opportuniste qu'un hyppi et alors quand ils ouvrent une auberge... Une auberge!? Avec rien. RIEN. A la cool, reste cool mec. Il fait 0° la nuit, après une bonne toilette à l'eau de source glaciale, rien de tel qu'une platée de riz à 6€ et une nuit en plein vent, dehors, sans matelas et sans couverture. « Reste coool man! Moi, j'reste cool, j'ai pas froid. » Ouais mais t'as un pull; tu dors dedans à côté du feu et tu viens de te faire 70€ pour avoir fait bouillir de l'eau connard! En plus, y'en a deux qui voulaient baiser... J'suis parti. A 20h30. Après 50 km. Pour 6 de plus... Connards de hyppis. Des fainéants et des égoïstes. D'ailleurs j'ai mis un embargo sur l'orthographe de ce mot de cons!


    6/07


    * Ne pas faire le Yogi...! Après j'ai mal aux genoux. Débile. Je bosse pas au cirque du soleil!


      * L'art, c'est figer la vie. Je crois que c'est pour ça que je ne le vois pas, je trouve ça mort. Comme une ville. Alors j'ai peur, plus encore, de la réinsertion.


    * Les gens trouvent «ici» beau ce qu'ils n'ont pas le temps de voir dans leur vie quotidienne.


    * Le camino, c'est une simplification qui permet de voir. Puisqu'on est heureux avec le superficiel, pourquoi vouloir l'alourdir de mystique? La nature, l'effort, le nomadisme: beaucoup (je) n'ont jamais été aussi à l'aise. Tout le monde va à son rythme pour arriver au même endroit au lieu de s'entasser dans les embouteillages avec des buts minables.


    * J'ai une façon souvent arrogante d'être modeste.

    * Toujours une mouche qui fait résonner son vol hérétique au milieu de cette cathédrale de dévotion.

    * Une femme, ce n'est pas fragile, c'est plus fort qu'un homme mais elles jouent, minaudent la fragilité et un homme plus fort qu'une femme c'est un homme plus fort que tout. Je crois que c'est cette force maquillée (ou latente, qui s'épanouit à la moindre confiance) qui me résigne parfois, à défaut d'en jouer...


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  • Pour ne pas être enfermé par sa faute dans les stéréotypes, on est parfois obligé de plonger dans sa mièvrerie la plus sincère, se montrer sensible et fragile comme à la cérémonie des Césars. Aussi, je voudrais remercier tout particulièrement Frédérique qui la première est passée outre la retenue pour m'offrir le retour dont j'avais besoin pour y croire, Bertrand pour son soutien intégral et indivisible quoi qu'il arrive et depuis toujours et Mehdi pour son rôle impromptu et spontané de conseiller-technique. Je voudrais aussi remercier mes racines pour le soutien alimentaire pendant les périodes abstraites et troubles qu'on pourrait dire "d'inspiration" et un peu tous les autres pour leur liesse plus réservée ou polie, comme des gens dans la rue à qui on aurait demandé l'heure.

    Sniff. Voilà.


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  • 8/07


    * Réfléchir à ce qu'on comprend des autres...

    * Un connard = personne à civilité déficiente

    * Marcher 50 bornes quand on peut le faire, ce n'est pas un exploit, c'est une nécessité. C'est moins glorieux que 20 km avec une ampoule sous le pied ou un surpoid de 50 kg (moins glorieux ou moins maso, d'ailleurs...). Aujourd'hui, j'ai exprimé ce que j'avais au fond, ce qui me fait avancer et me détruit. Je ne suis pas masochiste, non, mais je suis buté comme un troupeau d'ânes sourds et je préfère souffrir que revenir sur quelque chose que je sentais possible avant de commencer (avec modération).

    55 km en pleine Meseta... le désert ennuyeux, épuisant, les cailloux qui percent sous la semelle vieille de 1300 km, la chaleur montante de l'asphalte brûlant et puis 10 km à longer le périph' de Leon. Le sel de mon propre corps qui brûle toutes les surfaces irritées par les frottements, du scrutum au faît de la raie des fesses, la sueur qui coule dans les yeux... La chair à vif d'une ampoule sous une ampoule sous une ampoule et l'articulation qui ripe à chaque pas, forte de mes 90 (?) kg, douloureuse et sournoise. La démarche engendrée est alors une nouvelle source de souffrances musculaires du corps désaxé, malmené. Aujourd'hui, j'ai senti mon corps défaillir de douleur, mon coeur si mis à mal qu'il aurait pu s'arrêter. Et mon esprit qui sait que la limite est proche mais pas encore assez pour appeler au secours si on fait attention. Encore assez vif pour inventer un raccourci à travers les pins qui viennent d'apparaître sur le bord de la mauvaise route et la force de chanter, de sourire, parce que je ne peux m'en prendre qu'à moi-même et je n'en ai pas envie...

    La pizza de 15h, j'en ai digéré le concept, je la chie pas, je la pète. Je suis le calvaire étrange et heureux d'une folie qui ne se trahit pas.

    Moralité... Je suis à Leon, et ouais!

    Et je suis content d'enlever mes chaussures...

    Et crevé t'imagines pas.

    Moralité, c'était faisable...


    09/07


    Pile ou face, y a plus que ça... Face, je marche. Bon... Ce matin, j'ai eu la pensée profonde du jour: je deviens la vérité qui n'a plus rien à cacher parce que je ne la défends pas. Beaucoup qui défendent leur intégrité ne sont plus que ce combat pour la reconnaissance de leur intégrité, leur image, cette lutte binaire pour imposer une vision unilatérale, simple et rassurante. Pas que je m'en foute, au contraire, de la vérité des autres, simplement elle fait partie de LA vérité, celle qui fait une belle jambe parce qu'elle est trop vaste pour être intelligible. Un monde sans vérité est un monde libre. Aujourd'hui j'ai oublié de manger!

    Il n'y a plus que des maximes sans queues ni tête qui parlent à la logique des rêves, la logique ininterprétable de l'esprit vivant au delà de sa compréhension.

    Ah oui, les limites... on verra ce soir.

    19h, 36km, modéré.


    * J'avais négligé le facteur n°1!!! Je croyais que j'étais fatigué etc... en fait mes semelles sont presque trouées, c'est pour ça que j'ai mal aux pieds!!!


    10/07


    Ce mecs, c'est comme tous les étrangers, ils inventent leur langue au fur et à mesure sans hésitation:

    • Buenas nochas!

    • Buena noches!

    • ?

    • Bunos noche

    • Bounoche soches!

    • Babouches moches!

    • ?

    • Buenos dias!

    • Mouss Diouf Pilaf!

      Oh putain, arrêtez les gars!

    • Une mouse d'oeuf et de l'eau pour la 4!

    • Hein!?

    • « Mousse d'oeuf puis la flotte! »

    • Mais j'ai pas dit « mousse d'oeuf puis la flotte », je vous disais juste bonjour!

    • Et ben dîtes « bonjour » et arrêtez de m'emmerder!


    • El Acebo. Dentifrice au jambon pour tout ceux qui veulent pas se saloper la bouche avec de la menthe forte.


    * En allant à Compostelle, on ne peut pas dire qu'on découvre l'Espagne ou la France, on découvre le chemin de Compostelle, guère plus. Pareil qu'ailleurs en fait...


      * A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire

      A vanter son péril, on triomphe sans croire...


    11/07


    A la cowboy, le journal dans les pompes.


    12/07


    Laotze regarda devant, se retourna, regarda derrière et dit: le monde est grand!

    Et un élève lui répondit:

    • Et alors!? Moi aussi je peux dire « la terre est basse » ou « l'eau coule de haut en bas »!

      Et l'élève devint disciple.


    * Organiser une Broken Party.


    15/07


    * Joli petit agneau, si petit et déjà con comme un balai.


      * Dans cette auberge avant Santiago, je trouve ce qui résume le mieux ce qui pose un problème dans le monde. Après un succulent repas accomodé avec les restes, après trois jours extraordinaires avec une tchèque, après 1700 km de réflexion et de défi, de retour à l'essentiel, là posé innocemment presque plein, un vestige oublié de la sénilité du monde: dans cette albergue à 5 km de la félicité, il y a un « colorant alimentaire orange »! Du colorant alimentaire orange!!! C'est ce qui m'empêche d'être un hippi, ok chacun fait ce qu'il veut, chacun son chemin, mais tant qu'il y aura des cons pour mettre du colorant alimentaire sur leur chemin, je continuerai à être angoissé pour mon avenir dans les poubelles qui s'accumulent.


    Composition: monotruc de sodomium 26%, stabilisateur de mauvais goût 1% (gras double insaturé, huile de palme bouillie), épaississant (E25,E664 et quelques,E850,E430bis), ingrédient secret, colorant. Peut contenir des traces de boudin aux chanterelles, de lait de poule et de gasoil.


    Non mais y se foutent pas un peu de not' gueule!? Dans dix ans, les associations de consommateurs obligeront à écrire tous les ingrédients et les lobbies industriels auront le droit de conserver leurs secrets de fabrications...


    Composition: ingrédient secret 1 (pourcentage secret 1), ingrédient secret 2 (pourcentage secret 2), ingrédient secret 3 (pourcentage secret 3), sel, divers. Fabriqué quelque part, date de péremption au jugé. Pour toute réclamation, postez une enveloppe vierge dans une poubelle.


    16/07

    Santiago de Compostela


      * Dans une ville, on peut trouver tout ce dont on n'a pas besoin ailleurs.

      * Dans les albergues pour ne pas déranger il y a tellement de monde qu'on est obligé de murmurer super fort si on veut s'entendre.


    * Je sais maintenant quelles sont mes vraies valeurs: la cathédrale, la dévotion, le recueillement, c'est bien beau mais ça se mange pas!


    * Pas la même langue c'est le meilleur moyen pour garder son intimité dans un couple et aussi avoir un bon bouc émissaire pour expliquer toute la mauvaise foi: « je croyais que t'étais d'accord pour que je couche avec ta soeur, j'avais pas compris? », «  ah, tu voulais que je balaie? J'ai cru que tu voulais que je reste assis dans le fauteuil! Désolé ». Peinard...


    * Dans une panederia, on trouve... du pan!

    Dans une pasteleria, on trouve... des pastel!

    Dans une carneceria, on trouve... de la carne!


    Dans une boulangerie, on trouve... du pain...

    Dans une charcuterie, on trouve... de la viande, et de la charcuterie.

    Et dans une pâtisserie, on trouve... des gâteaux.

    Verbe être au présent: je suis, tu es, il est, nous sommes, vous êtes, ils sont...

    Je vais, j'allais, j'irai...

    Un oeil, des yeux... No comment.


    * Parler d'amour dans un appartement, c'est parler d'amour au beau milieu d'un réseau de tuyaux qui draînent de l'eau sale et de la merde.


    * C'est un beau bidet!


      * Je ne suis pas très avancé sur les questions phiolosophiques majeures concernant ma petite et néanmoins labyrhintique personne (dans le sens où si on connaît le plan, on peut pas se tromper) mais pour ce qui est de l'ontologie en général, à la question « où va l'humanité? » une bonne part des gens rencontrés va à Santiago. Pour ce qui est de mon âme, et bien, pour un but donné, je choisis souvent les bonnes voies, je « sens » de mieux en mieux... reste le problème du but en question, complétement superflu.


    18/07


    Si être perdu peut se résumer à savoir où on est à 70 km près, alors oui, effectivement, on est perdus.


    19/07

    On the road again


    * Ces instants magiques où on croit à la liberté parce qu'on a trouvé un sandwich dans une poubelle.


    * Etre vieux, c'est quand on n'a plus la force de le devenir.


    * Ca va.


    * « Allez tous vous faire enculer », si on replace dans le contexte, c'est peut-être la seule parole sensée de Jésus.


    * Je crois qu'on ne devient pas fou, on perd seulement le besoin d'expliquer chaque étape du raisonnement aux nigauds alias les autres... et d'écouter les leurs, d'ailleurs...


    20/07


    Je suis tellement bien avec elle...


    * « Mais non, il est pas délabré cet immeuble, il y a que les 2 premiers étages qui sont délabrés, le reste a été refait à neuf »...


    * J'ai toujours pas compris comment on disait schtroumf en espagnol, pas moyen de leur parler de quoi que ce soit à ces gens!?


    21/07


    * Une des grandes lois du highjacking c'est qu'un nombre considérable de gens sympas ont des voitures déjà pleines ou vont dans l'autre sens... Dès qu'ils ont la possibilité d'aller plus loin que l'empathie, ils se dégonflent. Sauf les anciens highjackers qui ont acheté une voiture parce que personne ne les prenait...


    * Les cours d'anglais, ça permet entre autre de sortir dans un anglais impeccable des phrases comme « it's the flatest croissant i've ever seen ».




    22/07

    J'aime bien pouvoir résumer ma vie avec des phrases du genre, «je suis rentré du pélerinage de Compostelle en stop avec une tchèque dont je suis amoureux »...


    En conclusion...


    Aller au bout de mes limites y a que ça qui me fait bander. Pas se jeter dans le vide pour l'adrénaline et puis souffler un bon coup, aller chercher la limite lentement avec ses propres forces, sentir chaque muscle et chaque articulation, chaque pensée corolaire, deviner chaque gravillon sous mes semelles, chaque lézard dans les fourrés et sentir le vent... Viser la limite, la sentir approcher effrayée, effrayante et puis la faire sauter d'un sourire.

    Je suis parti de loin, de la couardise la plus intense pour tout ce qui n'était pas respirer mais beaucoup de mes proches ne l'ont même jamais vu. Chance ou pas, quand on grandit avec une boule dans le ventre, on se terre ou on s'affronte et cette sensation de peur devient familière, inoffensive. Chance ou pas, quand on grandit avec une boule dans le ventre, on est pas plus effrayé par une meute de loups sauvages que par le fait d' inviter une fille à boire un café. Une fois qu'on a sauté le pas, il n'y a rien de plus difficile.

    Je suis trop réfléchi et trop nigaud pour avoir une décision tranchée, un sourire qui ne sous-entend pas une amertume, une générosité qui n'ai pas conscience de son calcul, trop complexe pour savoir réellement ce que je dois faire, trop responsable et gâté pour choisir entre la raison et les loisirs. J'ai toujours cette sensation de gabegie canalisée, de fourreau trop étroit mais c'est cette réactivité permanente qui me donne vie, contre le gaspillage, la modération, contre l'ascèse, le plaisir... Et blablabla... Ah ah! L'important c'est que ce soit important et l'élève devint disciple. J'ai jamais été plus mature qu'à huit ans. Il manquerait plus que je tire des leçons de quelque chose! Y'en a qui croient à la maturité, d'autres qui appelle ça de la compromission, en vérité, je vous le dis (cf Jésus), ça s'appelle pas, ça se vit. La vie, c'est comme les frites, y'a ceux qui en parle et ceux qui la mange. D'en parler un peu, ça permet de digérer ou alors on se fait vomir pour avoir que le fresh-effect sans les calories, à la romaine. Des calamars à la romaine, c'est des calamars qu'on vomit?


    Ah... une idée sur un phénomène qui semble prendre de l'ampleur: «l'instant présent», la quête du 21e siècle sponsorisée par les supermarchés! «Profite du moment présent, fais-toi plaisir!»... Le présent, on ne le perd pas, c'est comme son ombre. Suivre des thérapies et des stages et des maîtres à penser pour profiter de l'instant présent, c'est comme payer un détective pour retrouver son ombre! Mais ça sonne bien, ça sonne juste dans cette ère de compromission, de sacrifice à son propre confort. Le présent, on ne le perd pas, il est là, impalpable, c'est un compagnon de route fidèle. Le chemin métaphorique a ça de symbolique: on va quelque part, on marche, et le présent est une corollaire de la dynamique, quelle que soit sa vitesse. Ce n'est pas une inconséquence enfantine, ce n'est pas le retour à l'insouciance, un caprice qui fait cèder à ses pulsions, c'est une conséquence de la marche, une conséquence de la vie. Quand on doit assumer seul sa marche, l'instant présent est inscrit dans une continuité. Le présent ne doit pas exister au dépend du futur et vice-versa. Et comme un hôte courtois, je mange dans les mêmes plats...

    Comprend qui peut...


    Bon en résumé, les kilomètres ça ne veut plus rien dire, tout se fait. On a tous la force de faire ce dont on a besoin, on a tous la force de faire ce qu'on aime. Compostelle, c'est du temps qu'on prend pour soi, ici ou ailleurs, ça permet de faire le point sur la machine, de régler tous les petis détails de fonctionnement, de voir du pays, de discuter avec les autres et d'échanger des astuces, mais surtout ça permet de travailler son anglais de voyage et d'avoir un prétexte pour ne rien faire pendant deux mois! C'est la plus respectable des excuses de fainéants...


    Et en dehors de toutes ces considérations, l'odyssée qui coule dans mes veines et cette musique au fond de ma tête. C'est parfois destabilisant de ne pas se fixer de repères mais le monde est un mélange de lui-même. Il n'y a pas de zone-étalon, c'est un long dégradé global de cultures, de biotopes, de langages à partir de nulle part... A force de tout rattacher à un standard, on en oublie la diversité, la subtilité omniprésente, on se promène d'un stéréotype à l'autre en appelant ça de la finesse, on découvre un endroit par comparaison. Plus rien n'a de valeur propre que sur une échelle grossière, rendue crédible à grand renfort de science et d'analyse. La réalité est vaste, ne jamais perdre ça de vue. La réalité n'est pas décomposable en entités claires. La vie n'est pas une suite de séquences (même si c'est plus pratique pour écrire un journal par exemple). La civilisation de la communication n'a plus rien à communiquer, on ne vit plus assez vite pour tout ce qu'on voudrait en dire. Tout est trop simple, trop binaire, trop idiot, l'humanité (celle qui mange à sa faim!) s'identifie chaque jour davantage à ce qu'elle communique, à ce qu'elle déclame, à ce qu'elle écrit, en oubliant que ce n'est qu'un moyen de communiquer, pas un moyen de ressentir, pas un moyen d'exister. Les mots ne sont rien sans l'expérience qu'ils réveillent, ils ne servent pas à comprendre quelque chose de nouveau, sans la vie qu'on leur insuffle, ils restent inertes. Mais ce n'est qu'un problème de village. On a vite tendance à oublier que l'humain n'a que peu d'ascendance réelle sur son milieu, qu'il n'occupe qu'une part infime de la surface ne serait-ce qu'habitable de la planète et que son impact concret et durable sur l'environnement n'est qu'une goutte de mercure dans une baignoire de paramètres connexes. Les aléas climatiques n'ont pas attendu l'industrie et la vie a toujours trouvé un chemin. Ce qui peut-être angoissant, c'est qu'on ne sera peut-être pas dessus, mais se jeter à grande échelle sur la première solution venue ou passer sa vie à se flageller n'empêchera pas la nutation ou la fonte des glaciers. A l'échelle de l'espèce, c'est l'asphyxie désespérée d'un noyé gesticulant, humain ou papillon, qui consomme tout son oxygène avec la conviction instinctive qu'il n'y a que ça à faire... Le propre de l'Homme? C'est... rien de spécial.

    By Ricardo Fiftioane, 5 juin-25 juillet 2007

    PS 29/07, rentré depuis 4 jours... j'étouffe déjà...

    Merci à tous ces gens super qu'on rencontre en route (Lio, Elsi, Thomas, Daniel, Germaine, Pierre, un italien, Pedro, Petrus, Olivier, Tim, Sylvia, Anick et son mari, Gina et les ponctuels). Merci aux cons d'être venus quand même pour qu'on puisse dire du mal de quelqu'un en toute quiétude pour son karma. Merci à Lavillier pour On the road again, et merci, merci à Enya pour avoir réaliser ensemble ce que cette chanson symbolise et qui m'est cher. Et merci à Canned Heat pour On the road again qui donne la pêche pour décoller le matin. Et puis à Hélène A. qui a eu la généreuse idée de faire couler un peu de sève le long des branches pour beurrer le bon-henri. Et enfin merci à tout ce qui a initié et entretenu une instabilité chronique qui me permet d'avoir une idée sauvage dès que j'ai cinq minutes et un euro...


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    les Broderies

    de la Cuve Inerte









    De vie,

    Les mots ne sont qu'indices

    Orphelins de maxime,

    Pour un voyage intime

    En affiner chacun l'esquisse...


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