• 2 trucs:

    La fiabilité des individus n'est pas liée au degré d'intimité qu'on peut avoir avec eux.

    Et 2: une blague, le plus dur dans le régime c'est de commencer: le régime, c'est galère d'oser.

    A dans 3 mois :)


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  • Voilà, nous y sommes. Arshet Pletan est certainement le "livre" le plus personnel des quatre. C'est un roman, certes, mais c'est un journal, une progression, tant au niveau de la trame que du style du narrateur. La version avec photos est dispo sur demande. Bonne lecture. En plus il y a plein de trucs d'actualité dedans!!!

    Par contre, je pense le réécrire un peu plus tard. Ceux qui ont déjà lu un peu le reste ont du le voir, je suis un peu trop  dilettante pour écrire quelque chose de vraiment abouti, il reste des fautes d'orthographe, quelques erreurs syntaxiques, et j'ai peur qu'à certains moments on ne sente pas le plaisir de développer chaque phrase, ce genre de choses.

    Bonne lecture!

    Salut m'sieur-dames!

    Nico


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    Arshet Pletan

    Dernier Journal d'un espion...


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    C'est presque un stéréotype, j'ai mal au crâne. Ca commence sur une gueule de bois. J'habite cette pièce vide de solitaire des bons et des mauvais polars. La première question qui vient, c'est «habiter c'est quoi?» et le seul synonyme qui y répond c'est «être»: je suis dans cette pièce.

    Il y a deux choses plus ou moins gérées par la main de l'Homme, la porte et les livres. Ils servent pour un de ces métiers qui n'attendent ni famille ni confort, un métier feu-de-paille. Il démarre quand il fait un peu trop chaud et finit en laissant quelques cendres.

    La bibliothèque est le seul contact que je peux avoir avec mon étincelle, mais je vais arrêter là les métaphores des années quarante...


    Il y a quelques années, la Chine s'est éveillée, cinq mille ans pour être exact. Il y a quelques années, la Chine s'est réveillée, bien décidée à empoigner le monde par les bourses et à cette époque, les bourses les plus visibles étaient celles de Sam.


    Une des clauses tacites du plan Marshall était que la reconstruction industrielle des pays signataires impliquait la défense catégorique des USA. En langage géopolitique, ça veut dire qu'en échange des billets verts, toute l'Europe s'inféodait.

    Le ministre de la défense américaine a sur son bureau une urne avec le drapeau américain et quand la suprématie est menacée, il pioche le pays qui s'occupera du problème.

    *

    Je m'appelle Robert Mc Bob et ce nom ne sert jamais. Mon père était marin écossais, mort après une partie de jambes-en-l'air avec une suisse de 16 ans en fugue de chez elle, ma mère.

    La saillie s'est faîte sur de la paille française.


    Ma mère m'a gardé juste le temps de me laisser sortir et puis je suis arrivé dans cette pièce, plus tard.


    Le haut de la hiérarchie écrit «danger» sur un post-it et le colle sur le bureau de l'adjoint qui fait une note dont les subalternes débattent avant d'envoyer un dossier à mon supérieur qui le résume sur un post-it. Je le trouve collé sur la deuxième de couverture du livre de la bibliothèque dont le titre commence par la lettre codée par la date du jour. Négligence ou syndicalisme, ce système m'offre au moins deux jours de congé par mois, c'est-à-dire deux jours ou je ne fais rien de plus sans même attendre quelque chose.

    Inlassablement, j'ouvre le même livre à la même date sans jamais avoir envie d'en faire autre usage que celui d'étui à post-it. Ils sont aussi fonctionnels et intéressants que la porte.


    6h, j'ouvre une jolie version illustrée de «Bambi, un faon pleurnichard», peut-être jolie. Rien.

    Machinalement, je le remets à sa place dans l'étagère avant de commencer une autre journée de simulation. Je façonne mes réflexes.


    6h, j'ouvre «Casanova au Congo». Rien. Et le lendemain, «Dunes de beurres» est toujours aussi vide.

    Ce mois-ci se résume à vingt-six livres vides et trente et une journées tout aussi vides.


    Aujourd'hui j'aurais dû sentir quelque chose de spécial mais la routine ne sent pas les changements. Encore le dandy à jabot qui danse le menuet tout de fil d'or vêtu. L'ouvrir vite pour oublier son sourire narquois.


    La première phrase est toujours la même, «danger», ce qui veut dire "pas de questions" - et j'ai signé pour ça - et puis «Varanasi Graine de Misère». «Varanasi» pour le premier contact et «Graine de Misère» pour la date, c'est dans quatre jours.

    Il va falloir jouer les touristes pressés. Visa pour l'Inde, baluchon et billet d'avion pour Delhi. Ce code est minable, peut-être trop pour être remis en cause.

    «Eric le pédéraste»


    Il est l'heure de partir et je ne sais toujours rien. Il y a sur Terre des villes qui sont plus petites que nos aéroports, on s'y déplace en voiture de golf. Ma correspondance est à deux jours de marche, porte 45037. Les hôtesses ont les plus fermes des mollets et les plus vilains des costumes.

    Avec l'industrialisation massive, nombre de choses se sont vues devenir identiques au point où l'on ne sait plus si on se rapproche du but si on ne garde pas une attention pathologique sur les petits panneaux, en uniformes également.


    Si les boss ont décidés de faire appel à moi, c'est que les choses risquent de prendre un peu de temps. Il y a quelques serviettes comme moi dans chaque service, qui ne savent rien faire sans un ordre de quelqu'un. Tout le monde y trouve son compte pour longtemps, on occupe ses jours dans la même pièce en attendant un ordre de gens qu'on ne connaît pas et les rechercher pour rompre le contrat est une initiative qui nécessite une raison.

    On m'a ballotté à droite et à gauche jusqu'à en perdre tous les appétits. Pas une agueusie existentielle, simplement quand on est toujours accaparé par des causes extérieures, on oublie de savoir ce qu'on veut. J'ai lu ça un jour. Mes envies sont celles du monde qui m'entoure et depuis cette pièce, elles sont celles des post-it.



    «Facéties pour un tas de viande»


    Encore cette atmosphère moite en sortant de l'air conditionné de l'avion, un mélange de moisissure rance et de transpiration. Tout est décoré de ces carreaux de salle de bain aux couleurs «mauvais goût». Les files d'attente, les formalités, je suis dehors.

    L'avantage de vivre seul, c'est qu'on a la sensation d'être trop dès qu'on est deux, un ascenseur ou le hall de l'aéroport de Delhi procure la même impression de promiscuité. Dans cet ascenseur là, on a simplement mis 200 personnes au mètre carré qui grouillent, crient, parlent, se parlent et avancent de leur démarche nonchalante sur du béton défoncé bondé de détritus.

    Aujourd'hui, il fait quarante-deux degrés. La sueur trop timide reste sur ses pores d'attache.

    Il me faut être anonyme le plus possible. N'échanger que des sourires d'incompréhension et les taxis ici comme ailleurs se croient obligés de faire la conversation. Quand je sais ce que me rapporte ce boulot de surveillant des deuxièmes de couverture, j'ai un peu mal au cœur en prenant la place assise d'un vieil indien, mais reste de colonialisme ou civilisation accueillante, ils ne laissent jamais un étranger debout. Pour moi, c'est pareil, debout, le plafond est trop bas et assis le fauteuil de devant est trop près. Compte tenu de l'état des routes, de la lenteur des trains et des épreuves de force pour acheter des billets, deux jours d'avance ne seront pas de trop.


    * Comme Harry Potter, à ma naissance, on a tracé un $ sur mon front...


    Devant le fait accompli, je me demande quand même pourquoi je suis là. Qu'est ce qui a bien pu se passer dans la tête du piocheur pour qu'on m'envoie en Inde?

    La dernière fois, j'avais dû substituer des résultats électoraux en Ukraine pour faire élire un président pro-américain, mais à cette distance de l'URSS ça n'avait pas suffit. Heureusement, dans la tête des gens, dès qu'on dit «démocratie» toute réflexion s'envole: les médias s'en sont mêlés et l'empoisonnement par le KGB du poulain Marshall, qui aurait pu laisser l'Ukraine sous l'emprise soviétique, est devenu une preuve de son «intégrité démocratique dans l'émancipation progressive des pays satellites du Kominform» et sitôt sur pieds, il a assuré sa présidence de paille sous les hourras des citoyens en liesse. Les gens diabolisent à ce point les régimes autoritaires qu'ils cèdent toutes leurs libertés aux autorités qui les en défendent... Et là, rien. Je lis dans les pensées du piocheur comme dans un livre ouvert qui n'a pas de post-it.

    Le bus se remplit comme un tonneau des Danaïdes et la profondeur des cratères donne au trajet des airs de voyage à dos de kangourou. L'air pollué, les yeux qui pleurent, la poussière et les klaxons, c'est une bonne entrée en matière. Descente, marche, esquive, le premier gars d'une longue série qui par pure gentillesse me guide jusqu'à l'agence de voyage de son cousin.

    En Europe l'anonymat a du bon, surtout pour mon boulot. Personne ne demande rien, chacun sa merde et son soliloque dans un confessionnal. En Asie, c'en est insupportable d'intérêt et plus particulièrement en Inde où tout le monde parle anglais.

    La meilleure façon d'être discret, c'est avec les basses castes. Paradoxalement, ma présence en troisième classe fera parler beaucoup de monde mais le racisme des castes Hindoues et celui des castes financières sont si forts que la nouvelle ne sortira jamais du cercle des huit cent millions d'indiens qui ne représentent aucun danger. Bousculades en perspectives donc. Etant donné le tumulte aux guichets, on ne s'étonne pas du tumulte à l'intérieur des wagons, la largeur de la file à l'Indienne est simplement passée dans les étages sur les couchettes en planches. La locomotive patine une demi-heure avant de faire bouger ses trente fourgons remplis à ras-bord et le train s'en va pour vingt minutes, jusqu'à la gare suivante alors que la queue est toujours à la gare de départ.

    Je dois faire attention aux détails. C'est mon boulot.

    Pour lutter contre les somnolences intempestives dues au son hypnotique des roues sur les rails, j'essaie d'imaginer ce que mangent mes compagnons de voyage en fonction du son de leurs pets mais le cri strident des vendeurs ambulants qui me réveillent toutes les six minutes prouvent que la technique est perfectible. Le paysage défile, plat, vert et rouge, anamorphosé par la chaleur de l'air. Des champs, des saris qui cueillent, des chiens et des ordures, des hectares de riz et de rien, dis bonjour au Taj Mahal, etc. Et puis on approche des vingt heures annoncées, presque à mi-chemin donc.

    «Horticulture pour dépressifs»


    A la sortie de la gare, quelqu'un doit m'attendre. Je ne le connais pas, il ne me connaît pas et pourtant on va se reconnaître parce que nos cerveaux n'utilisent plus des pensées mais des protocoles.

    La patience sert dans les trains indiens ou ne sert jamais, encore dix heures et Varanasi approche. Il fait chaud, humide et la gare est bondée plus encore qu'à Delhi, avec le petit plus de la ville sainte colorée et bruyante.

    Avantages et inconvénients d'une taille raisonnable, je vois exactement là où je veux aller pendant que tous les gamins me font les poches sous la couche épaisses des cheveux noirs de la foule. Quand elles sont vides, je remets quelques roupies, c'est le jeu, et puis un dernier qui a l'impression d'être discret y glisse un papier et détale: «10, 5, le feu, l'eau et la terre». Le 10 juin à cinq heures. Le feu, c'est le Crematory Gath, l'eau, le Gange et la terre, la plage d'en face. Pas de crampe cérébrale dans les hautes sphères pour ce qui est des codes secrets... Encore 3 jours à ne pas faire semblant d'être un touriste qui perd son temps dans les rues avant d'entamer...d'entamer quoi!?

    10, enfin. Les rues désertes où quelques mendiants sont endormis, la fraîcheur du matin - vingt-cinq degrés - et les canotiers qui attendent déjà leurs touristes. On s'écarte de la berge. A la sueur des rames, la barque fait des zigzags dans les halètements asthmatiques du fumeurs de ganja. Vers le milieu du fleuve, quelques sachets en plastique dépassent de l'eau...

    Une demi-heure plus tard, les planches humides accostent sur la plage romantique qui voit la façade fluviale de la ville. Je laisse le canotier à ses occupations respiratoires et flâne un peu sur la grève.

    Quelque chose m'effleure la main et commence à tourner autour avec douceur. Pas de mouvements brusques, baisse lentement les yeux, c'est une main. Une main qui me tripote les doigts, une main poilue. En remontant le bras des yeux jusqu'à la tête, je vois un Indien moustachu qui fait des politesses de retrouvailles et cette tendresse entre garçons est la plus élémentaires des civilités, même si une certaine étroitesse d'esprit serait tentée de délencher une offensive... Après quelques palpations de ma part, on s'assoit côte à côte sur le sable devant le lever de soleil.

    - Trêves de Salamalecs, me dit-il entre deux caresses dans un anglais impeccable («stoping salamalecs»). Il va falloir être prudent, votre mission est difficile. Vous devez vous débrouiller pour rallier le Tibet, rejoindre un ami de la cause. Voilà votre nouveau passeport et quelques liquidités. Prenez votre temps pour être discret et rapide, l'enjeu est capital. Votre prochain contact se trouve dans le Yunnan, en Chine, c'est un groupe organisé qui peut vous aider à passer la frontière interne, le responsable est au courant...


    Après nos ébats de tout à l'heure, j'aurais préféré qu'il s'autodétruise dans les cinq secondes mais la technologie doit être trop coûteuse ou trop voyante.

    Petite blague martiale un rien cynique de mes supérieurs, mon nom de mission est Franck Oswald de l'Oregon. Foo. Dans un sens, c'est le nom des kamikazes japonais pendant la deuxième guerre mondiale, les Foo Fighters, dans l'autre, c'est le matricule d'un homologue anglais un peu rocambolesque, ce bon vieux James. Dans mon métier, on s'amuse bien.

    Chaque mission est une nouvelle preuve de notre abnégation. Et Dieu dit «Va mon fils!

    - Où?

    - Ne commence pas!»


    Je vais dans le Yunnan retrouver un groupe, point. Ce type au Tibet, il va m'aider, c'est tout.

    Le plus rationnel compte tenu de l'ouverture actuel des frontières du Myanmar est de prendre un avion jusqu'à Hanoi et passer la frontière chinoise en train. Dans les aéroports, les douaniers sont compétents, parlent anglais et trouvent toujours quelqu'un pour savoir quoi faire. Pour les frontières terrestres, les contrôles sont plus aléatoires et au moindre doute sur la procédure, les formalités disparaissent pour ne pas perdre la face devant un occidental. En glissant une coquille dans le formulaire d'entrée, on est sûr d'avoir un tampon qui n'atteste de rien d'autre que de la présence d'encre à la douane.


    A part ça, dans le domaine des petits plaisirs, en revenant de mon rendez-vous, le canotier qui m'a récupéré était complétement défonsé au shilum... Je ne sais pas comment il s'est débrouillé mais on s'est retrouvé à l'eau. Pas que je sois spécialement délicat mais se retrouver face à face avec un colis flottant qui contient un cadavre de femme c'est assez déstabilisant en plus d'être irrespectueux. Enfin... entre les "colis" et les flaques d'hydrocarbures, j'ai réussi à rejoindre la berge pour aller prendre une douche.

    Trois heures au guichet de la gare bondée pour trouver une vitre épaisse qui protège les lèvres à lire pour savoir qu'on s'est trompé de guichet. Quand on veut quelque chose, il faut s'affirmer. Il faut aller à Calcutta, je dois le vouloir de toutes mes forces sans état d'âme: acheter un billet de train en Asie, c'est une course de spermatozoïdes, pas de place pour les faibles! Mais j'ai du mal à combattre quand le trophée est un voyage de vingt heures couché sur des planches en face à face avec le plafond qui récupère tous les gaz plus légers et chauds que l'air. Quarante degrés, c'est le prix à payer pour ne pas respirer un oxygène issu des rectums autochtones. Toujours est-il que de guichet en coups de coude, je réussis à avoir mon papier en devanagari: voiture 16, couchette 6, quai 9.

    Le train de vingt heures arrive à vingt-et-une heure trente quai 1 avec un quart d'heure de retard et entame à vingt-deux heure un trajet de quinze heures locales, soit plus ou moins un jour.

    Chaque wagon est numéroté dans l'ordre avec des caractères bleus, le 16 est le dernier. Et puis au fur et à mesure des cinq cent mètres qui joignent le dernier wagon, je remarque des feuillets blancs numérotés dans l'autre sens. Le temps de comprendre qu'il fallait lire les feuillets blancs, le train démarre, je l'attrape au vol voiture 14 et traverse le tohu-bohu de la troisième classe. Cette vie de risque et de danger a aussi des aspects étonnamment pragmatiques et aux lumières de mes prouesses pour m'asseoir sur un siège numéroté, je vois l'avenir du monde plutôt sombre cette fois. Mais bon... Plus que vingt heures à regarder le ventilateur du plafond du train souffler l'air vers le bas.

    12/06 KOLKATA


    * Calcutta et son architecture écroulée. Le faste et la grandeur d'une métropole de colonie qui se couvre de mousse verte avant de tomber en ruine, les artères immenses chatouillées par le tramway et le métro. Un saut sur Internet, pas d'avion avant demain. Encore une bonne journée qui s'annonce...

    * Le meilleur des remèdes contre l'ennui, c'est la paresse, et quel jour est meilleur qu'un dimanche pour s'y adonner?

    * Formalités, décollage, avion, bonbon...

    * Arrivée à Bangkok. L'aéroport est plus grand et plus développé que le Lesotho. D'après les boutiques de souvenirs et les publicités, on peut apprendre qu'une partie de la population fait sa richesse en organisant des visites en bateau de croisière de la pauvreté nationale et le patrimoine s'exhibe jusqu'à l'usure. Peut-être...


    Enfin la question n'est pas là. Le staff français discute en groupe ethnique et l'avion part en retard -French Touch oblige- pour Hanoi.



    13/06 VIETNAM


    Arrivée Hanoi... Mon passeport américain m'attire des regards pas très amicaux. Il règne une tension bizarre un peu partout, une politesse hargneuse. Mon contact est de l'autre côté de la frontière... Olivier a traîné en Chine pendant son service militaire et il connaît les plans un peu douteux dont on se sert parfois. Le meilleur moyen de rentrer à Lhasa, c'est par camion depuis Deqin, à vingt kilomètres de la frontière interne. Il faudra trouver un chauffeur dans un rade et payer son inconfort pour six jours de trajet planqué sous une bâche. Rester avec le groupe sera la meilleure des couvertures pour se rapprocher de Deqin. Je dois l'intercepter le plus tôt possible dans le sud du Yunnan, circuit touristique...

    Mais pour l'heure, je suis toujours à l'aéroport d'Hanoi. Il doit y avoir une ligne ferroviaire qui relie Hanoi à Kunming.

    Impossible de communiquer, j'ai l'impression de me faire balader...

    Gare, 20h. Le train part à 21h34 et s'arrête à la frontière, la voie chinoise est inutilisable.

    Un vietnamien en uniforme de groom m'arrache mes affaires des mains, me conduit à ma couchette et se met à pleurnicher comme un enfant pour un dollar...

    Quinze heures plus tard, Lao Cai, ville frontière. Moto-taxi jusqu'à la douane. Je dois être le seul "américain".

    Premiers mecs armés.

    Formulaire recto en vietnamien, verso en idéogramme, merde... Il y a un problème! Quelque chose bloque! Bien sûr...

    Le chef de douane rapplique, l'air impassible, indéchiffrable et aboie sur le préposé. Il l'engueule ou il le félicite?

    La volonté d'être performants, de donner une image efficace et tout s'est résolu en fermant les yeux, d'un côté comme de l'autre...

    Jamais visité un pays aussi vite... 20 heures de l'aéroport à la frontière!


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    14/06 CHINE


    * Chine. Propre, asceptisé. Un camion-benne ramasse les ordures accompagné par une berceuse monophonique.

    * Et maintenant, qu'est-ce que je fais? Ce n'est pas le genre d'endroit où il y a un plan de la ville... aucun que je puisse déchiffrer en tout cas.

    * Un peu pesant cette berceuse...

    * Deux heures à patauger, gare routière.

    * Un bus pour Yuan Yang au départ... coup de bol.

    * La berceuse, putain, la berceuse!

    * Départ. Bus, conduite sportive, il pleut. 15 heure, Yuan Yang, perdue dans les montagnes et la brume. Quelque part dans cette ville, Olivier et son groupe sont passés ou sont encore. Prospection.

    * Il y a des standards bien particuliers pour chaque type de touristes. Touristes français, classe moyenne... Deuxième hôtel, le gérant la joue énigmatique, il veut son pourboire, insiste, mais sa négociation est déjà une réponse: ils sont là.


    - Ni hao.

    - Ni hao, my friend.

    - On peut parler français si vous voulez.

    - Ok. Je ne pensais pas vous voir avant Kunming!

    - Trop vaste.

    - Enfin, vous voilà. Si j'ai bien compris, vous cherchez à vous rendre au Tibet?

    - C'est ça.

    - Ca ne va pas être simple, mais notre circuit passe par Deqin. Si vous n'êtes pas pressé, vous êtes le bienvenu.

    - Et pour les autres?

    - Ils sont au courant. Vous êtes Franck, un ami américain, il ne vous reste qu'à profiter de la ballade!

    - Merci.


    Voilà plusieurs années que je n'ai parlé à personne pour rien. Tous mes échanges sont plus ou moins en lien avec mon boulot mais ça peut me faire du bien de relâcher un peu la bride. Pour l'heure il ne se passe rien, je peux prendre mon temps, "profiter de la ballade" comme ça ne s'est jamais produit et aux premiers remous, agir plus vite que l'inertie des différents services chinois. Oui...


    * Manger du chien, c'est fait.



    15/06 KUNMING


    * Kunming. Mégapole ultramoderne. Aérée et encombrée... Paradoxale.

    Le groupe offre une sécurité grisante. J'ai encore du mal à m'intégrer mais je ne suis responsable de rien, j'ai du temps LIBRE! Je me suis même offert un concours de corde à sauter dans un parc...

    * Les repas sont gargantuesques et légers...


    18/06 Départ pour Dali.

    * Dali, ville dans l'apparat. Au bout du spectacle, la nature est relâchée salie ou en travaux.

    * Rivière-poubelle, humidité, eucalyptus, cyprès.

    * Chinoises raffinées par le tourisme.

    * Présentations: Olivier, mon contact. Aurélien et Sabine, un couple. Job, Aline, Bouba, Cynthia et Pédro.

    * Ici, les chiens sont soit choyés, soit mangés.

    * Un nid de post-babas cool.

    * L'air a un goût étrange.

    * Les statues de "dragon" qui créent le mythe chinois ne sont pas des affabulations, elles représentent en fait leurs chiens...

    * Les mangoustans... sous l'écorce en papier crépon, une mandarine de beurre.

    * Force tranquille, la Chine s'impose à toi par son inertie, sa constance imperturbable et au sommet, l'effervescence de la copie...

    * Pédro est taciturne... trop pour un étudiant...

    * La boue embrasse tes pieds.

    * Ce qui est difficile en chinois, ce n'est pas la langue à proprement parler... "pour trouver la source de vie, suis le chemin de la complétude" = "pour aller à la cascade prend le téléphérique (les oeufs!)".

    * L'autoroute du Chi.

    * Un singe vient de se casser la gueule, trop confiant...

    * Statues en glaise, pupilles en tétons.

     


    20/06 LIJIANG, presque identique. 2400m.

     

    * Je ne sais pas comment, mais encore une fois, une simple promenade s'est transformée en échappée dans le repaire des esprits et des écureuils. Un cimetierre secret dans la forêt... Joli...

     

    * Tout est bien reconstruit, soigné, poli... le temps rendra les pagodes de série historique.

    * En toute circonstance, accompagner la chute pour garder le contrôle.

    * Un hamac entre un cocotier et un manguier, vent tiède... je ne me lève plus...

    * Télé, météo: matin coton, après-midi ampoule...

    * Les enfants comme des souches en bois.



    23/06 Migraine du coq...


    * Une ville belle à gerber.

    * Société matriarcale, quelles femmes!

    * Comme à Kolkata, beaucoup d'autochtones "occidentaux", seules la tête et les mains dépassent encore du déguisement mais déjà les pensées vagabondent entre les achats et la télé.

    * Manque de filles débridées dont les yeux le sont encore.

    * Manger de la libellule et des larves d'abeilles frites, c'est fait.

    * Terre rouge argile.

    * Ici, TOUT est en escalier!

    * Climat aléatoire, surprenant.

    * "Enfin" malade. Des quantités astronomiques de bouse de vache, le corps est décidément plein de ressources.

    * Ma tenue n'a plus aucune tenue.

    * Je vais tuer un coq.



    24/06 Lijiang-Gorges du Saut du Tigre. Bus.


    * Mamelon de coton végétal.

    * Le capitalisme communiste a du bon, dans les douches, il y a toujours un shampoing neuf et une savonnette.

    * Apparemment, quand on conduit un bus dans la montagne, on est beaucoup plus confiant après un bon bang!

    * Une fois passée l'appréhension des nids de poules, ce qui effraie, c'est la vitesse alarmante à laquelle les véhicules se croisent au bord d'un ravin.

    * Ce Tigre en question aurait sauté 70 mètres!


    * Trek: stridulations, les pelotes basques qui servent à tout, plus de bruits d'animaux, du vent, les chevaux de montagne nous regardent, se collent à la paroi et continuent à nous croiser!

    * Un petit papillon noir vient se poser sur mon épaule.

    * La Chine, c'est avant tout l'histoire de l'eau. D'ailleurs le caractère des Han, la principale ethnie, s'écrit avec la clé de l'eau. Il pleut.

    * C'est curieux, la perspective bouge plus lentement que moi...

    * Cascade d'eau claire dans un fleuve boueux.

    * Soir, guesthouse. Dans une rivière de putréfaction, un japonais qui me sourit. Chier perd déjà ses proportions mystiques, c'est un moment convivial. Les mouches sont presque des employées.

    25


    * Vers 17h, nous sommes arrivés dans un petit bar au fin fond des gorges. Après un petit échange avec Olivier, le barman s'est retourné vers le groupe et a lancé quelque chose du genre "si vous tenez encore debout, ma petite soeur aimerait vous faire visiter son village, à quelques heures de marche d'ici...". Dans les yeux d'Olivier, il y avait quelque chose d'insistant. Tout le groupe était épuisé par la journée de marche, moi aussi, mais ce n'était pas une invitation gratuite.

    - D'accord.

    - Ok, dit Pédro.

    - Bon, dit Olivier, j'accompagnerai les paresseux en bus jusqu'à notre point de départ d'hier. Nous nous retrouverons tous demain matin pour aller à Zhongdian.

     

    Se posait la question de Pédro... Les choses se précisent. En discutant avec son ami le barman, Olivier a appris que l'armée chinoise était à la recherche d'un occidental. Il y aura eu des contrôles plus poussés à la frontière vietnamienne et ma couverture ne devait pas être tout à fait au point. Ils auraient remonté plusieurs pistes et l'une d'elle menait ici. La première guest-house sera contrôlée ce soir et la route est déjà bloquée à mi-parcours. Mais l'ami en question n'a pas l'air d'être tout blanc... Il sait qu'Olivier promène un barbouze -tout se sait!?- et lui a demandé de faire passer sa "petite soeur", qui tient une bonne place dans la hiérarchie du commerce de la marijuana.

    La petite soeur, Marlène, avait l'air espiègle, presque trop jeune pour être un "archedealer" et Pédro ne sembla pas surpris par ce qu'elle nous apprit. Corse, Services Secrets, en mission d'observation des tensions locales et spécialiste de la haute montagne. Nous avons marché jusqu'à la nuit tombée pour nous arrêter à mi-parcours, sous un porche à mules après quelques éjections glaireuses dûes à la fatigue. Quelques centaines de mètres plus bas, les militaires faisaient des tours de garde...

     


    26


    Départ 3h du matin, nuit noire. Tonnerre sans nuages. Ce soir, il fouilleront la montagne et découvriront des traces mais nous serons déjà loin et puis le barman les enverra chercher de l'autre côté. Heureusement, Pédro a su retrouver le chemin dans le noir. Peut-être que ça aurait été trop facile de marcher quatre heures dans le noir... Après deux heures de marche, Marlène a sifflé et s'est figée sur place. Pédro et moi l'avons regardée sans comprendre, mais bientôt tout a été plus clair. Un grognement sinistre à un jet de pierre devant nous. Des yeux rouges qui se détachent de la nuit, qui s'approchent doucement. D'autres grognements. Si on ne veux pas avoir d'ennui, il faut rebrousser chemin, vite. Il en arrive par au-dessus. Merde! Chacun d'entre nous a pris une grosse pierre dans chaque main et nous avons escaladé une gravière. Je doute que ce soit des manchots cannibales et quoi que ce soit d'autre, ça court plus vite que nous, autant risquer la gravière. Ca se rapproche, et ça grogne de plus en plus fort. Un autre sentier a l'air de prendre la direction du bus, ils nous talonnent. Après avoir lancé nos "projectils" à l'aveuglette, nous avons commencé à courrir... Ce n'était pas un sentier! La gravière continuait plus abrupte encore et l'un après l'autre nous avons rejoint le sentier cent mètres plus bas en roulé-boulé. Je crois que Marlène s'est cassé un bras, mais pas le temps de réfléchir, on a perdu une demi-heure et les yeux ne vont pas tarder à nous retrouver...

    Epuisés, ruisselants de sueurs et de terre, nous avons rejoint le bus, deux heures plus tard. Le jour se levait à peine. Marlène a retrouvé un ami à elle et s'est enfuie après un bref signe de la tête. Pédro et moi nous nous sommes lavés à l'eau d'un robinet avant de retrouver les autres et après des explications lapidaires, nous avons piqué un somme dans le bus.

     


    27 Zhongdian


    * J'ai deux cheveux blancs.

    * Il y a des choses normales ici qui ne sont pas normales de la même normalité que chez nous!

    * Insolation permanente, les neurones en ébullition.

    * Un cochon qui se gratte sur une bûche. Une assiette de mouches.

    * Je pèle des pieds.



    29/06, ZD


    * C'est étonnant de voir à quel point une phrase qui finit par "dans les contreforts de l'Himalaya" a plus d'impact qu'une autre qui se termine par "perdu dans le Limousin"...

    * Ce qui appartient à ceux qui se lèvent tôt, c'est l'eau chaude...

    * La majesté du décor réduite au rang d'arrière-plan par le bruit des moteurs.

    * Décor... village typique autour d'un stupa de série. L'industrialisation d'un idéal...



    02/07 DIRECTION DEQIN


    La route, c'est un peu du Jenga, tout s'effondre mais tant que l'asphalte tient la partie continue! Le chauffeur qui roule à une allure effarante pour l'état de son véhicule et celui de la route doit vraiment avoir une confiance absolue dans son habitude du trajet en pleine montagne au bord du précipice, il tourne la tête pour regarder ses passagers et sourit... Et l'eau du radiateur qui gicle sur la vitre, la femme du type soulève un capot qui commence à fumer à l'intérieur du bus et y verse du thé... Et rien de ce que je peux faire ne pourra calmer cette impression de panique grandissante... Ca me rappelle que j'ai encore plein de choses importantes à faire, comme ranger ma bibliothèque par exemple.

    On peut dire ou montrer ce qu'on veut mais la peur, on ne s'y habitue pas, on apprend à faire avec, mais elle est toujours là. Les gros durs qui n'ont peur de rien sont soit des inconscients soit des mecs qui ont d'une certaine manière envie de se suicider.

    * Les couleurs, les couleurs! Des montagnes acérées et ciselées. Du rose, du vert, du soleil et du blanc, du gris en dégradé: la palette d'un aquarelliste... Mais qu'est-ce que c'est que ce commentaire? Je suis pas une gonzesse!

    DEQIN


    Deqin. Shangri-la, ce qui ne veut rien dire. Glacier avec escalier! Un névé, la "langue" du glacier, c'est impressionnant. Un soleil d'altitude qui percute la glace et la rend éblouissante et contraste avec l'herbe rase. La raréfaction de l'air, c'est vrai. Joli. Si je n'avais pas toujours cette impression de tourner en rond, je crois même que j'y aurais pris du plaisir...

    Après la nuit dans les gorges du Saut du Tigre, j'essaie d'être vigilant. Pédro semble inquiet.

    Au bout d'une vingtaine de minutes, tout le groupe redescend. Job court devant et pour s'amuser un peu lance à la cantonnade un "GAAAAAARDAVOUS!". L'idée ne lui est pas venue pour rien, c'est du comique de situation: la milice!

    Regard à Pédro, il me couvrira. Je plonge dans les arbres et le dénivelé. Trop de ronces à mon goût. Depuis une zone d'ombre, je peux entendre la milice qui contrôle les papiers du groupe. Encore quelques mètres et l'espace est découvert: le glacier. En longeant l'espèce de forêt qui sépare "l'escalier" du glacier, j'arriverais peut-être à redescendre sans être repéré. Ce qui me désole, c'est de ne pas être totalement sûr qu'ils me recherchent!

    C'est un rien glissant, recouvert de sable et de poussière. Et puis assez vite, mes semelles ne sont plus à la hauteur de l'adhérence, je dérape. Impossible de remonter. Pour la discrétion, je repasserai. Au milieu de ce grand champ de gris et glace bien à découvert, on ne voit que moi. Vite, une idée...

    Il y a une petite ouverture sur la rivière souterraine qui rejoint la forêt quelques dizaines de mètres plus bas. Pas le temps de réfléchir, comme toujours, je me glisse dans l'eau glaciale, prend une grande bouffée d'oxygène et plonge sous le névé...

    Le courant était si puissant qu'en vingt secondes, je suis ressorti de l'autre côté, violacé et tuméfié. Je crois que la seule chose qui empêchait cette eau de geler, c'est la puissance démentielle de son courant... Heureusement, le soleil cognait encore assez fort et mes vêtements ont sèché sur le trajet qui rejoignait le parking. Ce fut un peu long, mais ce fut le prix de mon inexistence. Le bus était garé à côté du chemin et j'ai pu y remonter sans attirer l'attention du conducteur de la jeep des militaires.

    - Alors, on avait une grosse envie?

    C'est ce qu'il a trouvé de mieux!

    - Ouais, ça fait du bien quand ça sort, pas vrai. Et puis en Chine, ça devient vite un souvenir!

    - Ah ah.

    Oui, ah ah, c'est assez drôle si on a pris du gaz hilarant.


    Enfin, c'était moins une. Nous avons retrouvé nos chambres à l'hôtel pour une douche et un somme. Quand tout le monde a été endormi, je me suis faufilé au dehors. Je suis enrhumé.

    Dans chaque ville frontière, il y a un informateur. Le type le plus louche du bouge le plus sordide, c'est un gars à «nous». Cette ville semble être le ring des bouges sordides en lice pour le titre mais un se distingue, plus glauque: le salon de massage est accessible par une ruelle sinueuse qui donne sur un hall. Pédro était là, il souriait à une des masseuses, nous nous sommes regardés avec un air de "fais ce que tu as à faire" et on s'est ignorés.

    L'odalisque puait le vice jusque dans sa respiration. Les œillades pleines de maquillage et les sourires aux dents jaunes: c'est ici. La carte des massages est une invitation aux perversions, commentée par un ongle vernis qui caresse la feuille glacée avec une lenteur suave. Ses explications sont intenables, elle articule chaque syllabe avec des expirations pesées, frotte ses cuisses l'une contre l'autre sous sa jupe en cuir bleu et la scène se colore de phéromones bestiales. Mission ou pas, c'est la saison du rut pour les espions, il me faut une pièce libre avec elle, je veux son rouge à lèvre sur les couilles: «Ok, le plus cher...

    - Par ici mon grand...»


    Les gars du salon nous regardent partir avec des sourires complices et le couloir devient la plus longue des salles d'attentes. Au quatrième pas vers la chambre, je commence à peiner sous les assauts des terminaisons nerveuses qui frottent les tissus et puis nous voilà. Elle ferme la porte, j'enlève ma ceinture qui me tombe étrangement sous la main et la regarde avec un air conquérant. Sans sourciller, elle lance un regard en biais et d'une voix de collègue me propose à boire. Mon contact. Et c'est surprenant comme la géopolitique n'a vraiment rien, mais vraiment rien d'érotique, à partir du troisième mot sur la situation au Tibet, elle n'est plus qu'un informateur qui charge un peu sur le fard à paupière.


    En fait, suite à des complications dans une affaire de drogue, les frontières du Tibet sont particulièrement surveillées et on est au bord de l'embargo touristique. Tous les véhicules qui arrivent sont fouillés au peigne fin: tout ce qui n'est pas en règle est détruit d'une manière ou d'une autre et tout ce qui reste est suivi à la trace par une kyrielle de check-point...


    Ce cher Franck n'a aucun avenir. Habituellement la route de Deqin ne voit passer que des camions de marchandises et des jeeps de touristes, les services chinois ont décidé d'y durcir radicalement les contrôles pour éviter toute fuite illégale pendant l'enquête. J'ai besoin d'une nouvelle identité. Dans ces cas là, la règle est de ne surtout pas bouger, ils me repèrent et je reçois de nouvelles instructions. Le mieux pour Franck, c'est de disparaître, de se fondre dans un endroit touristique et de prendre du bon temps, retour à Dali.

    Après quelques jours assis dans un canapé à siroter des jus de fruits, je reçois la missive en question. «Rendez-vous sur le Culinan à 18h.»

    Le Culinan? Qu'est-ce que c'est? Personne ici n'a l'air de le savoir... CA c'est un vrai code secret, personne ne peut le décrypter! Mais ça veut dire aussi que je ne suis pas plus avancé. Apparemment le Culinan est un diamant de 3000 et quelques carats trouvé en Afrique en 1901. Voilà, merci l'encyclopédie, et alors?

    En Asie du sud-est entre les colonies, les ex-colonies, les invasions diverses et variées et les royaumes millénaires, les richesses ont été déplacées sur des milliers de kilomètres. Ce diamant peut être n'importe où. Je commence à croire qu'on veut juste m'occuper, on me fait tourner en rond pour huiler les mécaniques en cas de problème. Ces stupides énigmes qui mènent à des impasses, ces semaines interminables qui ne me disent toujours pas ce que je fais ici! Mais dans un sens, je vois du pays...


    * Ca y est, j'ai trouvé quelques infos supplémentaires. Le Culinan I, c'est le plus gros joyau des bijoux de la Couronne. Mais en Asie, il n'y a plus vraiment de "bijoux" anglais. A moins qu'ils utilisent des vieux codes qui n'avaient pas servi. C'est possible... Pour ce qui est de payer des réceptions, on a de l'argent mais pour les codes secrets, PAS UN RA-DIS! QUE DALLE! Qu'est-ce que je dois faire, résoudre cette énigme avec les données des années 30 ou ramer encore pendant vingt jours? La plus récente possession anglaise ce pourrait être Hong Kong, rendue à la Chine en 1997. Ca paraît vraisemblable compte tenu de la dualité du système...



    * Kunming, aéroport, Hong Kong, j'aviserai sur place. Franck ne survivra pas au voyage, alors autant s'économiser cinquante heures de train, arriver un peu en forme.

    * C'est idiot mais je m'étais bien habitué à ces gens...


    HONG KONG


    Comment faire tenir le gigantisme sur une pièce de monnaie? La réponse est ici. L'île entière, Kowloon et les nouveaux territoires sont entièrement pacifiés par l'argent et tout lui est dédié, les buildings commerciaux démesurés, les clapiers humains de cent trente mètres de hauteur, les transports et la police. Tous les échantillons d'humanité se retrouvent ici pour le business. Hôtel pour voir venir, collation, prospection.

    Trois jours durant, je "cherche" ce joyau dans les rues, les shopping mall et les guides de la ville, les zoos, les parcs et les bateaux. Rien. User mes semelles des heures durant pour aller d'un endroit à l'autre à cause de cette satanée montagne en plein milieu. Le métro ultramoderne qui dessert tous les lieux consommables à condition qu'on trouve assez de force pour parcourir les kilomètres de rampe d'accès. Et pour les endroits plus intimes, il y a le bus ou les taxis parce que de l'autre côté du peak, on ne trouve que la population aisée.

    2 jours de plus à creuser le sujet sur les bijoux et les couronnes. C'est tout.

    A court d'idée, je décide de regarder l'île d'en haut. Je prends le funiculaire datant du début du siècle qui monte au Victoria Peak et ... QUI MONTE AU VICTORIA PEAK! VIC-TO-RIA PEAK! Et qu'est-ce qu'on trouve sur la tête de Victoria? Hein!?

    Sa couronne, c'est la station radio qui trône au sommet! L'inaction perd la réflexion, je tourne autour depuis 5 jours sans jamais y avoir prêté une attention autre que rageuse. Quel demeuré, c'est pas vrai! Le funiculaire s'arrête aux trois quarts, le reste se fait à pieds. C'est un rendez-vous judicieux pour la tranquillité quand on a vu fonctionner les Hongkongais: jamais ils ne vont là où il n'y a pas d'escalators, encore moins s'il faut monter.

    Le jour s'achève quand j'arrive à proximité de l'antenne métallique. Belle vue! Des oiseaux bizarres font des bruits en rapport. Au loin, je crois entendre l'un d'eux dire «C'est pas trop tôt!» et puis de l'escalier mangé par la végétation qui mène ici sort un homme roux, européen, avec une chemise moulante kaki qui laisse dépasser quelques poils du torse. C'est affreux.

    - Dis donc mon vieux, il va falloir te presser un peu, le 14 c'est demain et puis il va falloir te saper correctement, c'est pas une soirée pastis, qu'est-ce que tu fous depuis 10 jours?

    Inutile de lui dire quoi que ce soit, il n'a pas l'air très compatissant avec les mecs qui cherchent de l'eau salée dans l'océan.

    - Bonjour.

    - Oui c'est ça, bonjour. Ca fait 10 jours que je me crève à monter ici tous les soirs alors tes allusions sur la politesse tu peux les garder mon vieux. Bon, alors, pour demain, t'es prêt parce que je sais pas si tu as bien compris le topo mais demain soir, c'est le 14 juillet et on fait ça avec tout le gratin. Paraît que tu dois voir des gens, et ben crois-moi tu rentreras pas habillé comme un clodo. J'suis pas une nurse, j'ai du boulot, demain tu te trouves des fringues correctes, tiens voilà 500 balles, on a rendez-vous à 7h devant le Continental Hôtel. Sois pas à la bourre.


    Et il repart tout essoufflé. De près, la chemise n'était pas tellement moulante, mais disons que son corps s'arrangeait pour la rendre moulante par de subtils stratagèmes adipeux. Je ne sais pas ce qu'on lui a dit mais demain je le retrouve pour aller faire le pique-assiette dans une soirée prétexte. Il fait bon, un peu chaud, chaud en fait, humide presque noyé, je vais descendre doucement, comme un promeneur tout étourdi par le repas. Les papillons géants virevoltent autour des plantes tropicales et ça suffit pour être agréable. Dans la baie, quelques paquebots titanesques transportent deux mille tonnes de fret, les buildings tout en vitres reflètent le soleil couchant. Deux heures plus tard, je m'effondre sur mon lit.

    «Nutrition et déglutition»


    14. Shopping dans les grands magasins des grands centres commerciaux, etc. Ces chinois de Hong Kong, ils sont tellement cupides qu'ils vendraient leur liberté pour de l'argent. Il est dix-neuf heures, j'attends sur le parking du Continental en smoking blanc au milieu des voitures qui auraient pu rouler à trois cents kilomètres-heure si ce n'était pas limité à trente. Les convives et leurs maris arrivent à pieds ou en taxi pour manger aux frais de l'état.

    Dans un éblouissement pour les yeux, je vois apparaître mon grassouillet d'hier soir en tenue de gala. Un délice. De tous côtés son corps appelle à la libération, difficilement rappelé à l'ordre par la décence d'un smoking en velours noir à pattes d'éléphants. Elle aussi à pattes d'éléphants, sa muse se contorsionne dans un ravissant fourreau de tulle beige qui laisse deviner pour les plus téméraires la douceur de ses courbes.

    - Comment ça va vieux? On sent que t'es mal à l'aise dans le beau linge, hein?! Fais comme moi, décontracte, on va se goinfrer à l'œil toute la nuit. Au fait, je te présente ma compagne, Ernestine.

    - Salut.

    - Salut.

    - Bon, on y va?! On va pas rester sur le parking alors qu'il y a le buffet dedans!


    D'un pas déterminé qui tire sur la droite parce que les chaussures à talons de sa femme le sont un peu moins, il se dirige vers la sécurité. Le consul sera là, quelques-uns des plus riches français d'Asie et quatre-vingt-dix pour-cent de gens tout aussi importants pour eux-mêmes que les autres pour la France alors la sécurité se doit d'être maximale: gros yeux et suspicions. Le velours et le fourreau montrent des passeports français et se dirigent vers l'escalier, ils se retournent, le velours dit «il est avec moi» et le garde répond «allez-y». L'avantage de ce genre de type c'est qu'on sait au premier regard qu'ils sont convaincus d'avoir le droit d'entrer partout et il est plus facile de s'en débarrasser à l'intérieur que de leur expliquer qu'ils n'ont pas d'invitation. En haut de l'escalier qui mène au hall du buffet bondé, il dit avec un clin d'œil malicieux et gourmand «à tout à l'heure, vieux, je vais me vautrer dans les canapés...».


    Une telle pertinence dans l'humour m'a ému, je l'avoue. Surtout pour une phrase de sortie de scène: rôle court mais intense, je ne l'ai revu qu'une seule fois, deux heures plus tard, toujours en train d'accomplir sa destinée. Mais pour l'heure paraît-il, «j'ai des gens à voir». Il faut avoir un verre à la main, regarder autour de soi d'un air désinvolte et aller d'une allure décidée vers quelqu'un qu'on s'imagine connaître, de préférence nulle part en particulier. C'est un art plus fin encore de se glisser complètement désintéressé vers le banquet ou les stands d'alcool. Tout le monde fait semblant de se parler mais personne ne s'en offense parce que la seule préoccupation c'est de proposer en souplesse quelque chose à manger pour en manger au passage. En dix minutes à peine de ce petit jeu, après le discours officiel d'ouverture dans un brouhaha indiscipliné, un homme grisonnant en costume noir quelconque s'approche avec une allure décidée un verre à la main.

    - Bonjour Franck, comment allez-vous?

    - Bien.

    - Je suis Ludovic Festerier, nous avons un ami en commun au pays. A ce qu'il m'a dit vous auriez quelques soucis de douane?

    - En effet.

    - J'ai arrangé ça avec un de mes collègues. Tout est fait pour vous faciliter la tâche. Il s'appelle Marco Zédung, il est chirurgien, il vous expliquera. Il vous attend dans son laboratoire sur Lama...

    - Merci.

    - Sinon, comment trouvez-vous notre île?

    - Oh, très belle Monsieur.

    - Je vous en prie, appelez-moi Ludovic.

    Bla-bla-bla, etc.


    A vingt-trois heures, les cuisines étaient vides, les bouteilles étaient vides, tout était vide. Les serveurs cantonnais se bidonnaient de voir tous ces morfales à cours d'occupation et les vigiles ont commencé à mettre les gens dehors. A minuit, tout était fini.


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