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    Gentleman

    I


    La rue aujourd'hui est bondée d'un bout à l'autre. Les grèves et les manifestations paralysent le pays. Dans une heure, tout sera fini, Zaïre Bébéo aura enfin réussi à acheter son paquet de cigarettes. Il fume pour arrêter de manger. Un passant l'interpelle: "Attention!", mais trop préoccupé par la circulation venant de tous côtés, il s'est cogné contre un pylône électrique.

    Un peu sonné, c'est en jurant qu'il passe devant la mendiante qui fait la manche devant son bureau de tabac et c'est en jurant qu'il lui répond d'aller se faire foutre. Mais à peine en face du présentoir à tubes cancérigènes, il s'en veut déjà d'avoir réagi de cette façon. Cette femme qu'il croise deux fois par semaine semble plutôt timide et à la réflexion, les mots qu'elle a prononcés ressemblaient davantage à "que vous est-il arrivé?" qu'à "file-moi un pièce sale bourge!". En d'autres circonstances, il lui aurait peut-être même fait son numéro de charme. C'est vrai, à part quelques mèches de cheveux emmêlées et son jogging violet, c'est une très belle femme. Un peu mélancolique certes, mais qui ne le serait pas à rester pendant des mois dans la rue?

    "Je me demande bien comment une femme aussi jolie à pu en arriver là..."

    Notons que si cette mendiante avait été laide, il ne se serait peut-être pas posé la question. Dans le cœur des hommes, toutes les princesses sont jolies. Dans le coeur des femmes aussi d'ailleurs. C'est un peu cette mascarade de l'apparence qui complique les relations, mais c'est une autre histoire...

    Refusant de rester sur une erreur, Zaïre, en sortant du tabac, se dirige vers celle qu'il a injuriée.

    - Bonjour, Mademoiselle, dit-il en s'inclinant respectueusement. Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour me faire pardonner?

    - Je ...

    Mais à la vérité, elle ne savait que répondre. Son naturel timide l'empêchait d'éprouver la moindre rancune.

    - Bien sûr, vous ne comprenez pas, continua-t-il. Ne soyez pas impressionnée, je vous en prie. Je me suis conduit avec vous comme un rustre et je voudrais réparer ça. Que diriez-vous d'un gros bouquet de fleurs? Ou d'une tarte aux groseilles?

    - Monsieur, je... Oubliez ça, ce n'est pas grave. Je ne mérite plus d'être traitée avec respect.

    - Que dîtes-vous!? Une femme de votre allure. Peut-être par le passé avez-vous connu quelques déboires mais vous devez garder la tête haute. Venez... Un chocolat chaud vous fera du bien.


    Il la prit par le bras et l'entraîna dans un café. Quand elle se fut assise, il commanda deux chocolats au garçon pendant qu'à l'extérieur, la neige se mettait à tomber. Natasha, car tel était son nom, trouva juste le courage de dire "s'il vous plaît ne me demandez rien", après quoi elle s'empressa de baisser les yeux, les joues à peine plus rosies par la gêne que par le froid qu'il faisait au dehors. "Très bien", acquiesça Zaïre d'un hochement de tête compréhensif.


    Jusqu'à ce que les tasses soient vides, il regarda Natasha jouer avec sa cuillère et regarder le trottoir d'en face d'un air désabusé. "Je vais devoir retourner là-bas, lança-t-elle négligemment. Retourner vendre ces journaux sous la neige pour avoir l'impression de faire quelque chose...". Elle soupira puis regarda Zaïre dans les yeux et reprit. "Merci, Monsieur. A bientôt peut-être.". Et elle s'en fut d'un coup d'aile.


    II


    Zaïre rentra dans sa garçonnière, embrassa la photo de son épouse qui avait pris deux mois "pour réfléchir" et s'assit dans son fauteuil. Il fut bientôt rejoint par une jeune fille d'une vingtaine d'années qui ne pouvait pas être sa fille. Elle s'approcha par derrière et cacha ses yeux pour jouer. Avec un petit sourire forcé, il tira la jeune fille jusqu'à lui et la serra dans ses bras.

    - Julie! Ma Chérie, comment vas-tu aujourd'hui?

    - Je me suis ennuyée sans toi! Quand est-ce que tu vas arrêter de bosser qu'on puisse enfin se câliner toute la journée? fit-elle, boudeuse.

    - Quand tes parents nous feront cadeau de la dot, ma puce.

    - La dot?! Qu'est-ce que c'est?

    - C'est une blague. Avant quand les jeunes filles se mariaient, les parents donnaient une somme d'argent avec elles. Mais c'est un peu dépassé maintenant...

    - Embrasse-moi au lieu de donner des leçons d'histoire!


    Les heures qui suivirent se passèrent sous le dôme brûlant d'une couette en plumes. Pourtant, au sortir de ces activités animales, Zaïre était toujours préoccupé par Natasha. Il l'avait laissée dans le froid après un échantillon de confort. A bien y réfléchir, c'était abject. Il aurait voulu faire plus, mais quoi?

    - Julie, tu m'as bien dit que tu t'ennuyais? J'ai pensé à quelque chose.

    - A quoi? demanda-t-elle.

    - Que dirais-tu si une amie à moi venait s'installer ici quelques temps?

    Là-dessus, Julie s'énerva d'un seul coup.

    - J'ai dit que je m'ennuyais de toi! Qu'est-ce que tu veux que je fasse avec une de tes amies, des partouses?! Ce sera encore pire que quand tu n'es pas là, parce qu'on ne sera plus du tout seuls tous les deux, alors non! Mais fais comme tu veux, ajouta-t-elle malhonnête.

    - Bon, oublions cela. Excuse-moi. Je n'avais pas envisagé les choses sous cet angle, tu as raison, je préfère t'avoir pour moi tout seul.

    Pourtant, il resta sur une impression amère et l'embrassa dans le cou pour cacher son visage.


    III


    Quelques jours plus tard, Julie remit ça sur le tapis.

    - Qui c'était cette fille?

    - Qui?

    - La fille que tu voulais amener ici? Une ex à toi?

    - Non, c'est... une amie du bureau qui... a quelques soucis en ce moment chez elle.

    - Elle est belle?

    - Oui. Non. Je n'en sais rien... Pourquoi tu me parles de ça maintenant?

    - Parce que tu as cédé bien trop facilement, c'est bizarre. Tu couches avec elle?

    - Mais non, voyons. Je ne couche qu'avec une seule femme...

    - Qui?

    - Réfléchis, lança-t-il avec un sourire.

    Elle hésita quelques secondes et puis se mit à rire.

    - Excuse-moi, dit-elle en riant toujours, je suis partie un peu vite dans la crise de jalousie, non?

    - Je le prends bien, rassura-t-il. Viens me faire un bisou, gamine.

    - D'accord mais promets-moi qu'il n'y a rien entre cette fille et toi.

    - Promis.


    Ils s'embrassèrent et Julie partit dans la chambre s'habiller. Elle revint pourtant quelques minutes plus tard, anxieuse.

    - Dans trois jours, je vais retourner chez mes parents, tu ne vas pas la faire venir ici, hein?

    - Bien sûr que non, j'ai vu dans quelle état ça te mettait rien que d'en énoncer l'idée.

    - Tu en es bien sûr? Parce que je sais comment ça se passe ce genre de chose, elle va tourner dans ton appartement en sous-vêtements, être pleine de petites attentions et puis tu vas lui sauter dessus exactement comme elle l'aura voulu...

    - Comment tu sais ça, toi? Et puis elle n'est pas comme ça. Et si je ne veux pas, je ne lui sauterai pas dessus, je suis encore capable de me contrôler, non?!

    - Essaie de te rappeler comment tu t'es contrôlé le jour où est sorti ensemble. Mes copains étaient à peine partis que tu m'as jetée dans un coin pour me prendre!

    - Mais là, j'en avais envie!

    - Moi aussi, mais je crois que si je ne t'avais pas harcelé de clins d'œil et soulever un peu ma jupe devant ton nez, on y serait encore... Je ne mets pas ta fidélité en doute, mais fais attention.

     

    Ils terminèrent cette discussion comme ils l'avaient commencée. Zaïre décida d'oublier cette histoire et Julie redoutait son départ comme une chute inévitable.


    IV


    Le jour en question arriva. Julie rentra chez elle. Et Zaïre se retrouva seul dans son grand appartement. Juste avant de partir, elle avait dit "surtout, pas de bêtises, hein!?", mais il avait balayé cette remarque certain que cette gamine de vingt ans n'y connaissait rien.

    Il reprit pourtant ses habitudes de célibataire et sans personne pour l'empêcher de fumer, il retourna acheter ses cigarettes au bureau du coin de la rue.

    Il ne tarda pas à retrouver Natasha, plus mélancolique et abattue que jamais. L'hiver battait désormais son plein et la vie dans la rue était devenue insupportable.

    Ce fut plus fort que lui, il aborda Natasha.

    - Bonjour, Natasha.

    - Bonjour, Monsieur.

    - Je m'appelle Zaïre.

    - Bonjour Zaïre. Comment allez-vous?

    - Bien, bien, mais ce serait plutôt à moi de vous poser la question. Natasha, qu'est-ce que vous faîtes encore dehors par ce temps?

    - J'aime la neige, ironisa-t-elle - mais elle se ressaisit vite. Je n'ai nulle part où aller.

    - Pourquoi n'allez-vous pas dans un de ces foyers en attendant de retrouver un logement?

    - En fait... c'est surtout réservé aux hommes, ce genre de foyer... murmura Natasha troublée.

    - Mais non, il doit s'agir d'une erreur, vous avez certainement droit à une place!

    - Oui... Peut-être...

    Mais Zaïre comprit soudain son manque de discernement.

    - Je suis stupide, excusez-moi. J'ai l'impression de n'être jamais bien adroit quand nous nous rencontrons.

    - Vous ne pouviez pas savoir...

    - J'aurais dû comprendre, pardonnez-moi. Natasha, reprit-il sur un ton affirmé, je serais honoré que vous veniez passer les semaines à venir chez moi. Vous aurez entière liberté de vous installer. Je ne serais là que le soir et vous ferez ce qui vous chante, je ne vous dérangerais pas. Je vous en prie, acceptez. C'est un peu soudain comme proposition mais je refuse de vous laisser une fois de plus dans ce froid glacial.

    - Mais votre femme?

    - Elle est... morte il y a quelques années.

    - Je suis désolée.

    - Pour vous faire pardonner, acceptez!

    - Enfin, Monsieur... Zaïre, je ne vous connais pas. Comment expliquerez-vous à vos voisins que j'habite chez-vous?

    - C'est sans importance, réfléchissez bien Natasha, c'est une proposition intéressante : vous aurez la télévision, du chauffage, un lit bien à vous et une salle de bain avec une baignoire. Vous aurez tout le temps de chercher une nouvelle situation. S'il vous plaît, acceptez!


    Le fait que Zaïre ait été un homme marié était rassurant, c'est vrai, mais pas assez pour s'empêtrer dans une proposition aussi inattendue venant d'un étranger. Pourtant l'argument de la salle de bain avait pesé... Depuis combien de jours n'avait-elle pas pris de bain? Depuis combien de jours n'avait-elle pas coiffé ses cheveux? Bien sûr, elle ne se trouvaient pas à la hauteur de tout ce confort mais l'homme qui s'exaltait devant elle semblait si heureux de l'inviter qu'elle refusa de le contrarier.

    - D'accord, minauda-t-elle.

    - Donnez-moi vos affaires, Natasha, et suivez-moi.

    V


    Ils marchèrent jusqu'à la porte d'entrée, montèrent les quatre étages et se retrouvèrent dans l'appartement de Zaïre.

    - Bienvenue chez vous. Ici, vous avez les toilettes, là la salle de bain et enfin, votre chambre. Je vais ranger quelques affaires pour vous faire de la place, pendant ce temps, allez prendre un bain. Demain, nous irons vous acheter une tenue correcte pour vos entretiens d'embauche.

    Un tel enthousiasme ravit Natasha qui se croyait dans un conte de fée. Elle prit son sac et marcha discrètement jusqu'à la salle de bain.

    - N'ayez pas peur, Natasha, vous êtes ici chez vous.

    - Merci, Zaïre.


    Zaïre entassa sous son plan de travail toutes les babioles qui traînaient dans sa chambre d'ami et se mit à préparer le repas. Pendant ce temps, Natasha se regardait dans la glace en écoutant le glouglou de l'eau dans la mousse. Elle n'y croyait toujours pas et quand elle croisa ses yeux dans la glace, elle ne pu contenir un sourire. Une fois sûre que la porte était bien fermée, elle se déshabilla et s'engouffra avec volupté dans l'eau chaude.


    Une heure plus tard, elle sortit enfin dans un nuage de vapeur et s'installa à la table à manger sur l'invitation de Zaïre.

    - Voilà, je vous ai préparé une salade lyonnaise mais il n'y avait plus de croûtons à l'ail, je les ai remplacés par des natures, et puis il y a une entrecôte grillée dans la poêle. Je dois vous laisser, j'ai un peu de retard dans mon travail. Régalez-vous, prenez votre temps, nous nous verrons tout à l'heure. Le sel est dans ce placard. A plus tard.

    Il n'y avait rien à dire, elle le remercia d'un signe de tête et dévora son dîner.


    En réalité, la sauce de salade était trop forte et la viande froide quand elle l'entama mais elle ne s'en rendit pas compte. Elle oubliait presque que la rue l'attendait de l'autre côté de la porte au moindre changement d'humeur de son bienfaiteur.


    VI


    Les jours qui suivirent lui firent complètement oublier. Après son repas, il lui montra son lit, la salua d'un "bonsoir" et retourna à son travail. Ensuite, ils ne se croisèrent pratiquement pas. Il avait laissé le deuxième jour un double des clefs sur la table avec un peu d'argent et un petit mot gentil. Après quatre jours, elle avait déjà obtenu un rendez-vous dix jours plus tard pour un emploi dans un fast-food. Ce n'était pas le métier de ses rêves, mais il faut bien commencer quelque part. Elle faisait de son mieux pour que tout soit impeccable quand Zaïre rentrait le soir. Elle dormait le plus souvent mais il lui semblait que c'était le moindre des remerciements. Au bout d'une semaine, elle commença à se détendre, à oublier des cheveux sur l'évier de la salle de bain. La porte de sa chambre restait parfois ouverte quand elle s'écroulait sur son lit.


    Zaïre quand à lui était ravi qu'elle se sente enfin chez elle. Elle avait retrouvé assez d'énergie pour se réinsérer et maintenant qu'elle prenait soin d'elle, elle était tout simplement magnifique. Il jouait, quand il rentrait tard, à épier par la porte entrebâillée et à déchiffrer son écriture rapide pour lui dire qu'elle avait fait la cuisine. Il avait craint qu'elle ne se sente trop obligée et reste prostrée sans rien faire mais à l'évidence, elle avait décidé de reprendre du poil de la bête et ne passait pas son temps en salamalecs.


    VII


    Le jour de l'entretien arriva. Natasha se leva une heure avant Zaïre pour se préparer. Elle tournait en rond dans l'appartement cherchant des choses inutiles pour se calmer. Avec tout ce remue-ménage, Zaïre passa sa dernière heure de sommeil à se retourner, la tête sous l'oreiller. Quand il émergea enfin, ce fut dans une forme mitigée. "Qu'elle réussisse son entretien et qu'elle fiche le camp bon Dieu!". Ils avaient convenu de ça. Natasha avait insisté pour faire comprendre qu'elle partirait sitôt sa situation rétablie. Plus pour se convaincre elle-même d'ailleurs. Avec un salaire, tout n'arrive pas tout seul, mais c'est déjà plus facile.

    A peine Zaïre était-il sorti de sa chambre qu'il oublia toutes ses pensées médiocres. Natasha était resplendissante! Le trac mettait sur son visage une fraîcheur enfantine contredite par sa silhouette épanouie, encore un peu maigre mais plus belle encore de promesses.

    Elle avait encore l'air de chercher quelque chose quand elle s'aperçut que Zaïre la regardait.

    - Ca ne va pas! Je ne suis pas assez pomponnée! Et...

    Mais Zaïre s'était perdu dans le mouvement de ses lèvres un rien surlignées par du rouge.

    - Non, vous êtes parfaite, Natasha. Si jamais c'est un homme, il succombera sans aucun doute...

    - Et si c'est une femme! coupa-t-elle.

    - Si c'est une femme, elle sera séduite par votre candeur, ma chère. N'en faîtes pas trop, ce n'est qu'un emploi dans un fast-food. Soyez calme et tout ira bien.

    - Oh, merci Zaïre, merci, merci. Je ne sais pas comment vous remercier...

    - Redevenez vous-même!

    - Oui, j'essaierai. Merci, merci, à tout à l'heure.


    Il la regarda partir avec une drôle d'émotion. Comme s'il appréhendait sa réussite. Elle ne serait plus là. A part deux ou trois coups de fils, Julie ne l'avait pas retenu très longtemps, il s'était laissé bercé par son rôle de protecteur, et la fin de cette situation lui faisait un effet indescriptible. "Peut-être que Julie avait raison finalement... Non! Natasha n'a jamais rien fait! C'est seulement une très belle femme reconnaissante, rien d'autre... Pas de bêtises! Et puis Julie revient dans deux semaines...".

    Il dû interrompre ses divagations pour retrouver le chemin de son travail avant d'être définitivement en retard.


    VIII


    Quand il rentra chez lui ce soir là, Natasha était dans la cuisine. Elle s'affairait comme une abeille, tant et si bien qu'elle ne l'entendit pas plus que le matin. Elle avait l'air aux anges.

    - Zaïre! J'ai réussi, exulta-t-elle. J'ai signé ce matin pour un mois d'essai. Je serai tellement efficace qu'ils vont me supplier de rester et dans un an quand j'aurai un peu d'argent de côté, je reprendrai mes études d'économie. Merci, merci, merci.

    Comme elle disait ces mots, elle s'était jetée sur Zaïre et l'avait embrassé sur la joue. Il la serra poliment contre lui, la félicita en retour et sentit qu'elle lui caressait les fesses.

    - Natasha, que faîtes-vous? demanda-t-il surpris.

    - Pardon, vous n'en avez pas envie?

    - Je ne sais pas... J'ai peur que vous fassiez une bêtise parce que vous êtes enthousiaste. Réfléchissez-y. Et puis je rentre du travail, je ne suis pas présentable! prétexta-t-il avec humour.

    Et il se dirigea calmement vers la salle de bain où il s'enferma.


    "Je ne peux pas faire ça, elle va le regretter, c'est sûr... En même temps, je ne peux pas l'en empêcher et ce serait mentir que de dire que je n'en ai pas envie... Je ne sais pas, et autres tergiversations...".


    Dix minutes plus tard, il sortit nu comme un vers de la salle de bain, gréé à tout rompre. Elle le regarda avec un sourire amusé et complice. Il baissait le regard comme un enfant qu'on prend en flagrant délit et avoua entre gène et désir "voilà, je suis propre maintenant".


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    La Médaille


    Un anniversaire de mariage, une éphéméride ou aucune raison particulière, ça se fête, quand on aime on ne compte pas. Quand on est aimé parfois on compte.

    C'est toujours agréable de rentrer dans une maison éclairée aux bougies en marchant sur un parterre de pétales de roses, si si... Le vin a beau être toujours le même, c'est du très bon vin.

    On n'y voit pas trop dans l'escalier à cause des bougies, les pétales sont glissants et ils seront un peu éméchés mais ce sera son problème quand il lui fera le coup de la nuit de noces et la portera jusqu'à la chambre.

    Son haleine empestera le vin, mais c'est du très bon vin. Après toute une journée à éplucher des roses et la montée des escaliers, il s'endormira avant même un bisou, laissant sa femme comblée se relever pour balayer les pétales, poncer la cire fondue et faire la vaisselle.


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  •   L'A.M.O.U.R. avec un grand A,

    un grand M, un grand O...

     

    L'Amour est le plus beau des caprices

    Le dernier enfantillage au-delà des images

    L'ultime parcelle de vie qui nous nargue de ses sourires,



    L'Amour, c'est la fin de l'épée

    Qui plane par dessus la conscience, qui libère et sublime

    Les animaux qui sommeillent,



    C'est oublier les règles pour s'abandonner

    Accepter la tourmente futile,

    L'étreinte de l'éphémère

    Et prendre aujourd'hui pour un présent magique



    L'Amour, c'est s'extraire de son corps

    Défier les lois du temps

    Et s'étendre de tout son long dans l'herbe


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    Le Troisième Œil


    Tanka, poème japonais


    * Labeur amoureux

    Alangui par l'usage :

    Naissante ambition

    Ultime tentative

    Sévir dans l'acrostiche *


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    Cercle Vicieux


    Egophile


    L'important dans la séduction, c'est de trouver la personne réceptive au petit jeu qui consiste à faire passer ses faiblesses pour des traits touchants. Moi, ce que j'aime, c'est imaginer être la fille quand elle a envie de coucher avec moi, ce moment précis où mon esprit la pénètre déjà. A ce moment-là seulement je sais que je me plais. Mais à ses manières de précieuses qui minaude pour enlever sa robe, je sens bien qu'on restera sobre comme des missionnaires, affectueux, doux, et que je m'endormirai le sexe roide comme un pieux de chapiteau. Elle aurait pu réveiller mes instincts, me laisser la prendre comme un sauvage pour oublier nos limites, aller ensemble jusqu'à la charpie, sans retenue... Au lieu de ça, elle sourit niaisement et s'attend à une cérémonie officielle! Rien de mieux pour rester en soi, faire attention aux frontières de son être et à celles de l'autre, gâcher de précieuses minutes pour des histoires de protocole, finir avec de la tendresse bâclée et rentrer chez soi sans en être sorti.

    L'onanisme purge les débordements sur l'intimité de l'autre, cette intimité vaste, impénétrable, s'infiltrant sur chaque parcelle de peau qui refusera les coups, l'incertitude ou la succion. La masturbation frénétique de la frustration d'être en soi, de ne pouvoir décider seul de brûler toutes les frontières avec une autre chaire que la sienne. Les litres de sperme ou de cyprine jetés contre son propre corps comme une vengence sur l'individualité. Pendant l'orgasme, l'esprit se perd en lui-même, décide seul de ce qui le fera jouir en astreignant la réalité à son fantasme. Il se projette et se domine, se possède et s'excite par l'invention du masturbateur. Il enfonce son spéculum dans ce qu'il s'imagine. Il se sodomise.



    Love on the beat


    Elle danse depuis plusieurs minutes dans une ambiance lourde. Les haut-parleurs martèlent un rythme animal et sophistiqué, la funk. Ses cheveux sont défaits et arrivent au milieu de son dos. La natte qu'elle portait leur donnent un aspect frisé érotique qui rappelle les poils pubiens. Dans la vibration des watts elle se trémousse. J'arrive alors par derrière et ne voit plus que son dos. Il paraît que si on peut croire à ses chances d'être le bienvenu, c'est que la porte est entr'ouverte. Avec un regard mêlé de fatigue et de charme, ses paupières prennent le temps de s'ouvrir pour marquer le suspense d'un regard lascif. Je pose mes mains sur ses hanches. La légère chair de poule des incertitudes me parcourt mais elle ne se retire pas. Cette sensation de crainte se change en érotisme brut, je commence à être à l'étroit. Elle m'imagine derrière elle, contrit dans une retenue sociale mais par tous ses mouvements, elle cherche à me pousser à bout, me faire exploser. Je me concentre sur elle, rien qu'elle, déjà en train de la déshabiller, de monter lentement mes mains de ses cuisses aux aisselles, elle lève ses bras et je continue jusqu'à ses mains. Chacun est perdu dans ses fantasmes et c'est une lutte à celui qui sera le plus envoûtant. Je la rapproche d'un geste ferme pour être collé à elle. Tout se partage, les mains caressent, les bassins chaloupent. Une des mains s'aventure sur le ventre et descends sous le premier bouton. Les déhanchements deviennent des simulations de coït, la musique un prétexte. On se décolle pour l'assaut final. Cette séparation est insupportable, tout mon corps la désire. Je fais mine de partir pour la faire venir. On se lance quelques regards lascifs, on se parle mais ça ne veut rien dire d'autre que "baise-moi". La lumière trahit son excitation par les reflets dans le blanc de son œil, elle tend sa main, je la prend avec douceur et la tire jusqu'à moi. Je l'embrasse passionnément. Elle me pousse vers la sortie. Le trajet est de plus en plus difficile entre les érections et les baisers. Plusieurs fois, on se retrouve écrasés contre un mur en train de se pétrir, de se palper, de se salir. A peine un tour de verrou et les jeans sont enlevés, le reste partira plus tard. Contre la porte je la soulève, elle m'enserre de ses jambes et nos corps se débrouillent seuls. Des jambes fines et fermes, enveloppées d'une très légère couche adipeuse qui donne aux doigts l'impression de posséder les cuisses, de les pétrir avant la pénétration. Des soupirs légers et réguliers me font accélérer la cadence. Plus elle en demande plus je veux lui donner, saturer mes muscles d'acide lactique et son corps de mes fluides. Qu'elle ne voit plus que mon étreinte primaire, dans l'abnégation totale. Au dernier moment, elle me repousse et me force à m'allonger sur le sol.

    Elle s'assoit à califourchon et me dirige avec aisance.

    La pénétration est cette fois plus langoureuse, plus féminine, artistique. C'est une transe souple qui explore méticuleusement tous les nerfs. Pris dans la tourmente, je n'ai pas senti passer le premier orgasme et ne respire plus que pour le sien, pour la voir exulter au-dessus de moi, la suivre dans son plaisir. Elle est de plus en plus belle, fatale. Elle se prend à son jeu et redevient la danseuse de tout à l'heure. J'aimerais que cet instant dure des heures. Des heures longues à la contempler aimer son corps et amener le reste à le satisfaire. Je suis l'outil le plus béat du monde, prêt à être vidé de mes forces pour remplir ma mission et quand enfin elle s'abandonne, la volupté n'est plus qu'un mot vulgaire. C'est de l'extase, de la puissance, de la félicité. Ses derniers soubresauts sont délicieux, délectables au point d'en perdre conscience. Elle s'allonge sur mon torse et je peux sentir sa transpiration, ses cheveux et son pouls. Juste quelques mots, "prends-moi dans tes bras". Je l'embrasse sur le front et la serre un peu contre moi pour qu'elle s'endorme, flottant au-dessus de la crasse ambiante.



    Intrications


    Comme au sortir d'un rêve trop net, son angoisse ne se dissipa qu'après de longues minutes. Il dû sortir au monde pour se prouver qu'il était bel et bien réveillé. Un soupir de soulagement parce que tout était simple. Sa concierge l'avait regardé d'un drôle d'air mais c'était seulement la preuve qu'elle n'était pas plus heureuse que le jour d'avant. Le boulanger lui avait lancé une franche salutation avant de le laisser choisir la forme de sa farine pétrie parmi une bonne dizaine. La fleuriste était très jolie et ils devaient dîner ensemble un soir.

    Les tourments de la nuit s'effacèrent très vite sous le poids d'un souci autrement plus important: qu'offrir à une fleuriste pour un premier rendez-vous? Une bouteille d'eau minérale, de l'huile pour le bain, une montre ou un marteau en mousse... le monde regorge de bidules pour toutes les situations mais rien qui ne puisse remplacer les fleurs. C'est idiot mais c'est important. Il faut qu'elle se sente flattée sans être obligée, courtisée mais indépendante. Et si tout se passe bien, dans deux ou trois ans, il devra faire semblant de ne pas vouloir s'investir pour qu'elle continue à vouloir qu'il la demande en mariage...

    Au moins avec la pharmacienne, n'est-ce pas si compliqué, il lui achètera un bouquet et comme la fleuriste a bon goût, c'est elle qui le composera. Peut-être la pharmacienne empile-t-elle les fleurs fanées dans une armoire spéciale, mais ses prétendants sont sûrement moins anxieux au premier rendez-vous, à part ceux qui offrent habituellement des antifongiques, mais ils sont rares.


    Peut-être est-ce pour cela que les tribades inspirent beaucoup d'hommes. Ce doit être par procuration. Il n'y a qu'une femme pour savoir ce qu'une autre désire au-delà de ce qu'elle pense attendre. La pharmacienne le reçu avec une mimique presque imperceptible. Il était sobre et enjôleur, paré de rouge et de bleu sombre à l'instar d'un drap de soie. Elle inspira lentement son parfum. Quelques chandelles brûlaient lentement en jetant des ombres cuivrées. Au cours du repas elle le caressa délicatement pour signifier qu'elle était plus que disposée.

    Il lui a semblé qu'elle devait s'ennuyer, sans quoi elle ne se serait pas autant distraite avec les fleurs. Prétextant un oubli important, il s'est enfui.

    Problème de communication...


    La fleuriste l'avait suivi et épié. Elle marchait maintenant dans cette rue depuis dix minutes. La lenteur de ses pas était celle des prédateurs. Lui marchait devant elle d'un air dépité. Elle le lorgnait de loin avec un air carnivore. Quand il arriva devant sa porte, elle fit mine de le croiser par hasard et s'invita chez lui. Il était un peu perdu dans ses états d'âmes et elle n'eut aucun mal à se glisser sur sa chaise. Il ne put rien faire d'autre qu'être un homme, humilié et désiré. Il se laissa prendre avec arrogance. Elle le serrait entre ses seins et ses cuisses en flattant sa peau contre la sienne. Tous ses muscles tendus prononcaient les galbes de son corps et elle invita les mains de sa victime à enserrer son cul. Elle l'embrassa langoureusement avant de donner sur le reste de son visage les petits coups de langue qui précèdent le baiser. Il est soumis, écrasé, ses mains s'agitent le long du dos de la fleuriste et il devient complice de son propre viol. Avec des gestes suaves, elle pose une de ses lèvres sur l'arcade et masturbe son œil. Elle presse son autre lèvre contre l'os de la joue et aspire avec gourmandise. Entre deux saccades, il voit la langue de la fleuriste rouge et délicieuse qui attise toujours son œil et aussi son beau visage qui le dévore. Alors qu'il expire en elle une dernière fois, elle croque, espiègle, dans son nerf optique.



    Art Consommé


    Ils ont réservé une table pour deux chez le meilleur marmiton de la ville. C'est la bonne heure pour manger. Il faut y arriver vierge, vide, les dents lavées. Après les pompes de la réservation, chacun d'eux prend place sur un tabouret échardé, s'il est vrai que l'on savoure d'avantage le plaisir dans une souffrance légère.


    Ils calent leur respiration et se regardent jusqu'à en oublier le reste. Lentement, très lentement, ils prennent conscience du corps de l'autre, de ce qu'il attend sagement. Chacun d'eux commande le plat de l'autre et le savoure comme de son propre plaisir.


    Le cuisinier excite la luette jusqu'au spasme et exacerbe les papilles pour en exploiter la primeur. Les molécules d'arôme et de parfum pénètrent avec une précision sans hâte à l'intérieur des sens et complètent parfaitement les récepteurs gustatifs, se dévoilent à la bouche dans une sécrétion diffuse. Le vin ample, versé en rosée, invite la langue à lécher lentement le palet au souhait bientôt insoutenable qu'il devienne un sexe.



    Dernière saccade


    Les lèvres sont flasques, les peaux frippées se plissent sous les caresses, mais le sang afflue quand même. Si maigres que les os s'entrechoquent, si vieux que les douleurs étourdissent. Les coeurs palpitent peut-être encore, l'un pour l'autre. Une dernière saccade et le miracle de la reproduction s'accomplit, létal, les coeurs sont arrêtés. La persistance orgasmique durera le temps de leur asphyxie, effaçant deux vies médiocres derrière une bonne baise funèbre.



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