• Cercle Vicieux

     

    Cercle Vicieux


    Egophile


    L'important dans la séduction, c'est de trouver la personne réceptive au petit jeu qui consiste à faire passer ses faiblesses pour des traits touchants. Moi, ce que j'aime, c'est imaginer être la fille quand elle a envie de coucher avec moi, ce moment précis où mon esprit la pénètre déjà. A ce moment-là seulement je sais que je me plais. Mais à ses manières de précieuses qui minaude pour enlever sa robe, je sens bien qu'on restera sobre comme des missionnaires, affectueux, doux, et que je m'endormirai le sexe roide comme un pieux de chapiteau. Elle aurait pu réveiller mes instincts, me laisser la prendre comme un sauvage pour oublier nos limites, aller ensemble jusqu'à la charpie, sans retenue... Au lieu de ça, elle sourit niaisement et s'attend à une cérémonie officielle! Rien de mieux pour rester en soi, faire attention aux frontières de son être et à celles de l'autre, gâcher de précieuses minutes pour des histoires de protocole, finir avec de la tendresse bâclée et rentrer chez soi sans en être sorti.

    L'onanisme purge les débordements sur l'intimité de l'autre, cette intimité vaste, impénétrable, s'infiltrant sur chaque parcelle de peau qui refusera les coups, l'incertitude ou la succion. La masturbation frénétique de la frustration d'être en soi, de ne pouvoir décider seul de brûler toutes les frontières avec une autre chaire que la sienne. Les litres de sperme ou de cyprine jetés contre son propre corps comme une vengence sur l'individualité. Pendant l'orgasme, l'esprit se perd en lui-même, décide seul de ce qui le fera jouir en astreignant la réalité à son fantasme. Il se projette et se domine, se possède et s'excite par l'invention du masturbateur. Il enfonce son spéculum dans ce qu'il s'imagine. Il se sodomise.



    Love on the beat


    Elle danse depuis plusieurs minutes dans une ambiance lourde. Les haut-parleurs martèlent un rythme animal et sophistiqué, la funk. Ses cheveux sont défaits et arrivent au milieu de son dos. La natte qu'elle portait leur donnent un aspect frisé érotique qui rappelle les poils pubiens. Dans la vibration des watts elle se trémousse. J'arrive alors par derrière et ne voit plus que son dos. Il paraît que si on peut croire à ses chances d'être le bienvenu, c'est que la porte est entr'ouverte. Avec un regard mêlé de fatigue et de charme, ses paupières prennent le temps de s'ouvrir pour marquer le suspense d'un regard lascif. Je pose mes mains sur ses hanches. La légère chair de poule des incertitudes me parcourt mais elle ne se retire pas. Cette sensation de crainte se change en érotisme brut, je commence à être à l'étroit. Elle m'imagine derrière elle, contrit dans une retenue sociale mais par tous ses mouvements, elle cherche à me pousser à bout, me faire exploser. Je me concentre sur elle, rien qu'elle, déjà en train de la déshabiller, de monter lentement mes mains de ses cuisses aux aisselles, elle lève ses bras et je continue jusqu'à ses mains. Chacun est perdu dans ses fantasmes et c'est une lutte à celui qui sera le plus envoûtant. Je la rapproche d'un geste ferme pour être collé à elle. Tout se partage, les mains caressent, les bassins chaloupent. Une des mains s'aventure sur le ventre et descends sous le premier bouton. Les déhanchements deviennent des simulations de coït, la musique un prétexte. On se décolle pour l'assaut final. Cette séparation est insupportable, tout mon corps la désire. Je fais mine de partir pour la faire venir. On se lance quelques regards lascifs, on se parle mais ça ne veut rien dire d'autre que "baise-moi". La lumière trahit son excitation par les reflets dans le blanc de son œil, elle tend sa main, je la prend avec douceur et la tire jusqu'à moi. Je l'embrasse passionnément. Elle me pousse vers la sortie. Le trajet est de plus en plus difficile entre les érections et les baisers. Plusieurs fois, on se retrouve écrasés contre un mur en train de se pétrir, de se palper, de se salir. A peine un tour de verrou et les jeans sont enlevés, le reste partira plus tard. Contre la porte je la soulève, elle m'enserre de ses jambes et nos corps se débrouillent seuls. Des jambes fines et fermes, enveloppées d'une très légère couche adipeuse qui donne aux doigts l'impression de posséder les cuisses, de les pétrir avant la pénétration. Des soupirs légers et réguliers me font accélérer la cadence. Plus elle en demande plus je veux lui donner, saturer mes muscles d'acide lactique et son corps de mes fluides. Qu'elle ne voit plus que mon étreinte primaire, dans l'abnégation totale. Au dernier moment, elle me repousse et me force à m'allonger sur le sol.

    Elle s'assoit à califourchon et me dirige avec aisance.

    La pénétration est cette fois plus langoureuse, plus féminine, artistique. C'est une transe souple qui explore méticuleusement tous les nerfs. Pris dans la tourmente, je n'ai pas senti passer le premier orgasme et ne respire plus que pour le sien, pour la voir exulter au-dessus de moi, la suivre dans son plaisir. Elle est de plus en plus belle, fatale. Elle se prend à son jeu et redevient la danseuse de tout à l'heure. J'aimerais que cet instant dure des heures. Des heures longues à la contempler aimer son corps et amener le reste à le satisfaire. Je suis l'outil le plus béat du monde, prêt à être vidé de mes forces pour remplir ma mission et quand enfin elle s'abandonne, la volupté n'est plus qu'un mot vulgaire. C'est de l'extase, de la puissance, de la félicité. Ses derniers soubresauts sont délicieux, délectables au point d'en perdre conscience. Elle s'allonge sur mon torse et je peux sentir sa transpiration, ses cheveux et son pouls. Juste quelques mots, "prends-moi dans tes bras". Je l'embrasse sur le front et la serre un peu contre moi pour qu'elle s'endorme, flottant au-dessus de la crasse ambiante.



    Intrications


    Comme au sortir d'un rêve trop net, son angoisse ne se dissipa qu'après de longues minutes. Il dû sortir au monde pour se prouver qu'il était bel et bien réveillé. Un soupir de soulagement parce que tout était simple. Sa concierge l'avait regardé d'un drôle d'air mais c'était seulement la preuve qu'elle n'était pas plus heureuse que le jour d'avant. Le boulanger lui avait lancé une franche salutation avant de le laisser choisir la forme de sa farine pétrie parmi une bonne dizaine. La fleuriste était très jolie et ils devaient dîner ensemble un soir.

    Les tourments de la nuit s'effacèrent très vite sous le poids d'un souci autrement plus important: qu'offrir à une fleuriste pour un premier rendez-vous? Une bouteille d'eau minérale, de l'huile pour le bain, une montre ou un marteau en mousse... le monde regorge de bidules pour toutes les situations mais rien qui ne puisse remplacer les fleurs. C'est idiot mais c'est important. Il faut qu'elle se sente flattée sans être obligée, courtisée mais indépendante. Et si tout se passe bien, dans deux ou trois ans, il devra faire semblant de ne pas vouloir s'investir pour qu'elle continue à vouloir qu'il la demande en mariage...

    Au moins avec la pharmacienne, n'est-ce pas si compliqué, il lui achètera un bouquet et comme la fleuriste a bon goût, c'est elle qui le composera. Peut-être la pharmacienne empile-t-elle les fleurs fanées dans une armoire spéciale, mais ses prétendants sont sûrement moins anxieux au premier rendez-vous, à part ceux qui offrent habituellement des antifongiques, mais ils sont rares.


    Peut-être est-ce pour cela que les tribades inspirent beaucoup d'hommes. Ce doit être par procuration. Il n'y a qu'une femme pour savoir ce qu'une autre désire au-delà de ce qu'elle pense attendre. La pharmacienne le reçu avec une mimique presque imperceptible. Il était sobre et enjôleur, paré de rouge et de bleu sombre à l'instar d'un drap de soie. Elle inspira lentement son parfum. Quelques chandelles brûlaient lentement en jetant des ombres cuivrées. Au cours du repas elle le caressa délicatement pour signifier qu'elle était plus que disposée.

    Il lui a semblé qu'elle devait s'ennuyer, sans quoi elle ne se serait pas autant distraite avec les fleurs. Prétextant un oubli important, il s'est enfui.

    Problème de communication...


    La fleuriste l'avait suivi et épié. Elle marchait maintenant dans cette rue depuis dix minutes. La lenteur de ses pas était celle des prédateurs. Lui marchait devant elle d'un air dépité. Elle le lorgnait de loin avec un air carnivore. Quand il arriva devant sa porte, elle fit mine de le croiser par hasard et s'invita chez lui. Il était un peu perdu dans ses états d'âmes et elle n'eut aucun mal à se glisser sur sa chaise. Il ne put rien faire d'autre qu'être un homme, humilié et désiré. Il se laissa prendre avec arrogance. Elle le serrait entre ses seins et ses cuisses en flattant sa peau contre la sienne. Tous ses muscles tendus prononcaient les galbes de son corps et elle invita les mains de sa victime à enserrer son cul. Elle l'embrassa langoureusement avant de donner sur le reste de son visage les petits coups de langue qui précèdent le baiser. Il est soumis, écrasé, ses mains s'agitent le long du dos de la fleuriste et il devient complice de son propre viol. Avec des gestes suaves, elle pose une de ses lèvres sur l'arcade et masturbe son œil. Elle presse son autre lèvre contre l'os de la joue et aspire avec gourmandise. Entre deux saccades, il voit la langue de la fleuriste rouge et délicieuse qui attise toujours son œil et aussi son beau visage qui le dévore. Alors qu'il expire en elle une dernière fois, elle croque, espiègle, dans son nerf optique.



    Art Consommé


    Ils ont réservé une table pour deux chez le meilleur marmiton de la ville. C'est la bonne heure pour manger. Il faut y arriver vierge, vide, les dents lavées. Après les pompes de la réservation, chacun d'eux prend place sur un tabouret échardé, s'il est vrai que l'on savoure d'avantage le plaisir dans une souffrance légère.


    Ils calent leur respiration et se regardent jusqu'à en oublier le reste. Lentement, très lentement, ils prennent conscience du corps de l'autre, de ce qu'il attend sagement. Chacun d'eux commande le plat de l'autre et le savoure comme de son propre plaisir.


    Le cuisinier excite la luette jusqu'au spasme et exacerbe les papilles pour en exploiter la primeur. Les molécules d'arôme et de parfum pénètrent avec une précision sans hâte à l'intérieur des sens et complètent parfaitement les récepteurs gustatifs, se dévoilent à la bouche dans une sécrétion diffuse. Le vin ample, versé en rosée, invite la langue à lécher lentement le palet au souhait bientôt insoutenable qu'il devienne un sexe.



    Dernière saccade


    Les lèvres sont flasques, les peaux frippées se plissent sous les caresses, mais le sang afflue quand même. Si maigres que les os s'entrechoquent, si vieux que les douleurs étourdissent. Les coeurs palpitent peut-être encore, l'un pour l'autre. Une dernière saccade et le miracle de la reproduction s'accomplit, létal, les coeurs sont arrêtés. La persistance orgasmique durera le temps de leur asphyxie, effaçant deux vies médiocres derrière une bonne baise funèbre.



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