• Le Roi des Fainéants

     

    Le Roi des Fainéants


    Dans une sylvestre contrée, bercée par l'incertain clapotis d'un ruisseau un peu timide, les habitants paisibles accordaient à la sieste toutes les parts de leur temps. Réveillé en sursaut par le bâillement d'une Carpe, le roi R ouvrit les yeux. D'un regard embrumé de sommeil, il balaya le mouvement des statues de bois qui s'affairaient patiemment à contredire les soubresauts du vent. L'air du pays était très nourrissant ce qui l'avait jusque-là dispensé de livrer ses mâchoires au pénible effort de la mastication, si bien que personne n'avait jamais rien fait depuis son épuisante montée sur le trône. La devise du royaume formait un heptiptique dont l'oubli avait suivi la trouvaille et qui n'aurait servi qu'à asseoir une certaine forme de vanité. Le seul métier durable était maître sommier.

    Soucieux tout de même de sa prestance royale, il ajusta sur sa tête la légère couronne faite des sourires de sa dynastie et corrigea la posture avachie de ses repos par la rigueur dilettante d'une allure souveraine.

    Mais l'esprit des hommes est faible et le mal rôde en silence, s'insinuant sournoisement dans les cœurs les plus purs. Ailleurs peut-être. Là, non.

    Cela dit, l'effervescence du réveil anima une idée. Souhaitant inscrire son règne comme celui d'un sire à causes, il souffla à la corolle d'une Amaryllis Messagère de chercher sur ses terres une légende consistante. La requête suivit nonchalamment les aléas de la voie florale, époussetant les Pissenlits de leurs volatiles gonades. Poussée en orée par les vents capricieux, Dominique le Champignon, béat d'avoir passer la bague au pied de Dominique la Champignon, la parasita d'une crotte de chapeau. Un tantinet précieuse pour sa graine ordinaire, Marguerite la Marguerite émit entre sépales qu'il n'était pas très spore...


    A l'ombre de l'aube, le visage effleuré par les larmes d'un saule, A somnolait calmement quand une odeur à sens vint rouler dans ses narines. Un jour ou l'autre, il avait voulu monter une affaire de moulin à vent en kit pour héros sans ennemi mais son ardeur à la tâche avait simplement permis qu'elle restât une idée qui gonflait sans attente la liste abstraite des choses à faire. Le parfum de cette curieuse missive se mélangeait maintenant à la bruine aérienne de la rosée du soir, donnant au crépuscule une saveur d'épice.

    Un livre entrebâillé sur une table basse présentait au plafond ses fines illustrations. On y voyait Simon-Singe Hiératus fier de sa statue en pied, avec pour sous-titre : «A chaque statut sa statue». Mais ce on était beaucoup trop vague pour la réalité de la situation, en vérité, seul le plafond qui statuait à bonne hauteur au dessus d'un parterre de parts de sol aurait éventuellement pu le voir s'il était autre chose qu'un plafond, ou alors peut-être l'encadrement d'absence de porte, en louchant un peu de biais, et encore.

    Heureusement, l'ouvrage qu'il cherchait se trouvait à portée de main de son lit d'herbe folle et il pu l'atteindre en tâtonnant de l'index. Par un paresseux hasard, il s'ouvrit à la définition d'une légende :

    « Pour faire une bonne légende, commencez d'abord par une pétillante réalité. La légende est souvent assimilée à la quête. Donc commencez par chercher quelque chose, si vous ne savez pas quoi chercher, cherchez quoi chercher. Une petite astuce pour nos intrépides lecteurs, une légende se conte a posteriori, vous pouvez donc entamer votre quête sans attendre d'avoir un but que vous placerez subrepticement en en-tête à l'issue du périple».


    Il se mit à dodeliner des paupières à la manière élégante des caméléons et se dirigea vers la porte de son moulin. Les divers interstices de l'édifice saisissaient les solstices, magnanimes pour quelques rais seulement, plongeant la demeure dans une tendre luminosité que les sons épongés par une mousse pandémique coloraient de wah-wah. Emerveillé par tant de simplicité fleurie, il poussa le vice en papier d'avion jusqu'à utiliser deux yeux.

    Pour ce peuple engourdi, le tumulte lent des révolutions végétales relevait du tertre de l'exotisme, et l'application spatiale d'un proverbe idiot le décida de ne pas faire plus loin ce qu'il pouvait faire chez lui. Bon, normalement c'est à ce moment qu'il entame la quête dans son hall d'entrée mais les épisodes concernant les chaussures étant relativement insipides, nous oublierons adroitement d'en parler, à moins que ça n'intéresse vraiment quelqu'un mais jusqu'à présent ça n'a jamais manqué. Et puis ça oblige à énumérer une série de détails stupides comme sa pointure ou la couleur de ses pantoufles et ça autant vous dire qu'on peut éventuellement s'en passer sans offusquer qui que ce soit... Et puis rassurez-vous...

    - Euh, excuse! Tu peux la fermer?

    - C'est ça ! J'ai pas mon mot à dire, hein ?!

    - Pas vraiment pendant les heures de boulot, finalement.

    - Les mioches s'en foutent de toute façons! Y a pas d'histoire, je fais du remplissage comme je peux mais ça les intéressera pas! Je m'use la voix pour cette bande de chiards et c'est...

    - Si tu veux pas rater l'éclipse, c'est maintenant ou jamais pour la fermer...

    - Mouais... Bon, j'en étais où ? Ah ouais, le passage où tout le monde se branle de ses godasses...

    - Ca va aller, oui ? Tu veux peut-être te retrouver conteur pour poubelles ? T'as signé un contrat alors tu termines si tu veux les pépettes ou c'est les Prud'hommes, ok ?!

    - COUPEZ !!! Mais vous le faîtes exprès, ma parole !? C'est «tu termines si tu veux les pépettes ou c'est les Prud'hommes, HEIN?!», c'est pas compliqué merde !

    - « C'est les Prud'hommes, HEIN?! » Mais, c'est nul !

    - Ca va aller, oui ? Tu veux peut-être te retrouver comédien pour poubelles ? T'as signé un contrat alors tu termines si tu veux les pépettes ou c'est les Prud'hommes, ok ?!

    - MEEERDE ! C'est encore la machine à écrire qui a sauté !!

    - D'accord la machine à écrire déconne mais tu pourrais quand même faire des brouillons. Et puis qu'est ce que c'est que cette histoire à dormir debout ?

    - Ben, moi je suis juste l'écrivain qui écrit l'histoire d'un comédien qui joue un narrateur, alors tu sais...et de toute façon c'est ma pause.


    Entracte.


    Après un tas d'aventures trépidantes, notre héros...

    - Quelles aventures?

    - T'occupes! Tu me laisses finir cette fois?

    - Cette fois oui.

    - Cinquante-six.

    - Cinq...? Ton humour est drôle, mais c'est pas vraiment le moment.


    Je reprends, si on me laisse travailler en paix! Après un tas d'aventures, trépidantes donc, notre héros se trouva soudain face à fesses avec une horde de Bourets dont l'apparente quiétude n'avait d'égal que l'impétuosité à la charge et dont les membres glabres, dénués d'articulations, tendaient au sol avec une longueur fourbe. Un disque ligneux tenait lieu d'encéphale sur lequel orifices et protubérances ne laissaient percevoir la moindre volonté ce qui rendait toute anticipation des plus inconséquentes. A se souvenait d'une estampe vaporeuse figurant un ancêtre caressant le sien, mais si longtemps reclus dans ce cloître réduit, leur docilité avait dû d'un ton ferme poser sa démission.

    Sous le joug sans caresses d'un flot d'idées confuses, les Bourets juste cois, tirés de leur présence par un soupir, tournèrent en grinçant leur faciès insensé. La tension était telle que les divers coups d'œil râpaient sur l'air intense la cornée du héros. Mais les Bourets sont gauches, leur séléniotropie les rend un rien prévisibles. La principale épreuve serait de s'en défaire. Pour pallier au problème, il se mit en équerre.

    Les Bourets confondus par ce fin stratagème, reprirent incontinent les conditions premières de leur captivité. Discret comme un alphabet sans lettres, A traversa la pièce sur la pointe. Bien qu'inconfortable, cette démarche offrait le privilège d'être inédite et sûre, le menant sain et sauf jusqu'au détour d'un mur.

    - De quoi on parle exactement?

    - On peut pas finir un paragraphe sans être interrompu, ici!! Bon... Ils sont attirés par les fesses, les "lunes", "séléniotrope" de [sélène, la lune] et [-trope, attirance] et donc en se penchant en avant, ses fesses sont moins protubérantes et il arrive à passer dans l'autre pièce. C'est bon?

    - Qui "ils"?

    - Les tabourets.

    - Les tabourets!?

    - Oui, les tabourets.

    - Faudra peut-être revoir le scripte, c'est pas toujours clair ton histoire!

    - MAIS C'EST PAS MON HISTOIRE! On m'a filé ce torchon hier, je fais ce que je peux avec.

    - Désolé de vous interrompre, mais on a la caméra que pour cet après midi alors si on pouvait continuer...

    - On s'explique, c'est tout. Vous aurez qu'à couper.

    - On n'a pas la machine, tout ce qui se dit va être sur la bande.

    - J'aimerais passer le bonjour à Mimi, Dédé, Charlie...

    - COUPEZ!!!! Mais c'est pas vrai!? Vous vous croyez où!? On reprend! Silence! Action! Ca tourne, etc...

    - De toutes façons, j'ai pas trouvé le bouton à temps pour éteindre, alors ça tourne encore, mais on n'a presque plus de pellicule, il va falloir accélérer.


    Il reconnut alors un espion de village subtilement travesti par un costume plumé de vivipare éteint, ancêtre de la Poule, n'ayant depuis longtemps parcouru nos forêts. Ces volailles à bébés, en ce temps-là pondaient de chétifs poussins, bien trop vite écrasés par l'avide pesanteur. Dame nature, toujours célibataire, veillant à la survie de ses plus laids enfants, informa un corail, amateur de caca, qu'une concrétion sphérique serait sollicitée pour courte protection d'un fragile nouveau né, et qu'en échange il serait nourri et logé. Pour que le poussin rond puisse un jour respirer, il fut doté d'un bec au convexe acéré. La ressemblance étrange, légèrement surannée entre lorgneur expert et vieille gallinacée donnait à son charisme le secret de l'autruche, qui plongée dans son trou s'invente un mimétisme. Ils échangèrent un peu de ces futilités qui lient les hommes entre eux sans grande difficulté et se quittèrent pour rien, l'un cherchant la lumière, l'autre l'obscurité.

    Aidé par un frisson, il passa les murailles menant à l'autre pièce, négociant l'espace vide entre les molécules, comme un skieur en course se sert de ses spatules.

    - En alexandrins, c'est beau aussi... Et le côté philo, l'œuf ou la poule et tout ça, c'est très ludique!

    - Ouais c'est génial! Continue, toi!


    Il découvrit alors un curieux microcosme : le ruisselet voisin, en école buissonnière, semblait profiter d'un après-midi libre pour investir les lieux. La salle était remplie d'un tumulte fluet qui s'exerçait aux vagues. Une oréade ailée marquait de poudre claire les records sur la pierre. Elle flattait son écume en y trempant les doigts et d'un geste gracieux s'aspergeait de ses gouttes. Un air agréablement givré portait avec élégance une Mouette légère qui apaisait le ressac de ses mélodies océanes. Au comble de l'insouciance, il crut léviter jusqu'à elle pour mourir dans ses bras quand une logique humide lui rappela que même si l'esthète voudrait y croire, ou en faire une aubade, on ne vole pas et que cette sensation de volupté, c'était la noyade. La merveille, qui avait bien sûr son diplôme de secouriste, installa l'infortuné sur une portion d'eau sèche que son ami consentit à céder. Elle était simplement belle, avec de fabuleux cils trois fois plus volumineux, des lèvres fines comme un rebord de cendrier qui diffusaient par les meurtrières de sa dentition les effluves du fluor. Son crâne chauve, poli avec le soin des fées, reflétait les couleurs de l'amour. Mais l'impondérable tracas lié à ces êtres délicieux, habités par une grâce dont seuls sont capables les Colibris, est qu'elle sied tant à celles qu'à ceux qui la sourient, et une voix épaisse modéra d'emblée les ardeurs en dépit.

    La Mouette se mit à beugler dans une sorte de parade nuptiale pour séduire les usines mâles, reprise en cœur par un millier de moules pour un tapage assourdissant.

    L'initiale emmerdeuse se dirigea sans bruits vers l'épicentre de la virilité et toisa sirupeuse les iris éblouis avant de jouer à mettre des petits coups de bec dedans.

    Se rappelant qu'il avait quelque chose sur le feu follet, il prit poliment congé de ses hôtes. En plus, sa maman ordonna au ruisseau de se mettre au lit.

    Il s'enfuit en courant dans la pièce voisine et soudain, une intense lumière surgit d'une autre dimension, certes magique mais gênante. Alors que rien ne l'avait laissé supposer, un homme entre deux troisième-âge se jeta violemment sur lui, et on dira que c'est vrai parce que c'est l'intention qui compte. Une fois qu'il se fut relevé, un peu poussiéreux, il remit ses lunettes d'aplomb. "Bonjour étranger, je suis l'oracle, et ouais! Tu as passé toutes les épreuves avec succès, ainsi, tu deviens le digne réceptacle du secret interdit qui ne se transmet que d'oracle à étranger. Et...

    - Vous êtes chez moi.

    - T'as compris ce que je viens de te dire ?!

    - J'ai un bail qui comprend toutes les dimensions qui sont à l'intérieur de ma maison alors "étranger", c'est un peu fort, non? Dégagez de mon salon.

    - Non mais tu le fais exprès? Tu es le digne réceptacle de...

    - Mais qu'est-ce que vous voulez que ça me foute d'être un réceptacle, ça se mange ? Allez, ouste!

    Heureux et satisfait d'avoir vaincu tous les périls jusqu'à chasser l'envahisseur, A vacilla jusqu'à la porte de sortie et s'allongea sur l'herbe dans un nuage de Papillons.

    - COUPEZ, elle est bonne, on la garde. Merci à tous, on a fait du bon boulot... Enfin on a fait du boulot... Enfin, je sais pas ce qu'on a fait mais on va pouvoir récupérer la caution de la caméra si on traîne pas trop en route. De toutes façons, ce qui marche en ce moment c'est les westerns.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :