• La Couleur du Caméléon***

     

    Emilie attendait dans son bureau. Un peu ennuyée, ses mains feuilletaient les papiers étalés un peu partout. En réalité, elle n'avait besoin que de sa voix. Pénélope frappa, entra et trouva Emilie debout, le regard concentré et la main tendue vers elle.

    Cette fois, ce fut Emilie qui entama la conversation, voyant l'air dépité de sa patiente.

    - Bonjour, Mademoiselle Hedphast, vous n'avez pas l'air dans votre assiette ?! Avez-vous respecté votre engagement cette semaine ?

    - Oui...

    - Très bien. Asseyez-vous maintenant. Je vous le répète, vous devez continuer à rencontrer des hommes, mais vous devez faire connaissance avec eux, apprendre à les connaître avant de vous offrir à eux...

    - ...


    *


    - C'était comment le notaire? demanda Amy.

    - Ca tombe bien que tu m'en parles Amy, répondit Armini, je suis pas entrer dans la police de terroir pour torcher les célibataires!

    - Continue...

    - Il n'y avait pas plus de vol que d'effraction, ni que quoi que ce soit d'ailleurs, c'était juste un...

    - Ok, coupa Amy. Et avec Jön?

    - On a été à deux doigts de rentrer dans une voiture. Il est pas net ce mec!

    - Il est peut-être pas net, mais il plonge les mains dans la merde. C'est pas forcément un bon enquêteur, mais il est indispensable, ce qui n'est pas ton cas!

    - Mais...

    - Ecoutes Armini, on n'est pas à la maternelle ici, si tu as des choses à dire à Slasteh, tu te démerdes avec lui!

     

    Amy n'aimait pas être grossière, mais elle aimait encore moins Armini. A travers la vitre, elle voyait Slasteh arriver de sa démarche quelconque, l'air plus ou moins neutre du matin gravé sur la figure. Il croisa Armini, ses lèvres articulèrent un mot, et il esquiva de justesse un coup d'Armini qui fulminait.

    - Salut Jön.

    - Salut Amy.

    - Qu'est-ce que tu lui as dit?

    - C'est sans importance.

    - C'est vrai que tu as failli rentrer dans une voiture?

    - Oui, mais rien de grave, on avait une petite discussion avec Armini.

    - Bon. Pas la peine d'y faire attention?

    - Pas la peine d'y faire attention, répéta Jön.

    - J'ai du nouveau sur l'affaire "schtroumf", un voisin aurait aperçu quelqu'un dans la rue, quelqu'un qui n'avait rien à faire là. Il s'agirait d'un homme, cheveux grisonnants, corpulence moyenne, ça correspond à ce que tu disais l'autre jour. Ce serait bien si...

    DRIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIIING!

    -... attends. Oui!? Allo? Oui... Oui... D'accord... Vous êtes sûr!? Où ça? Ah... Bon écoutez, j'envoie Slasteh, il sera là dans vingt minutes. Merci.

    Elle reposa le combiné et se tourna à nouveau vers son subordonné.

    • Jön, vas-y. Une femme enceinte, vingt-trois ans, près du parc à côté de chez toi.


    *


    C'était l'effervescence. D'une part parce que les promeneurs s'agglutinaient autour du périmètre de sécurité, d'autre part parce que tous ces gens avaient une information capitale à fournir. Le parce était un endroit très sympathique pour peu qu'on s'y attarde: des allées ombragées, un gazon bien dru et de belle, belle création artistiques qui jalonnaient le parcours, aussi en semaine était-ce le rendez-vous des septuagénaires férus d'art et des cadres suractifs faisant leur jogging.

    - C'est un homme, il s'est jeté sur... commença un premier.

    - Avec un imperméable! cria une seconde.

    - Et une moustache!

    - Et un blouson en cuir!

    - Messieurs, dames, adressez-vous à...

    - Il était brun!

    - Et il avait un chien!

    - Messieurs, dames! Je vous prie de...

    - C'était un gros blond torse-nu avec un panier de radis!

    - LA FERME!

    L'agent qui tentait désespérément de coordonner tous les "témoins" perdait son sang-froid. Tout frais sorti de l'école de police, il avait encore assez de tempérament pour gueuler un bon coup quand c'était nécessaire. Ses aînés attendaient simplement que tout le monde se lasse et rentre chez lui, il resterait ceux qui étaient vraiment concernés... et puis quoi qu'il en soit le "client" prenait rarement la fuite, on n'était pas pressé...


    Jön observait de loin la foule agglutinée bruyante et gesticulante. Ce brouhaha vivant et bordélique le berçait comme le puissant ressac des populations maniaco-dépressives. Il aimait se remplir de cette force de la foule, de sa diversité uniforme, de son imprécision bordélique et homogène. Il dodelinait de la tête, les paupières prêtes à se clore quand un des enquêteurs le reconnu et le héla:

    - Hé là!? Monsieur! Venez donc par ici!

    - Monsieur, quelles sont vos pistes concernant ce deuxième homicide? demanda un journaliste en se collant à Jön.

    - Je pense que ce peut-être le fait d'un dangereux individu...

    - Il semble que sa prochaine victime sera un homme trop curieux avec un dictaphone, conclut l'enquêteur qui avait appelé Slasteh.

    Les agents écartèrent la nuée pour laisser entrer les deux policiers.

    - Enfin, vous êtes là, voilà près d'une heure que nous avons prévenu Fédasier. Je suppose qu'elle vous a prévenu, c'était une future jeune maman, 23 ans, on a retrouvé sa carte d'identité, ses clefs de voiture et son argent: l'agresseur n'a rien volé. Par contre elle est dans un sale état!

    Quelques photographes tournaient en rond autour du corps comme des paparazzis, c'est à celui qui prendrait le meilleur cliché à mettre dans son book: "non, pas comme ça chérie, le fémur, rentre le un peu tu veux? Voilà, super!". Et puis ils s'envolèrent à leur tour. Arielle, belle comme le jour, pleine comme la vie, tuméfiée comme un gros bourrelet de pus. Si jeune...

    Elle se promenait dans le parc, si heureuse, en se caressant le ventre. Heureuse et mélancolique, comme si elle serait seule pour porter son bébé. Elle s'était laissée avoir par un de ces baratineurs pleins de gomina et de promesses, le temps d'une romance et il était parti. Le regard plein d'amour, la future maman murmurait des mots doux et rassurants à ce petit être qui grandissait dans son ventre, il serait son avenir, la preuve qu'elle savait faire quelque chose de beau et que lui ne connaîtrait jamais. Ses longs cheveux bonds tombaient en boucles sur sa poitrine, des yeux immenses remplis de tendresse... C'était insupportable! Et tout de suite après, elle se faisait tabasser par l'homme grisonnant, il la martelait de coups de poings avec frénésie en hurlant quelque chose d'incompréhensible. Chacun de ses coups était suivit d'un craquement sinistre et d'un cri de désespoir... jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus crier.


    *

     

    Emilie attendait dans son bureau. Un peu ennuyée, ses mains feuilletaient les papiers étalés un peu partout pour donner l'impression d'un bureau. En réalité, elle n'avait besoin que de sa voix. Pénélope frappa, entra et trouva Emilie debout, le regard concentré et la main tendue vers elle.

    - Bonjour, Mademoiselle Hedphast, comment allez-vous aujourd'hui?

    - Je ne sais pas... je me sens un peu bizarre...

    - C'est normal, vous découvrez une nouvelle facette de vous-même, une nouvelle Pénélope qui prend soin d'elle-même, qui se respecte...

    - C'est comme s'il me manquait quelque chose...

    - Vous êtes dans une période de sevrage, Pénélope.

    - Mais J'AIME les hommes! Qu'y a-t-il de mal à leur faire savoir!? s'enflamma Pénélope.

    - Vous confondez amour et désir pathologique, Pénélope, nous en avons déjà parler, répondit Emilie calmement.

    Pénélope la regarda avec une moue contrariée.

    - Mais si ça ne vous pose aucun problème, je ne peux rien faire pour vous, glissa Emilie pour suggérer une réaction.

    - Bien sûr que si, j'ai besoin de vous!

    - Vous avez surtout besoin de vous, Pénélope, c'est votre propre force qui vous permettra d'en sortir...

    Mais ces réponses n'étaient déjà plus sincères.*

    Quand Jön se réveilla, il sentit son visage l'informer de quelque chose... Le temps d'émerger, de remettre un sens sur cette information, de la douleur, oui, une douleur intolérable:

    - YaaaAAAAAAAAAAH!

    - T'étonnes pas Trouduc, avec la branlée qu'on a dû te mettre, tu vas avoir mal pendant un petit moment.

    - Jön, tu débloques complètement en ce moment!? Qu'est-ce que tu as encore foutu!?

    Cette voix était familière, c'était celle d'Amy.

    - Alors!?

    - ...

    - Assieds-toi et regarde-moi dans les yeux!? Tu as bu, tu t'es drogué? Putain Slasteh, qu'est-ce qui cloche chez toi?

    - ...

    - T'as même pas l'air de comprendre ce qui t'arrives mon pauvre vieux, t'es complètement shooté!

    - ...

    - Tu l'as frappée! La gamine! Exactement comme tu as frappé le gamin l'autre jour! Sauf qu'aujourd'hui il y avait cinquante témoins et un journaliste! Alors, on fait quoi maintenant?

    - ...

    - Je dois te mettre en cellule Jön, tu réalises!? T'as tabassé un cadavre de femme enceinte devant cinquante personnes! dit-elle, éplorée. Je vais te mettre en cellule et tu vas passer devant une commission interne, pour l'instant. J'y suis obligée...

    - ...

    - T'es dans un sale état Jön, faudrait que tu te voies... Le fourgon arrive, fais pas le con, d'accord!?


    Ils entrèrent dans le fourgon sous les regards consternés de la foule et les moues désapprobatrices de leurs collègues.


    *


    Jön respirait bruyamment. Depuis qu'il s'était réveillé à l'intérieur de ce fourgon, il semblait surexcité, aux abois. Il lançait des regards étranges et dérangeants autour de lui. On l'avait attaché, comme un suspect lambda et il se comportait comme un sujet lambda, c'en était presque confondant de prévisibilité. Sauf que sa vivacité était oppressante pour Amy, elle ressentait quelque chose de fou qui grandissait en lui.

    - Parle-moi, Jön!

    Mais il ne parla pas. La seule chose qu'il fit fut de la fixer. Il semblait sonder son âme jusqu'au fond pour y débusquer les moindres sentiments comestibles et les dévorer. Elle, se sentait comme une proie qu'on hypnotise, se laissant fouillée et consumer par ce regard vampire. Et tout à coup, il sauta sur elle en hurlant, elle sursauta, le fourgon fit une embardée. Jön était toujours attaché par ses chaînes, Amy se saisit d'une matraque et le conducteur rétablit le véhicule, de justesse.

    - Je n'hésiterai pas à m'en servir, dit fermement Amy en montrant la matraque.

    - Qui a crié? demanda le chauffeur.

    - Ce n'est rien, c'est monsieur Slasteh qui s'est coincé le pied, occupez-vous de la route!

    - Bien chef!

    - Bon quant à nous, il faut qu'on ait une petite discussion. Tu te doutes bien que je ne vais pas te laisser dans cet état, hein?

    Jön continuait à la regarder avec cet air avide et démentiel.

    - C'est moi Amy, ton amie, souviens-toi... Reviens... dit-elle doucement, rassurante.

    Mais il tenta à nouveau de sauter alors en un geste maîtrisé elle lui assena un coup derrière la tête et il s'écroula, inerte.


    *


    Amy était rentrée chez elle plus stressée que jamais mais elle se refusait à se montrer sous son visage de flic devant son mari. Chaque soir avant de rentrer, elle restait une minute derrière la porte pour souffler un grand coup et rentrer la plus apaisée possible. Ce jour-là, elle rentra deux heures plus tard que prévu sans prévenir son mari. Alors qu'elle tentait de se calmer et s'apprêtait à ouvrir la porte, son mari l'ouvrit au même moment.

    - AH! Qu'est-ce que tu fais là? dirent-ils en coeur.

    - Je venais te chercher-rentre à la maison, pardi! continuèrent-ils ensemble.

    - Quoi? dégaina son mari.

    - Je rentre, désolée pour le retard mais j'ai eu un petit souci administratif au bureau.

    - Administratif, tu parles!? Ca vient de passer aux infos! Il a pété les plombs ton pote.

    - Il suffit qu'il craque une fois pour que tout le monde le traite de malade!

    - Je t'avais bien dit qu'il tenait pas la route!

    - J'aimerais bien t'y voir à imiter des barges pendant trente ans! Normal qu'il dérape un peu de temps en temps!

    - "Dérape"? Il a tabassé un cadavre quand même, tu ne vas pas le défendre!?

    - Elle était morte cette fille, qu'est-ce que tu voulais qu'il lui fasse? Qu'il la tue une deuxième fois!?

    - Tu délires Amy! Je vais te le répéter plus lentement, il-a-ta-ba-ssé-une-morte. Il est flic et devant témoins!

    - Si tous les mecs qui tiennent pas la route assuraient autant que lui, il y aurait moins d'assassins en liberté, alors tes réflexions de bourgeois assis dans un canapé, tu te les gardes, ok!

    - Mais ma parole, tu t'entends parler, on croirait que tu défends ton fils ou ton premier amour!

    - Qui va le défendre sinon, et qui va faire son boulot, hein!? QUI!?

    Elle s'était mise à crier et était presque en larmes. Après un regard mauvais à cet homme épousé, elle entra dans sa voiture, démarra et retourna au bureau.


    *

     

    Emilie attendait assise à son bureau. Un peu ennuyée, ses mains feuilletaient les papiers étalés un peu partout pour donner l'impression d'un bureau envahit par les références et le travail. En réalité, elle n'avait besoin que de sa voix, rien d'autre. Pénélope frappa, entra et trouva Emilie debout, le regard concentré et la main tendue vers elle.

    - Bonjour, Mademoiselle Hedphast, comment allez-vous aujourd'hui?

    - Un peu mieux, je crois... Je ne me laisse plus prendre au piège que tend mon propre corps...

    • Bien. Vous êtes sur la bonne voie Pénélope.


    *


    Ils étaient dans le noir, à travers les barreaux, ne distinguant que les ombres de leurs lèvres qui se mouvaient.

    - Tu dors?

    - Non.

    - Ca va mieux?

    - Je crois.

    - Tant mieux.

    - Qu'est-ce qui t'arrives? Pourquoi tu pleures?

    - Oh, pour rien, des trucs de filles tu sais...

    - J'ai merdé?

    - En beauté! Tu es célèbre maintenant.

    - Ah... Grave?

    - Une fille-mère, elle en est pas plus morte mais il y a des choses qui ne passent pas. La foule a besoin d'intégrité.

    - C'est tout ce qu'on peut lui offrir. Quand on trouve un coupable, ce n'est jamais qu'un pis-aller...

    - Je sais mais c'est injuste de te faire ça!

    - Je ne t'avais jamais vu te faire du souci comme ça pour moi...

    - Tu n'avais jamais été dans un pétrin pareil, et puis je me suis engueulé avec Luc, après la journée qu'on a passé j'ai besoin d'être un peu gentille avec quelqu'un, un peu humaine, et quand j'étais dans ma voiture, je me suis rendue compte que tu étais la personne dont je me sentais le plus proche, même après le coup de cet après-midi.

    - Cet a...

    - Ce n'est rien. Tu... Tu veux bien me prendre dans tes bras?

    - Bien sûr...

    Elle ouvrit la cellule et se réfugia dans ses bras. Il l'étreignit tendrement et posa un baiser sur son front.

    Amy se sentit fondre. Pas comme on succombe à la force rassurante, mais plutôt comme dans les bras d'une grande soeur. Ils s'allongèrent lentement sur la paillasse de la cellule et Amy s'endormit au creux de l'épaule de Jön.


    *


    - Eh les tourtereaux, debout!

    - Hum... quoi, marmonna Amy.

    - Debout chef, c'est l'heure d'aller bosser!

    C'était Armini. Il avait sa tête des mauvais jours et semblait amer, écoeuré. Il secouait sans ménagement l'épaule de Jön et Amy.

    - Qu'est-ce qui se passe? demanda Amy.

    - DEBOUT, les autres vont arriver! réitéra Armini qui préférait encore leur épargner ça qu'entendre tout le bureau en parler.

    - Je crois bien que je me suis endormie, constata Amy encore dans le cirage. Tu vas bien Jön?

    - Oui chef! répondit-il avec un clin d'oeil.

    Amy se sentait plus légère ce matin, ce qui s'était passé la veille ne lui était pas encore revenu en mémoire.

    - Au boulot! dit-elle pleine d'entrain. Mais au fait, qu'est-ce que je fais ici?

    - Tu es venue hier soir parce que tu t'es disputée avec Luc, on a discuté un peu et tu t'es endormie comme une masse...

    - On... on a rien fait? susurra-t-elle.

    - Bien sûr que non, Amy.

    Amy prenait lentement conscience de la situation: ce n'était pas si grave, Luc, son mari, comprendrait qu'elle n'ait pas donner de nouvelle. Elle était un peu à cran à cause de Jön et du "marteleur" comme on l'appelait maintenant... De son côté Armini était jaloux à crever. Amy et Jön étaient enlacés, et avaient baiser dans une cellule! C'était trop, trop malhonnête, trop ostentatoire! Il s'approcha de Slasteh et lui siffla à l'oreille:

    - Tu vas me le payer, salaud!


    Toute la journée, Jön resta en cellule et Armini vint l'asticoter, lui lancer des petits pics assassins. Dans sa petite cervelle abusée, un millier de plans diaboliques se projetaient et ils finissaient tous par la mort lente et douloureuse de son rival. Pourtant, il n'avait pas la patience de lui infliger une mort douloureuse, chacune de ses interventions était comme un coup de poignard direct et sans appel.

    A la fin de la journée, Amy décida de libérer Slasteh, contre les injonctions de ses supérieurs.

    - Rentre chez toi, vas et reviens demain à la première heure, ok?

    - Ok. Merci Amy.

    - Regardez ça! Personne ne s'étonne qu'un criminel soit renvoyé chez lui aussi naturellement!?

    - La ferme Armini! lança un agent qui rangeait son bureau.

    - Je suis peut-être le seul ici à croire en quelque chose, je me vois dans l'obligation de te relever de tes fonctions Amy!

    - Tu rigoles, il y a au moins dix personnes dans la hiérarchie avant toi, même le chien et le taille-crayon sont plus gradés que toi! dit Amy avec un haussement d'épaule.

    - Mais comme ils sont tous incapables de prendre leurs responsabilités, c'est moi qui dois prendre les initiatives!

    - Arrêtes un peu ton cirque Armini, t'es gonflant! repris l'agent.

    - Bon... QUI EST D'ACCORD POUR QUE JöN RENTRE CHEZ LUI? cria Amy à la cantonade.

    Les trois quarts des mains se levèrent, soit six, une main resta baissée celle d'Armini et l'autre était celle d'un suspect en garde à vue dans une cellule voisine.

    - Et moi? demanda-t-il à tout hasard, je peux revenir demain aussi?

    - Mais bien sûr mon biquet, j'te filerais les clef de ma voiture... persifla Amy. Tu pourras faire le plein avant de revenir?

    - Y a du piston! se renfrogna le suspect.

    - Jön, fous-moi le camp. A demain, je te fais confiance.

    Armini bouillait, en plus d'être jaloux, il venait de se faire humilier devant tous ses collègues pour ce type qu'il détestait déjà. Alors que Jön se dirigeait vers la sortie, Armini lui bloqua le passage.

    - Où tu crois aller, Slasteh?

    - Je rentre chez moi.

    - C'est un peu trop facile, tu ne crois pas? Tout ça parce que tu baises le chef!

    - Je ne "baise" pas le chef.

    - Mon cul! T'es un sacré menteur Slasteh, tu me regardes droit dans les yeux et tu veux me faire gober que tu la baises pas!?

    - Armini, assieds-toi, dit l'agent. Allez, fous-lui la paix!

    - Occupes-toi de ce qui te regardes, Pombil! trancha Armini d'un ton sec. Alors, reprit-il à l'encontre de Jön, ça t'amuses de jouer les favoris? Ca te plaît de coucher avec le chef? Ca te plaît de me ridiculiser en public?

    - ARMINI! menaça Amy.

    - Je vais te...AAAAAAAÏE!

    Il n'eut pas le temps de finir sa phrase. Il regarda son bras et y trouva un stylo à bille planté jusqu'à l'os. Jön le regardait d'un air navré.

    - Tu m'as planté un stylo dans le bras!? articula Armini, livide.

    - Tu l'aurais fait, dit calmement Jön.

    - Tu m'as planté un stylo dans le bras!? T'es complétement cinglé Slasteh!

    - Tu l'aurais fait, répéta Jön.

    Amy s'était rapproché, ainsi que tous les policiers présents.

    - Jön, tu peux m'expliquer ça? demanda-t-elle.

    - Il l'aurait fait de toutes façon...

    - Qu'est-ce que tu en sais?

    - Je le sais, c'est tout.

    - Peut-être qu'il l'aurait fait... et peut-être pas, dit Amy. Je ne peux pas te couvrir sur ce coup-là Jön, tu viens d'agresser un officier alors que tu es censé être en détention. Tu restes ici cette nuit. Ca va me coûter cher... Armini, un mot de ce qui vient de se passer à qui que ce soit et tu te retrouves au chômage, il y a suffisamment de témoins ici pour dire que Jön était en situation de légitime défense... Les autres, retournez à vos occupations, le spectacle est terminé! Je compte sur vous pour ne pas ébruiter l'affaire parce qu'en ce moment, on est sur un fil plutôt mince. Vous êtes tous conviés à me rejoindre dans mon bureau à trois heures cet après-midi, pas de retard toléré. Il faut qu'on mette les choses au point pour contrer les rumeurs parce qu'avec ces fouille-merde de journalistes, c'est toute la police du terroir qui est soupçonnée. Ils ont tendance à provoquer les scoops pour se faire remarquer alors faîtes gaffe à tout ce que vous dîtes et tout ce que vous faîtes, on avisera tout à l'heure. Jön, suis-moi dans la cellule. Armini, tu appelles un toubib et tu attends ici!


    Dans la cellule...

    - Jön, t'es allé un peu loin là! En ce moment tu crées plus de problèmes que tu n'en résouds, et c'est pas bien bon. L'amie peut essayer d'arranger un peu les choses mais le chef doit faire son boulot, tu comprends, après ça, je ne peux pas te laisser partir...

    - Je comprends. Mais c'est quand même dingue que je paie pour lui...

    - Je te crois, mais tout le monde ne partage pas ma confiance en toi, Jön, ne serait-ce que cet enfoiré d'Armini. Je sais que tu ne contrôles pas toujours tes personnages...

    - J'espère qu'il va la fermer et que les autres ne diront rien...

    - Pour ça, tu peux dormir tranquille. Armini, c'est un emmerdeur, à l'heure qu'il est, ils doivent tous rêver de lui planter quelque chose dans le bras, dit-elle en riant un peu fort. Bon, je te laisse Jön. Désolée mais...

    - C'est normal.

    - Quand on aura des nouvelles, je te présenterais quelqu'un.

    • Ca marche.


    *


    Tout le monde au bureau avait été d'accord pour couvrir Jön contre Armini, mais l'agression sur cadavre était difficile à cacher. Tout les médias en faisaient leur scoop, aussi la hiérarchie avait elle suspendu le policier territorial Jön Slasteh en attendant les conclusions des enquêtes internes. Son efficacité depuis trente ans avait pesé dans la balance pour ne pas l'incarcérer de manière préventive, mais il était assigné à la périphérie territoriale. Il pouvait laissé libre court à son errance jusqu'à nouvel ordre...


    *


    Emilie attendait assise à son bureau. Un peu ennuyée, ses mains feuilletaient les papiers étalés un peu partout pour donner l'impression d'un bureau envahit par les références et le travail. En réalité, elle n'avait besoin que de sa voix, rien d'autre. Pénélope frappa, entra et trouva Emilie debout, le regard concentré et la main tendue vers elle.

    - Bonjour, Mademoiselle Hedphast, comment allez-vous aujourd'hui?

    - Je me sens... libre, hésita-t-elle. Je crois que je vais mieux.

    Pénélope tentait de s'en persuader, cela se voyait, mais Emilie savait qu'elle était sur la bonne voie. Mieux vaut ne pas détruire les mensonges flagrants quand ils représentent une volonté de changem...

    - Ce n'est pas tout à fait vrai, coupa Emilie apparement pas très convaincue. Vous êtes encore tiraillée par vos pulsions, n'est-ce pas? dit-elle, maternelle.

    - ... un peu mais je sens que... je suis prête à changer. Je commence à comprendre le sens de ce que nous faisons...

    - Vous en êtes sûre?

    - ... oui... Oui, docteur! dit-elle en relevant la tête.

    C'était un peu théâtral mais Emilie était satisfaite. Pénélope aussi semblait plus déterminée à croire son mensonge... c'est le début de la guérison. Bravo "Madame" Keredine.

    - Je crois que nous pouvons arrêter pour aujourd'hui, reprit Emilie, je suis fière de fous, de VOUS je veux dire. Voyez avec Flore pour prendre un nouveau rendez-vous.

    - Merci.

    - A bientôt mademoiselle Hedphast.


    Elle sortit alors du bureau d'Emilie et se trouva nez à nez avec un homme agité d'une trentaine d'années. Sans sourciller, elle se dirigea vers le bureau de Flore pour programmer son prochain rendez-vouz avec le docteur Keredine. Sitôt leur regard croisés, il y eut les premières étincelles, toujours à cause de cette histoire de femmes qui plaisent. Flore était une rivale naturelle et donc un miroir. Il avait suffit d'une seconde pour que Pénélope soit de nouveau elle-même. L'une était hautaine, l'autre plus agressive encore parce que prise en position de faiblesse...

    - Je voudrais prendre un rendez-vous, Flore, dit Pénélope en articulant bien le prénom de son ennemie.

    - Mais bien sûr, mademoiselle, répondit Flore, condescendante. Quand serez-vous disposée? Oh, pardon, minauda-t-elle, quand serez-vous disponible, mademoiselle?

    Sémantin se rapprocha de la chiffonade et se planta devant Pénélope.

    - Voyons Flore, ne jouez pas avec les nerfs des gens! dit-il sans détourner les yeux de Pénélope.

    - Monsieur Ladriel, le docteur Keredine vous attend, je crois, répondit Flore, pincée.

    - Dans trois jours, posa Pénélope.

    - Vous êtes ici parce que vous n'arrivez pas à gérer votre charme? murmura Sémantin avec des airs de fauve.

    Pénélope rougit à son insu et rentra dans le jeu. Avec un séducteur aussi direct, elle se devait d'être hésitante, lui laisser avoir le dessus...

    - Non, je...

    - Vous êtes attendu monsieur Ladriel, insista Flore.

    - Je n'insiste pas, mesdemoiselles. Aurevoir, quel est ton prénom déjà?

    - Pénélope, répondirent ses phéromones dans un soupir.

    - Votre rendez-vous: jeudi, 15h, cracha Flore en pizzicato.

    Pénélope avait salué Flore avec un sourire narquois mais à peine le dos tourné, elle se sentit souillée, utilisée...


    Emilie attendait assise à son bureau. Un peu nerveuse, ses mains feuilletaient les papiers étalés un peu partout pour donner l'impression d'un bureau envahit par les références et le travail. En réalité, elle n'avait besoin que de sa voix, rien d'autre. Sémantin frappa, entra et trouva Emilie debout, le regard concentré et la main tendue vers lui.

    - Monsieur Ladriel... Je vous prierais de ne pas "séduire" mes patientes, s'il ous plaît. Mademoiselle Hedphast, Pénélope puisqu'elle vous l'a dit, est fragile en ce moment. Je pensais ne pas avoir à vous le demander...

    - Bonjour Emilie.

    - Docteur Keredine, s'il vous plaît.

    - Oui, maîtresse! dit-il avec un sourire de garnement.

    - Je ne suis pas votre maî...

    - Je faisais allusion à la maîtresse d'école mais puisque vous en parlez...

    - Oublions cela. Asseyez-vous.

    - Oui, docteur Keredine, continua-t-il avec la même attitude provocante.

    - Arrêtez-ça, monsieur Ladriel.

    - Oui, docteur.

    - Sémantin!

    - Oui, Emilie...

    - Monsieur Ladriel, allez-vous-en!

    - Vous êtes encore plus belle quand vous avez peur...

    - Je n'ai pas peur! se défendit-elle maladroitement.

    - Bien sûr que vous avez peur, et vous en êtes radieuse...

    - Je...

    - Je ne vous veux aucun mal, Emilie, murmura-t-il.

    - Partez!

    Il s'avança un peu et prit sa main dans la sienne, délicatement.

    - DEHORS! hurla-t-elle en le repoussant violemment.

    En une fraction de seconde, Sémantin changea d'attitude, il s'écarta d'Emilie et frappa d'un grand coup de poing sur la porte:

    - NE ME DIS PAS CE QUE JE DOIS FAIRE, EMILIE! conclut-il avant de s'enfuir en claquant la porte.

    Il sortit précipitamment après un regard arrogant à Flore qui fit semblant de ne pas le voir.

     

    Emilie resta bouche bée pendant plusieurs minutes avant de reprendre ses esprits. Elle tremblait littéralement de peur. Il avait conclut par son prénom et ce simple mot était utilisé comme un spéculum dans son intimité. Elle sortit à son tour, regarda sa secrétaire l'air hagard et dit sur un ton monotone:

    - Annulez mes rendez-vous du matin, Flore, ensuite vous pourrez prendre votre pause de midi...

    - Mais docteur, il est dix heures...

    Sur quoi Emilie s'en fut s'assoir dans son bureau, sans un mot.


    *


    Flore passa quatre coups de téléphone, prit son manteau et sortit du bâtiment. Elle trottina près de trois-quarts d'heure pour se changer les idées et rejoindre son restaurant favoris dans une petite ruelle isolée en plein centre ville. A cette heure-ci, il n'y avait pratiquement personne dans les rues. Le restaurant ouvrirait dans vingt minutes.

    - Alors, on est jalouse, dit une voix derrière elle.

    - Monsieur Ladriel, sursauta-t-elle.

    - La jalousie te donne des airs boudeurs adorables...

    - Pourquoi vous n'êtes pas avec cette "Pénélope", monsieur Ladriel, dit-elle comme un reproche.

    - C'est toi que je préfère, Flore, assura-t-il.

    - Pourquoi ce petit jeu, alors!? Par crauté!?

    - Je voulais te baiser en colère, continua-t-il sûr de lui.

    - Et qu'est-ce qui vous fait croire que je me laisserais faire? répondit-elle bravache.

    - Parce que tu en as autant envie que moi, dit-il en s'approchant.

    Une fois à quelques centimètres de son visage - qu'il voyait par en-dessous-, Sémantin prit Flore par les hanches et la plaqua contre un mur de la ruelle.

    - Les gens du restaurant seront là dans cinq minutes! dit-elle encore un peu confiante.

    - C'est plus qu'il ne m'en faut...

    A ces mots, elle perdit toute consistance. Elle s'essaya quand même à la déstabilisation.

    - Vous ne contrôlez pas vos éjaculations, monsieur Ladriel?

    Le ton était volontairement cru, mais si peu convaincant...

    - Il faut savoir sauter sur l'occasion quand elle se présente.

    - Et les femmes sans défenses sont de bonnes occasions pour un homme de votre courage, n'est-ce pas?

    Pour qu'elle se taise enfin, Sémantin l'embrassa violemment. Flore fit mine de se débattre mais facilitait déjà son agresseur.

    - Je sais qui vous êtes et je vous dénoncerais! cracha-t-elle.

    - Tu es encore jalouse de cette petite poufiasse?

    - Si vous me laissez maintenant, je ne porterais pas plainte, menaça-t-elle en écartant les cuisses.

    - Si tu fais ça, j'irais m'envoyer Emilie.

    - Emilie!? ragea Flore.

    - Oui, Emilie, ton patron! attisa-t-il.

    - Non, je vous en prie, laisse-la en dehors de ça!

    - Ca doit être un bon coup, cette Emilie. Elle est comme une petite fille apeurée... dit-il dans un coup de rein.

    - Han... soupira Flore, ce que vous dîtes est horrible, monsieur Ladriel.

    - C'est une femme, avec ses désirs, ses fantasmes, ses envies... lui souffla-t-il à l'oreille.

    - Sémantin! Non!

    - Est-ce que tu ressens le viol de ta jalousie, Flore?

    - Oui... non... je ne sais pas... hmm...

    Elle était maintenant complétement plaquée au mur et encerclait Sémantin de ses jambes.

    - Ton patron, ou plutôt ta patronne, ta ravissante patronne, je suis sûr qu'elle est lesbienne... tu pourrais lui plaire si tu voulais...

    - Han... Non... non... non... je... maintenant... oui... Sémantin... je vous déteste... han... pourquoi...

    A ce moment, Flore se tendit et Sémantin eut en elle les derniers spasmes. Elle émit un petit cri et se ramollit totalement.

    Sémantin remonta son pantalon et lui dit simplement:

    - Bon appétit, Flore.

    - Merci monsieur Ladriel, dit-elle naïvement. A bientôt?

    Mais déjà il avait tourné dans l'artère principale d'un pas décidé.


    Il continua encore sur sa lancée et tourna sur la droite. Si alerte qu'il fut, il ne put éviter de rentrer à pleine vitesse dans ce même bonhomme mou de la dernière fois. Son sang ne fit qu'un tour et il décrocha un coup de tête dans le nez de l'importun. Cette fois pourtant, l'importun en question réagit rapidement, à peine furent-ils rentrés l'un dans l'autre que Jön avait imité Sémantin: il se préparait au coup et l'esquiva. Dans un réflexe fulgurant, surprenant même venant, Jön transforma l'élan du coup de tête en plongeon tête la première vers le bitume. Sémantin s'écrasa le front sur le sol sans aucun amorti et resta là, allongé, sans vie, sans témoins.

    Jön se dirigea vers son point de rendez-vous avec Amy et attendit inexpressif comme si rien ne s'était passé.


    *


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