• L'homme heureux

     

    L'Homme Heureux


    Cette fois c'est officiel, après des mois de négociations entre la communauté scientifique, les comités d'éthique et les associations de concommateurs, sous l'égide de la délégation culturelle du ministère des distractions, le premier parc homologique européen a ouvert ses portes ce matin à dix heures trente. Ce parc est une réponse au rapport du professeur Ernestine ALLEBERT sur la probabilité de disparition de certains caractères à l'état sauvage.

    Les premiers promeneurs ont pu découvrir quelques raretés venues des quatre coins du globe: oeuvrant pour quelque construction de bois d'un autre âge, les "solidaires" s'agitent et communiquent avec d'étranges signaux articulés. Un peu plus loin, un petit homme affronte sans baisser les bras les difficultés de son milieu naturel reconstitué à partir des données de terrain. A côté de l'enclos du "courageux", le "violent", irus externus, casse des piles d'assiettes avec frénésie. Il est un peu effrayant, mais ne semble pas s'intéresser au public.

    Mais la grande attraction du parc, dont il ne reste que quelques individus en liberté, c'est l'homme heureux, homo beatus, sauvé in extremis des braconniers qui les exterminent sans relâche pour vendre à prix d'or sa précieuse essence. Le seul autre spécimen connu, une femelle, réside au homoo de Nork Yew. Quand ils auront tous deux atteint l'âge adulte, les homologues espèrent les faire s'accoupler mais les chances de reproduction en captivité sont très incertaines.

    Ce qui étonne à première vue, c'est la sobriété de son habitat: l'homme heureux est allongé sur le sol, les bras croisés derrière la tête. Pour le profane, il ressemble à son cousin le "patient" à la différence qu'il semble ne rien attendre et sourit de temps à autre.

    Après différents tentatives d'acclimatation, les scientifiques se sont aperçus que la complexité de son biotope ne changeait en rien son comportement.

    L'histoire raconte que sa découverte est dûe au hasard. En effet, le père d'Ernestine ALLEBERT voyageait en Europe de l'ouest quand un impressario lui proposa un "pur moment de bonheur". Toujours curieux, Mr ALLEBERT père accepta et contacta ensuite sa fille pour analyses.

    L'émotiophorèse recoupait des caractéristiques déjà observées chez "l'insouciant" ou le "simplet", mais aussi plus surprenant, chez le "philosophe" ou "l'exalté"... pourtant, un élément restait inidentifiable: il n'y avait qu'une seule cause possible, les principes actifs étaient naturels! Un nouveau caractère venait d'être découvert!


    Des rumeurs dans l'administration du parc laisseraient entendre que l'homme heureux s'ennuie. La tentative de cohabitation avec les "solidaires" s'est soldée par des tensions au sein du groupe, sa paresse ne permettait pas une intégration totale, quant à la "colère" elle l'a littérallement assailli d'injures. Seule la compagnie de la femme heureuse pourrait préserver leur authenticité mais aucun des deux parcs n'est prêt à céder son spécimen.


    A la fin de ce safari effrayant, distrayant, envoûtant, chacun s'en est retourné s'asseoir confortablement dans son petit mal-être comme dans un mauvais fauteuil qu'on garde parce qu'il a pris la forme de ses fesses.


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