• Piranhas**

    XIX


    Pépo fut réveillé par un rayon de soleil. Il se releva et remodela sa veste. Alors qu'il pensait aplatir ses poches, il mit la main sur un carré de papier: la même écriture baveuse que la première fois disait "Ne la touches plus". Son premier réflexe fut de regarder autour de lui, inquiet. Au fond de son champ de vision, il aperçut la silouhette du gardien qui s'approchait du pigeon saccagé. Il eut juste le temps de se cacher derrière l'arbre, Enzo commençait à inspecter les environs.

    Quand il fut hors de danger, il quitta sa planque incertaine et rentra chez lui.



    XX


    Enzo savait qui soupçonner. Il le sentait. Ce Piotr était quelqu'un de violent, il lui fallait agir vite. sur le chemin du retour, il passa devant la chambre de Pépo, tant pis pour les empreintes de la porte d'entrée, il les expliquerait par son enquête-pigeon.

    Il ne disposait que des simili-feuilles d'érable sur une desquelles il inscrivit avec son ongle "Je sais qui tu es".

    Maintenant, il avait un moyen de pression sur le "tuteur" de sa fille, il pouvait le faire chanter. Piotr serait envoyé au centre de surveillance intensive pour son comportement impulsif, allongé sur un lit huit heures par jour et huit heures par nuit, avec promenade en salle surveillée, il le savaient tous les deux.

    - Je n'ai trouvé aucun indice, monsieur. cet après-midi, j'entamerai les interrogatoires.

    - Vous êtes entré dans le Mat 4H pour quelle raison?

    - Je pensais avoir vu quelque chose...

    - Ne pensez plus, trouvez! dit l'homme.



    XXI


    Jilli se préparait dans la salle d'eau. Pépo faisait les 100 pas, il n'entendit pas Enzo glisser sa feuille sous la porte. C'est Jilli en sortant qui l'aperçut la première.

    - Regardes Pépo, une feuille t'as suivi! dit-elle en la ramassant.

    Elle est découpée un peu partout... On dirait des lettres.

    - Fais voir!

    Il jeta un rapide coup d'oeil, le temps de déchiffrer le message et retenant un haut-le-coeur, la laissa tomber dans la poubelle, vide depuis des mois.

    Quand il se retourna, Jilli était déjà nue sur le lit assise les bras autour de ses jambes. Le menton calé entre les deux genoux, elle souriait patiemment, les yeux fermés. Toujours aveugle, elle tendit les mains vers l'avant et appela son amant.

    - C'est l'heure, mon amour. Viens.

    Spontanément, il avait pensé retarder leurs ébats jusqu'à un moment qui dérangerait Jilli, mais si elle apprenait à voir l'amour comme un devoir, autant la faire rentrer tout de suite au VBlock... Il ne devait pas laisser ses problèmes personnels influencer la formation, c'est toute une partie de la vie de Jilli qui était en jeu, quasiment le seul plaisir qui soit à la portée de tous.

    - Oui, j'arrive.

    Changement de stratégie. Sans baisers et sans passion, l'amour la séduit encore, qu'en sera-t-il de l'amour sans respect? Ce peut-être pris comme un test, elle verrait que je tiens mon rôle de tuteur au lieu d'interpréter...peut-être.


    Pépo s'aventura sur une voie qu'il connaissait mal. Il tâtonnait le vice du bout des doigts et le rendit agréable, doux. Il prenait tant de temps pour être infâme que Jilli le prit pour une douce progression vers de nouveaux plaisirs. Les soupirs devinrent de petits cris, sa maladresse se détendit un peu, elle commença à accompagner les mouvements, accentua les saccades par des contractions synchrones et le seuil fut franchi... Pépo oublia tous ses principes et se donna à l'étreinte, retrouvant sa fougue d'antant avec cette jeun femme qui le rendait fou.

    Pourtant au premier orgasme, quand la tension sexuelle disparut, au lieu du bien-être diffus qui l'accompagne, une culpabilité délétère se répandit dans tout son corps.

    Avec ses manières sans retenue, son amour inconditionnel, elle avait révélé l'amour qui sommeillait en lui. Pépo n'osait plus se regarder dans la glace. Il regardait cette nouvelle personnalité avec curiosité, une sorte de fascination étrange. Il ne se connaissait plus. Le Pépo qui s'était construit durant toutes ses années s'était effacé pour cette gamine.

    Il fut pris de spasmes étranges voyant tour à tour Jilli comme une maîtresse sensuelle et une filleule de 17 ans. Il sentait cette dualité en lui et ne savait pas comment s'en débarasser.

    Il passa les heures qui suivirent à lutter pour ses convictions, mais la réalité était bien trop présente, bien trop envoûtante et généreuse pour pouvoir défendre ces reliques du passé. Malgré les menaces, la morale et tout ce qui l'en empêchait, il finit par empoigner Jilli vers la fin de l'après-midi.

    Trop heureuse qu'il lui réponde enfin, elle se laissa prendre sans un mot jusqu'à la nuit tombée.


    Pépo s'écroula sur le dos aux côté de Jilli, le coeur battant la chamade. Si sa théorie d'étalon était à son paroxysme, le corsp puisait dans les réserves. Il était épuisé, épuisé mais béat.

    Jilli quant à elle était plus radieuse que jamais. Elle découvrait la vie main dans la main avec l'élu de son coeur.


    Le 12e jour, Jilli trouva une lettre sous la porte, elle disait "Tiens-toi à l'écart ou je te dénonces..." A l'écart de qui? Dénoncer à quoi?

    - Pépo, qu'est-ce que ça veut dire? demanda-t-elle inquiète.

    - C'est sûrement un de mes amis qui veut me faire une blague...

    Elle garda le silence mais savait qu'il mentait. Les personnes qui mentent ont besoin de le faire, inutile d'insister.

    - D'accord, mon chéri. Que fait-on aujourd'hui? demanda-t-elle avec un regard complice.


    Pépo, malgré la fatigue avait définitivement coulé dans cette romance. Les messages anonymes et les quelques doutes qui s'étaient éveillés avec le matin furent dissipés d'un seul de ses regards. Il s'approcha d'elle, la regarda droit dans les yeux et l'embrassa passionément.

    Ils passèrent la matinée enlacés entre caresses et amours et s'endormirent l'un sur l'autre en nage...


    Debout dans l'entrée, Pépo regardait Jilli s'étirer mollement comme une chatte qui somnole. Ses souvenirs de chats remontaient loin maintenant, mais Jilli réveillait en lui beaucoup de jeunesse oubliée entre la WT et les Mat dont il était un des pionniers et un des prisonniers. Beaucoup de souvenirs de la vie lui revenaient . Il se sentait 50 ans de moins, juste assez pour n'être que son père... Encore quelques jours de cette relation incestueuse et ils auraient le même âge...



    XXII


    Enzo pensait qu'en étant régulier dans ses menaces, il dissuaderait Pépo d'agir jusqu'à ce qu'il sache quoi faire.



    XIII


    Au 14e jour, Pépo ouvrit les yeux sur la lettre qui n'avait pas encore fini sa course sous la porte. Il se précipité sur la porte, l'ouvrit avec force et bondit dans le couloir. Malheureusement, il ne fut pas assez rapide, le couloir était vide. Il était très tôt, la nuit dans le parc était trop noire pour pousser les recherches plus avant.

    "Surveilles tes arrières Chewasky!". Là, ça devenait carrément des menaces.

    Le vacarme avait éveillé Jilli. Elle fixait la lettre et les expressions de Pépo.

    - Donnes-moi ça! commanda-t-elle.

    - C'est encore un vieux camarade qui...

    - ... qui te fais des farces à cette heure-ci!? Donnes! ordonna-t-elle d'une voix sans compromis.

    - Ce n'est pas grave, Jilli, dit Pépo à la jeune fille soudain inquiète. Ce doit être quelqu'un du Mat qui a perdu la tête, les services de santé ne tarderont pas à le récupérer, il a sûrement laissé ses empreintes partout...

    Elle eut un moment d'hésitation.

    - Chewasky?

    - Piotr Chewasky.

    - Il faut partir Pépo, dit-elle comme un oracle. Nous ne sommes pas à l'abri ici.

    Sans paroles inutiles, simplement l'intensité de ses inquiétudes, elle avait exacerbé les craintes de son amant. Peut-être ne s'agissait-il pas d'un résident du Mat, qu'il serait dénoncé au service de santé pour tempéramment violent, que ce mystérieux anonyme pouvait passer à l'acte et les tuer tous les deux? Ils décidèrent de passer la journée à chercher un moyen de sortir du Mat et de partir dans la nuit.



    XXIV


    Méliane Lekiner se faisait du souci. Depuis qu'ils avaient repris contact, elle et son mari, se voyaient au moins une fois par semaine et voilà près de quinze jours qu'elle n'avait pas de nouvelles. En célibataire toujours soucieuse de la santé de l'ancien homme de sa vie, elle prit son pouce à la main et démarra sa voiture en direction du Mat 4 où travaillait Enzo. Ils s'étaient rencontrés 20 ans auparavant lorsqu'Enzo était en service dans la région. Ce fut la plus impossible des recontres compte tenu des clivages sectoriels et la découverte de leurs différences avait servi d'amour. De cette union naquit deux preuves indiscutables de leur passé, Lady Jilli et Sijerkom. Elle y pensait parfois, mais quand elle était avec Enzo, ils ne les évoquaient jamais, c'était la règle. Son mari était souvent envoyé à droite et à gauche, si bien que cet amour étrange avait appris à se passer de support, il vivait dans leur esprit et en sortait plus puissant à chacune de leurs retrouvailles, au début. A chacune de ses permissions, il revenait de plus en plus amorphe, de plus en plus "mâchant son chewing-gum".

    Peu à peu, Méliane eut besoin d'une présence plus réelle et après des années de supplications stériles, elle quitta son mari. Mais leur amour était né de l'espoir, de l'attente de moments ensemble et l'éloignement voulu par Méliane définitif ne l'altéra que très peu. Ainsi, quand les enfants furent envoyés aux centres d'éducation, c'est elle qui fit le premier pas pour le revoir.

    Elle arrivait près de la Lisière du Mat. elle ne voulait pas d'une relation suivie, ils n'en avaient jamais eu, pourtant elle ne pouvait se résoudre à ne plus le voir, à ne plus l'aimer.


    Elle le trouva dans la position dans laquelle elle l'avait laissé deux semaines auparavant.

    - Bonjour Enzo, comment vas-tu?

    - Reviens plus tard Méliane, je n'ai pas le temps.

    - Bien sûr que si, c'est même tout ce que tu as Enzo, mon chéri. Que se passe-t-il? Tu me laisses deux semaines sans nouvelles et quand je viens te voir, tu joues les occupés?

    - Ecoutes, Méliane, je ne peux pas t'expliquer. Reviens plus tard.

    - Eh! Tu fais ta vie de ton côté et moi la mienne mais ne me jettes pas comme ça! Tu es pâle, tu as des cernes qui font peur à voir. Il faut que tu m'expliques. Peut-être que tu ne t'en souviens pas mais je... suis ta femme et ...

    A cette dernière remarque, Enzo se souvint qui était en train de lui parler.

    - Méliane... c'est vrai, tu as le droit de savoir. Tu es concernée auatnt que moi. Il y a 14 jours, j'ai revu notre fille. Je l'ai accompagnée depuis le VBlock jusqu'ici avec un de ces débris que je surveille. Elle ne m'a pas reconnu. Je me suis renseigné sur ce qu'ils leur faisaient, c'est répugnant, c'est, c'est...

    - Calme-toi Enzo. Que font-ils?

    - Ils les dépucellent! hurla-t-il possédé.

    - Enzo tu me fais peur, assieds-toi, s'il te plaît.

    L'écran s'alluma sur le visage impassible.

    - Encore vos histoires militaires Lekiner? C'est la deuxième fois cette semaine, faîtes attention. A la troisième, vous n'aurez plus assez d'histoire pour occuper votre temps libre!

    - Oui, monsieur, dit-il soumis.

    - "Votre temps libre"!? Il est drôle celui-là tiens.

    Cette intervention avait le mérite de l'avoir calmé. Il continua en chuchottant.

    - Ce cadavre putride va violer notre enfant pendant trois semaines avant de la relâchée souillée quand il aura excité tous ses fantasmes de pervers!

    - Je te trouve ignoble Enzo. Que se passe-t-il, tu n'avais jamais été comme ça, répondit-elle sur un ton sévère.

    - Parce que c'est la première fois que je suis complice du viol de ma propre fille!

    - Mais enfin, tu délires!

    - Et en plus, elle sourit, elle ne se rend pas compte qu'il assouvit son vice... Ma petite fille...

    - ... Tu me dis que tu as revu notre fille sourire et tout ce que tu tires comme conclusion c'est qu'elle ne se rend pas compte! Qu'est-ce qui te prends de juger les gens comme ça? A vingt ans comme à cent ont ressent les même choses et si NOTRE fille semble heureuse avec cet homme, tu devrais t'en réjouir. Elle sera peut-être la seule à être heureuse de ses obligations! Et puis tu le savais!

    Elle allait poursuivre sa tirade mais elle avait enfouit le sujet depuis trop longtemps, s'arrêtant net, elle demanda:

    - Et comment est-elle?

    Enzo marqua un moment d'hésitation et puis invité par les yeux brillants de son épouse, il se laissa aller à son admiration paternelle pour la première fois depuis longtemps.

    - Elle est belle... Elle a de longs cheveux blancs qui sont assez fins pour dessiner les moindres détails du vent. Elle a des yeux d'un rose profond, sages et espiègles à la fois. On pourrait croire qu'elle est timide mais d'un simple regard, on comprend qu'elle préfère ne rien faire que de se donner à moitié...

    - De qui est-ce que tu parles, Enzo? demanda Méliane le souffle court.

    - Tu m'as manqué, Méliane.

    - Toi aussi, dit-elle en lui caressant la joue.

    - Je ne peux pas me lever!

    - Pas la peine...


    Elle s'assit sur les jambes d'Enzo à califourchon. Les capteurs ne détectaient pas les surpoids parce que les gardes avaient plutôt tendance à grossir... Elle serra son mari dans ses bras et ils s'enbrassèrent tendrement. Quand la tendresse se changea en passion, Enzo trouva naturellement ce chemin vers sa femme à travers la pâte vestimentaire.


    Méliane céda la première, rejointe par son mari un peu après. Elle se leva alors, déposa un dernier baiser sur son front et se dirigea vers la porte.

    Enzo lança:

    - Tu veux la voir?

    - Non, mon amour. Je préfère garder le souvenir de notre fille quand elle l'était encore. Jilli doit grandir. Nous ne sommes plus ses parents, tu dois te faire à cette idée. Quand à son ami, c'est sûrement quelqu'un de très bien, elle ne serait pas heureuse avec un "pervers", ou alors ce n'était pas ma fille!

    - Tu as peut-être raison... dit-il pensif.

    - Au revoir.

    - Méliane! appela-t-il.

    - A bientôt...


    Elle franchit la porte et Enzo s'endormit, serein.



    XXV


    Ce matin-là, Jerk n'en pouvait plus. Il était enfermé dans cet enclos depuis deux semaines sans rien faire d'autre que tourner en rond.

    - Tu ne veux pas faire une petite partie de Tridim Pool pour t'occuper?

    - Tu veux rire, j'ai jamais vu un jeu aussi nul!

    Le Tridim Pool était un billard tridimensionnel, en apesanteur, cubique ou sphérique. On y jouait la plupart du temps sur une projection holographique depuis la fenêtre-écran parce que les vrais modèles étaient hors de prix. Les boules étaient légèrement poreuses et le fluide de jeu à visquosité variable en fonction de la température. Les meilleurs joueur tels que Odolphe Smith ou Réréfred Sinusith jouaient à une température de 100 Kelvin! Mais rares étaient ceux qui jouaient sous le zéro Celsius. La viscosité permettait les effets les plus surprenants mais incontrôlables pour les non spécialistes. Les boules étaient percutées par des impulsions électromagnétiques à travers les pariétales du tridim. Pour le reste, les règles étaient les même que son ancêtre plan. Le plus grand champio...

    - C'est bon, on est au courant!

    Comme tu voudras Sijerkom.

    - M'appelle pas comme ça!

    C'est moi qui choisis. Maintenant, tu dois dire "on sort" avec un point d'exclamation.

    - On sort! posa-t-il brutalement.

    - Où veux-tu aller?

    - Dehors! Cet endroit pue le renfermé!

    - Vas-y. Tu veux que je t'accompagne cette fois? demanda-t-elle étonnée.

    - Oui, je veux sortir de cet endroit, je veux aller en ville et on ne me laissera pas partir tout seul.

    Il la tira par le bras vers la sortie.

    - Il faut une autorisation, nous devons la demander au bureau avant.

    - Et en vas-y, qu'est-ce que tu attends? Ma permission?


    Bien entendu, Sophie s'en fut chercher l'autorisation et revint une heure plus tard avec un bon de sortie immédiate.

    *



    Les murs étaient très hauts et ils étaient tous deux trop fragiles pour s'aventurer à ce genre de cascade. Pépo et Jilli conclurent que le meilleur moyen de sortir du Mat était à la mise en route des surveillances automatiques, quand le garde finissait sa ronde, juste avant qu'il s'endorme, quelque part vers 3 heures du matin. Entre le moment où il entrait dans la guérite et celui où il enclenchait les alarmes nocturnes, il y avait deux ou trois minutes, peut-être moins, qui leur permettrait de se faufiler par la Lisière. Le coup était risqué, pratiquemment sans espoir, mais s'ils se faisaient prendre, au moins seraient-ils en sécurité dans leurs cellules.

    Le soir venu, un peu avant l'heure du couvre-feu, Pépo ouvrit la porte de sa résidence, se précipita sur la porte de sa chambre, ouvrit, la claqua aussitôt et ressortit avant que la première ne soit refermée... Enfin, avec un petit coup de main de Jilli qui tenait la porte. Ils étaient "chez eux", pour tous les capteurs superficiels. Le personnel du Mat ne serait alerté que le lendemain matin de l'absence de mouvement dans la chambre 3 du 4H, ce qui leur laissait environ 27 heures d'avance.

    Officieusement, ils commençaient à avoir froid dans la nuit noire du parc, blottis l'un contre l'autre au plus lointain détour du chemin. Si proches l'un de l'autre qu'ils respiraient leurs odeurs respectives. Au creux de l'épaule de Pépo, Jilli écoutait battre ce coeur, bercée par les battements sourds et etouffés. Pépo quant à lui, plongeait le nez dans la chevelure neige de Jilli. Il avait appris à connaître son odeur et acceptait maintenant sa signification. Quand cette odeur emplissait à ce point ses narines, c'est qu'ils allaient s'aimer.

    Sans rien comprendre de ce qui leur arrivaient, ils se lovèrent l'un autour de l'autre et dans cette position insolite, eurent un coït labyrinthique à travers la pâte.


    Deux heures approchaient. Ils s'étaient assoupis enlacés et la fraîcheur de la nuit les avait peu à peu invités au frissons. Il fallait se mettre en route.


    La guérite n'offrait qu'une seule porte à sa droite, du même côté que la sortie vers la WT, le garde passerait forcément par là. Donnant sur le parc, une grande baie vitrée qui débuttait à hauteur des hanches, idem de l'autre côté. Ils se cachèrent derrière la partie gauche du poste et attendirent le retour du garde. Il arriva peu de temps après de son pas résigné. Ils ne virent pas que son regard était trop absorbé pour remarquer quoi que ce soit, ils voyaient tout à travers la paranoïa du fugitif, et mirent la réussite sur le dos de leur discrétion. Il fallait agir vite. Le garde entra, alluma la lumière, Pépo et Jilli rampèrent jusqu'à la porte, il la referma, passèrent devant, s'assit, sortirent du Mat toujours accroupis, alluma les surveillances nocturnes: une ribambelle de lasers occupa tout l'espace entre la guérite et le mur d'enceinte, plus question de faire marche arrière!

    Quelques minutes plus tard, la lumière s'éteignit. Ils attendirent un peu pour être sûrs et s'éloignèrent de la Lisière. En se relevant, Pépo avait retenu un gémissement que ses articulations avaient déclenchée, mais ils poursuivirent sans état d'âme.

    Ils étaient maintenant confrontés à leur liberté de hors-la-loi: ils ne pourraient aller nulle part sans signaler leur présence.

    *



    Le taxi de Jerk et Sophie filait aussi vite que le permettait la loi sur les taxi, soit exactement la même vitesse qu'un autre taxi, quand arrêtés au croisement de deux axes, il fut assailli par un vieil homme en sueur et une jeune fille fatiguée. Jerk même sursauta devant la soudaineté de l'assaut. Pourtant leurs visages n'étaient pas menaçants, implorants plutôt. Sans qu'il ne dise rien, Sophie fit ouvrir la porte et le taxi repartit, chargé de 4 personnes.



    - Merci, dirent les deux essouflés.

    - Vous êtes qui? lança Jerk un peu dédaigneux.

    - Jeff et ... Jess, mentit Jilli avant que Pépo ne puisse dire quoi que ce soit.

    - Qu'est-ce que vous foutez là?

    Lui avait l'air orgueilleux mais son amie semblait prête à entendre.

    - Autant vous le dire franchement. Ces derniers jours, j'ai reçu des menaces à l'intérieur même du Mat 4 et nous avons pensé qu'il valait mieux s'éloigner un peu le temps de l'enquête. Et manque de chance, le taxi est tombé en panne à peine deux kilomètres après être parti...

    - Et pourquoi vous êtes tous les deux si c'est toi qui a reçu des menaces?

    - C'est une jeune... infirmière à laquelle j'ai demandé de m'aider, je n'ai plus toute ma forme.

    - Vous avez l'air sincères, dit Sophie, nous allons vous aider, si on le peut encore...

    - Tu parles en mon nom maintenant!? coupa Jerk. Ne vous inquiétez pas, on va vous aider.


    - Où allez-vous s'enquit Jilli.

    - A ton avis!? rétorqua Jerk, à la plage!? Je ne peux aller qu'à un seul endroit avec elle...

    - Nous allons dans la rue des divertissements, mais vous ne pourrez pas entrer, vous n'êtes certainement pas autorisés... avança Sophie, doucement.

    - Bien vu mémé! ironisa Jerk.

    - Où peut-on aller pour se mettre à l'abri le temps de réfléchir? demanda Pépo.

    Jerk regarda Jilli et ce fut lui le premier qui proposa:

    - Dans l'enclos! Personne ne viendra vous chercher là-bas.

    - Ce qu'il appelle "l'enclos", c'est la Mature Town section 3 dans laquelle je l'héberge en ce moment, dit Sophie, mais c'est la même chose, vous ne pourrez pas entrer si vous n'êtes pas sur les fichiers...

    - On ne devrait pas y être avant demain 6 heures, on pourrait entrer pendant les heures de visite? proposa Pépo.

    - Et demain à 6h05, on est tous en surveillance intensive. Pas mal, mon vieux! persiffla Jerk, les yeux au ciel.

    Pépo serra les dents. Il était exténué. Ils avient marché toute la nuit sans s'arrêter et son esprit était un peu confus. Se savoir à la merci de ce morveux l'irritait de plus en plus.

    - C'est vrai, dit-il simplement.

    Jerk lorgnait toujours sur Jilli, il la toisait de haut en bas. Soit il oublia d'être discret, soit il s'en moquait éperdument, Sophie s'en aperçut. Etrangement, elle fut soudain jalouse de cette petite nouvelle que son Jerk convoitait. Jilli, de son côté, détourna les yeux et regarda ostensiblement Pépo qui la couvrit d'un regard protecteur. Sophie et Jilli toussèrent pour débloquer la situation ce qui fit se toiser les yeux dans les yeux Jilli étonnée, Sophie désapointée, Pépo qui semblait dire "n'y pense même pas" et Jerk "dégage papy".

    Le taxi s'arrêta, mettant un terme à ces joutes visuelles.

    - Bon, qu'est-ce qu'on fait? demanda Sophie.

    - Il est 9 heures, il vous faut trois heures pour rejoindre la sortie. Chacun va chercher une solution de son côté et on se retrouve à midi là-bas, orchestra Pépo, mais on compte beaucoup sur vous parce qu'à part marcher, on n'aura pas le temps de faire autre chose.

    - Bien. A plus tard. A plus tard Jeff. A plus tard Jess, dit Jerk avec un clin d'oeil salace.

    - Nous ferons notre possible, à tout à l'heure, renchérit Sophie.


    Jilli et Pépo les regardèrent s'engouffrer entre les deux rangées de boutiques mouvantes et partirent d'un bon pas le long de l'une d'elle à l'extérieur. Tout était aller vite, trop vite, mais Pépo savait très bien que quand on est enfermé au Mat, on espère presque les cas comme celui-ci, même s'ils sont totalement inespérés. Cette opportunité leur avait donné des ailes pour quelques temps mais la fatigue les rattrappa bientôt. Ils arpentaient les ruelles "réservées" aux services d'entretien, désertes et métalliques. Rien dans le bordel des poutres et des vieux rouages entreposés à même le sol ne leur laissait croire qu'il arriveraient à temps. Tout était identique du même abandon. Leurs pas devinrent résignés et réguliers seulement ordonnés par un élan systématique, brûlant un à un leurs appétits et leur volonté. Aussi arrivèrent-ils vidés après 2h40 d'un trajet silencieux. Ils ne ressentirent presque aucune joie malgré leur réussite, mais se manifestèrent tout de même leur soulagement d'une simple pression de la main, sans se regarder.


    Jerk et Sophie arrivaient à quelque centaines de mètres, de l'autre côté des bornes de contrôle, le sourire aux lèvres.

    Jerk se jeta sur les bornes mais la sortie fut refusée. Ils avaient près de 10 minutes pour se parler à travers les douanes électroniques.

    - Dis-leur! ordonna Sijerkom..

    Et Sophie se mit à expliquer leur trouvaille.

    - Voilà... Je me suis souvenue que quelque chose m'avait fait beaucoup rire quand j'étais petite. J'avais 10 ans quand ils ont installé le premier réseau digital et l'industriel avait annoncer avoir entrer dans la base de données les personnes existantes qui s'en serviraient. Le clonage était à la mode alors il a cru amusant de rajouter les personnalités et les stars décédées, au cas où. Mais le clonage fut abandonné et la blague avec, je n'en ai plus jamais entendu parler. Il se félicitait de savoir que le clone de Charlemagne et Lucie pourraient jouir de cette technologie. Pour prolonger la farce, il avait rajouter toutes les mascottes de football et un tas d'autres personnages fictifs. Avec mes amies, nous avons beaucoup ri en pensant que Sonic le hérisson aurait pu se balader tranquillement dans la rue et être autoriser à entrer partout! Alors...

    - On vous a trouvé des doigts! coupa Jerk. A la boutique de farces et attrapes...

    Les bornes acceptèrent enfin leur sortie et tous les quatre se mirent en route.

    - ...le vendeur nous a assurer que c'était des "répliques exactes" des vrais... A partir de maintenant, vous êtes Bozo le Clown et Betty Boop. Vous devrez prendre les doigts à la main et ...

    Pour une fois, Jerk eut presque l'air coquin. On aurait dit que cette bonne blague lui redonnait ses 10 ans.

    - Ca marcherra jamais! lança Jilli les larmes aux yeux.

    - Ca va marcher, dirent Pépo et Sophie de conserve.

    Jerk quant à lui repris son air vengeur et intima à la troupe de le suivre dans le taxi qu'il venait d'arrêter.

    - Comment tu connais tout ça toi, demanda Pépo?

    - Elle m'a expliqué, dit-il renfrogné. Vous descendez là!


    Le taxi continua jusqu'à l'entrée du Mat 3 en laissant Pépo et Jilli une centaine de mètres derrière. Ils prirent le temps d'enfiler les faux doigts et furent pris d'un fou rire nerveux: c'était ridicule, mais il n'étaient pas nés pour la fuite et ils avaient assez vite perdu le sens des réalités. Ils allaient braver des années de progrès électronique avec des farces et attrapes... Il faudrait une sacré dose de sang-froid.


    Heureusement pour eux, entre 12 et 14h, beaucoup de citoyens venaient de la WT pour visiter leurs parents et grands-parents, le garde les regarda à peine.

    - Vous êtes?

    - Leclown, Bozo et Boop, Betty.

    Le scanner confirma.

    - Quel nom?

    Pépo lança un nom au hasard, grisé.

    - Géraldine Fantômette, 3T.

    - C'est bon, allez-y, vous avez deux heures. Au suivant.

    Pépo jubilait à l'idée que ce gardien ne savait rien sur rien et que non content d'être un nigaud, il ne connaissait pas même le nom des gens qu'il surveillait. Et puis il se rendit compte qu'il ne connaissait pas non plus le nom de son propre gardien. Depuis deux ou trois ans, il l'avait croisé sans jamais lui dire autre chose que son nom à lui.


    Jerk et Sophie les attendaient un peu plus loin.

    - Tu vois!? lança-t-il à Jilli.

    Et ils entrèrent dans la chambre plus étroite encore de Sophie.

    *



    - On va être à l'étroit!...

    - J'habitais ici il y a trois ans...

    - Moi, j'y habites depuis neuf ans. Bizarre qu'on ne...

    - ... il va falloir...

    - ... se soient...

    - ... s'organiser...

    - ... jamais croisés.

    - LA FERME!!


    Seule Jilli restait muette dans son coin, et ce n'était pas une image. Pour la première fois, Pépo parlait à une autre femme et elle ne savait pas comment réagir. Son premier réflexe fut de poser sa main sur son épaule affectueusement. Il n'y fit pas attention autant qu'elle aurait voulu, il lui sourit gentiment, et continua à parler. Sophie accentua la discussion sur les choses que la "petite" infirmière ne pouvait pas connaître et Jerk s'enflamma sur le fait qu'il valait mieux éviter les effusions tant que la situation n'était pas éclaircie.

    Sophie se sentait plutôt bien à évoquer des souvenirs avec Pépo, elle en oubliait un peu sa relation étrange avec Jerk qui ne faisait d'ailleurs plus du tout attention à elle. De temps à autres, il lui lançait un pic mais sans trop de convictions. Jilli regardait effrayée Pépo et Sophie, et Jerk regardait Jilli avec des yeux de braises.


    - Tout ça a dû vous épuiser, dit Jerk, mielleux. Vous devriez vous reposer...

    - Tu sais à nos âges, on se sent toujours fatigués, répondit Pépo. Si nous allions nous promener, voilà trois ans que je n'ai pas vu ce parc et ses pigeons. Qu'y a-t-il de nouveau?

    - Rien dit-elle en haussant les sourcils, désolée.

    - De toutes façons, il ne manquait rien! ironisa Pépo.

    - Je vous accompagne annonça Jerk péremptoire.

    Sophie et Pépo se regardaient, navrés.


    - Dis-moi, Ji... Jess, tu m'accompagnes? poursuivit Pépo sur le même ton enjoué.

    - Non, je suis fatiguée, je vais resté ici!

    Elle boudait de toute sa jeune jalousie.


    Les trois compagnons sortirent pour une promenade symbolique dans ce décors cent fois revu.


    - Jolie fille, cette Jesse, entama Jerk...

    - Où est-ce que tu veux en venir, dit Pépo, méfiant.

    - Elle le sait.

    - Et alors?

    - Ce que je veux dire, c'est qu'elle se sait jolie, elle sait l'effet qu'elle peut provoquer en jouant les ingénues...

    - Les quoi!? s'étonna Pépo.

    - Elle est caline etc, elle a l'air plus attachée à toi qu'une infirmière à son patient... Je ne serais pas étonné que ce soit elle qui t'ai demandé de partir.

    - ...

    - Tu n'as jamais vu personne poser les lettres, non? A son âge, on rêve d'aventure...

    - A son âge!? T'es aussi vieux qu'elle, arrête ça crétin!

    Il rejetait cette idée mais le doute s'insinuait, il la revoyait amoureuse et dévouée mais les suppositions de Jerk mettaient derrière le visage angélique un sourire manipulateur.

    - Elle est restée dormir, non? Je pense qu'il serait prudent de retourner la surveiller...

    - Tu as raison, dit Sophie.

    Elle était impressionnée par le tempérament de Jerk et bien que Pépo et elle s'entendent comme de vieux amis, elle ne pouvait oublier que Jerk tournait autour de la "gamine".

    - J'y vais, proposa-t-il.

    - On y va tous.

    - Inutile d'être tous les trois, j'essaierais d'en savoir un peu plus. En plus, vous semblez avoir des choses à vous dire... dit-il avec un sourire complice.

    - Merci...


    - Je ne sais pas vraiment quoi faire, Sophie.

    Cette femme douce retrouva en un instant ses instincts de rivale et s'engouffra dans la brèche offerte, peu importait pour l'instant celui qu'elle préférait:

    - Arrêtes le stage.

    - ...

    - Si les lettres te demandent de ne plus la toucher, tu n'as rien à craindre et si c'est elle qui les écrivait, et bien ce sera réglé.

    Sophie s'étonna de tant de calcul spontané de sa part...

    - Peut-être... J'ai peur de m'être laissé prendre à son charme. J'étais seul avec elle et ...

    - Chut...

    *



    Jerk entra dans la chambre et trouva Jilli sanglotant sur le lit.

    - Vas t'en, dit-elle, je te déteste et je déteste Sophie.

    - Jess, ils sont vieux, ils s'entendent sur la nostalgie, ce n'est pas pour toi. Tu es belle, magnifique même, tu devrais aimer quelqu'un qui peut te le rendre.

    A mesure qu'il parlait, il s'approchait de Jilli et s'allongea sur le lit. Jilli se retourna.

    - Ne me regardes pas pleurer!

    Il lui prit les épaules affectueusement et la coucha sur le dos.

    - Tu sais Jess, tu ne devrais pas pleurer comme ça, il y a beaucoup de choses que tu ne connais pas encore. S'il veut rester avec sa vieille, il ne sait pas ce qu'il manque...

    Il la prit entre ses bras, comme un grand frère.


    Jilli oublia qui il était et fondit en larmes.

    - Mais je l'aime, cria-t-elle.

    - Tu ne peux pas l'aimer puisque lui ne t'aimes pas vraiment...

    Elle fut frappée par la justesse de ses arguments et se reprit un peu.

    - Moi, je t'aime, dit-il, enfiévré par ses propres mots, ce qui éveilla mes soupçons de Jilli.

    Il glissa sa jambe entre les siennes et se vautra sur elle. Jilli gesticula tant qu'elle put mais elle était trop frêle et trop épuisée pour chasser le garçon. Jerk ouvrit alors un corridor entre ses jambes et se préparait à entrer en elle de force à travers la pâte.

    Elle hurlait de tous ses poumons et dans son impuissance, elle griffa de ses ongles de pied un nerf dans le mollet de Jerk. La douleur paralysante lui fit desserrer son étau et Jilli en profita pour s'en extraire.

    Elle était debout, essoufflée, et regardait Jerk apeurée. Lui avait retrouvé son visage arrogant et lui sourit de toutes ses dents arborant un air fou.


    Juste à ce moment, Sophie et Pépo entrèrent. Il se retourna rapidement et fit un clin d'oeil entendu...

    - Elle continue, murmura-t-il.

    - Il a essayé de faire l'amour avec moi, dit-elle paniquée, il faut qu'on s'en aille Pépo.

    - Oui, dit Pépo, il faut qu'on s'en aille.

    Jilli le rejoint et sortit la première. Pépo se retourna un bref instant pour lancer un dernier regard à ses "complices". Dès qu'il eut fermé la porte, Jerk s'approcha de Sophie et la gifla:

    - Pourquoi est-elle partie? Et c'était quoi ce regard qu'il a lancé avant de partir? Tu étais au courant?

    - On pensait qu'il valait mieux qu'ils s'en aillent, c'était risqué de les aider trop longtemps, dit-ellle en gémissant.

    - Encore cinq jours avec toi! Je vais devenir dingue! Espèce de vieille débile, tu pensais qu'il valait mieux qu'elle s'en aille? Pas pour moi en tous cas!

    Mêlant le geste à la parole, il la poussa sur le lit et sauta sur elle. Elle eut beau dire sa douleur, il répliqua par une trempe et "arrêtes de pleurnicher! Déjà bien contente que je reste là!".


    Bozo et Betty sortirent du Mat 3 et se perdirent dans la nature sans que personne ne s'en soucie. Jilli et Pépo étaient de nouveau dehors, livrés à eux-même. Elle tremblait encore de l'agression. Il essayait de la réconforter mais ses soupçons l'empêchaient d'être sincère. Il ne savait pas si elle mentait ou si Jerk avait vraiment fait ça.



    XXVI


    - Il faut que nous rentrions au Mat 4, Jilli.

    - Non! Que fais-tu de ces lettres que tu as reçues? L'auteur est peut-être à nos trousses!

    - Je sais, mais nous ne pourrons pas fuir éternellement, il faut rentrer et le signaler, c'est ce que nous avons de mieux à faire.

    - Comme tu voudras, Pépo, dit-elle avec un air de reproche.

    - Oui... Avec un peu de chance, nous pourrons expliquer tout cela au gardien du Mat et rentrer chez nous...


    La jeune fille s'était laissée prendre au piège de son plaisir et son assurance en avait fait une forme d'amour, rien d'extraordinaire. Peut-être était-ce son regard, sa douceur, sa beauté, qui troublait autant le tuteur pourtant aguerri. Peut-être lui aussi s'était-il laissé pendre au piège de son plaisir et son manque de nouveauté en avait-il fait une sorte d'amour... Ils étaient sorti de leur cocon et rien ne semblait plus aussi clair. Pépo ne comprenait plus ce qu'ils faisaient là, à jouer au hors-la-loi pour fuir des bouts de papier et suivre une filleule de 19 ans...

     

    Arrivés à la Lisière du Mat 4, Pépo hésita un instant et Jilli en profita pour lui envoyer un de ces regards irresistibles qui disaient "je t'en prie, mon amour, reste avec moi! Ils te tueront!". Mais le vieil homme repensait à la mise en garde de Jerk, elle sait qu'elle est irrésistible, et il s'en servit pour se présenter devant le garde du Mat 4 en la tirant par le bras.


    - Bonjour.

    - Qu'est-ce que vous faîtes de ce côté? s'étonna Lekiner.

    - Eh bien voilà... commença-t-il.

    - c'est étrange cette histoire, mentit le garde. Mais vous devez être fatigués, rentrez chez vous. Nous tirerons cette histoire au clair plus tard. Je dois informer ma hiérarchie, nous viendrons vous interroger plus tard.



    XXVII


    De son côté, Jerk avait été odieux. Sophie avait dû mentir au service médical, dire qu'elle était tombée. Bientôt, elle serait mise en observation et transferée au block pour les "gens comme elle", avec surveillance permanente et assistance intrusive. Mais elle n'avait pu se résoudre à dénoncer Jerk, parce que cela représentait un échec plus grand encore de s'être laissée utilisée par un filleul. Elle prenait aujourd'hui toute la mesure de ce qui s'était passé et en était consternée. Elle se sentait vieille, salie mais plus que tout humiliée.

    Le 21e jour arriva, tant bien que mal. Jerk retourna au Vblock pour la vérification de sa formation. Il retrouva sa chambre sans même un regard pour Sophie.

    Une fois rentrée chez elle après les mensonges nécessaires, elle s'assit sur son lit et se mit à pleurer.



    XXVIII


    Méliane Lekiner était revenue tous les jours et à force de retrouvailles, elle arriva un jour à la Lisière l'air confus et dit à son mari:

    - Je suis en retard.

    - Justement, j'allais partir à ta recherche, ironisa-t-il.

    - Non, ce n'est pas ça... dit-elle avec un sourire.

    - En retard!? Mais c'est...

    L'écran s'alluma.

    - ...merveilleux!

    - Qu'est-ce qui se passe encore Lekiner? Qu'est-ce qui est assez "merveilleux" pour vous distraire de votre poste?

    - Je vais être papa!

    - Attendez, je vérifie... oui, c'est vrai. Mais ce n'est pas une raison pour bâcler votre travail. Vous êtes trop émotif Lekiner, faîtes attention!

    - Oui monsieur, dit-il sobrement.

    - Où en est votre enquête-pigeon?

    - Je n'ai rien trouvé de mon côté mais j'ai entendu parler d'une enquête, deux fugitifs...

    - Oui. Probablement. Nous vous tiendrons au courant Lekiner.

    L'écran s'éteignit.

    - C'est merveilleux ma chérie! répéta-t-il sans bouger sur sa chaise.

    - Tu pourrais peut-être... trouver un autre travail et passer me voir de temps en temps?

    - Ah oui!?

    - Ma pâte est spéciale pour les femmes enceintes, très nourrissante, très douce... Tu me ferais une petite place sur ton siège?

    - Viens vite avant que je me lève! répondit-il avec fougue.

    Et pendant qu'il l'attirait à lui de toutes ses forces, ils continuèrent à discuter en haletant.



    XXIX


    Jilli était vexée qu'ils n'aient pas continué leur cavalcade, et elle le lui fit sentir assez fermement: elle ne l'approchait plus. De retour dans leur petite bulle, il n'y avait plus rien pour relativiser, et il se sentit coupable faisant tout ce qu'il pouvait pour se rattraper. Les leçons continuaient.

    - Tu sais, je n'aurais pas pu rester plus longtemps dans ces conditions, Jilli. J'ai quatre-vingt treize ans, tu sais! Pardonne-moi ma Jilli.

    Mais tout ce qu'il disait n'inspirait que le mépris de la jeune fille. Elle avait l'impression d'avoir été trahie par un lâche et ne lui pardonnait pas. Alors il abandonna... mais les leçons continuaient.

    "Ce n'est qu'une filleule, pourquoi est-ce que je me retrouve à pleurnicher pour ses beaux yeux?". Et à force de se convaincre, il retrouva confiance en lui, il savait qui il était, Pépo Chewy, grand amateur de femmes, membre émérite du Mat 4 et bénévole du programme de jumelage. Pépo Chewy avec un passage illogique, quelques jours étranges qui trouvaient difficilement leur place dans la continuité de sa vie...

    Conséquence, Jilli retrouva l'homme qu'elle aimait et retomba amoureuse de lui. Et comme elle retrouvait sa candeur, il céda à ses avances, s'en voulut, retrouva son calme, et profita de la fin de la formation pour s'oublier dans tous les perfectionnements, sans plus penser à rien d'autre...

    Et puis le 21e jour arriva. Il était épuisé.

    Le garde les attendait avec un taxi.


    Après les contrôles habituels et la restitution de Jilli Jane Lekiner à sa "grande soeur", les deux hommes remontèrent dans un taxi. La filleule pleurait à la fenêtre du Vblock. Quand le taxi démarra, ils purent lire sur ces lèvres un "je t'aime"... Enzo eut un petit pincement au coeur en pensant que ça ne s'adressait pas à lui, et Pépo se sentit mal à l'aise.

     

    Dans le taxi, les deux hommes étaient côte à côte.

    - C'est moi qui ai détruit un pigeon l'autre soir, commença Pépo.

    - Je sais, monsieur Chewasky.

    - ...

    - Vous avez l'air de vous être attaché à cette jeune fille, poursuivit-il.

    - Je ne sais pas, je me sens un peu confus.

    - C'est un rôle étrange que vous avez là!

    - Un peu... Et cette Jilli est si troublante... Je crois que je me suis oublié dans son amour naïf.

    - Elle s'en remettra, je pense. Et vous aussi...

    - J'espère que vous avez raison.

    - Qu'en est-il des messages sous ma porte, est-ce que l'enquête avance? demanda soudain Pépo.

    - Pour cette histoire de pigeon, vous n'avez rien à craindre, répondit Enzo. Marcher avec des grandes chaussures, ce ne doit pas être évident, surtout pour un clown en fuite... Elle n'aimerait pas vous savoir en observation je crois...

    Pépo ne comprenait pas vraiment, mais quelque chose le travaillait depuis le début de leur conversation. Il y avait dans le regard du garde quelque chose de familier.

    - Voilà bientôt quatre ans que nous nous croisons et je ne vous ai jamais demandé votre nom? osa Pépo.

    - Enzo. Enzo Lekiner.



    XXX


    Pépo et Enzo étaient devenus sinon amis, un cordial figurant l'un pour l'autre et discutaient parfois. Pépo avait appris par Lekiner que suite à sa formation, Sophie avait demandé à être euthanasiée, et que les raisons invoquées dans le formulaire de demande avaient abouties directement à la castration de Sijerkom Alister J., devenu finalement conseiller en affaire par un biais assez ambigü. Deux semaines à peine après sa sortie du Vblock, Jilli Jane était tombée amoureuse d'un certain Phénéal, en phase terminale de cancer affectif.

    Le jour de ses cent ans, Pépo se retira du programme de jumelage et consacra tout son temps à Zénolène.

    Bozo Leclown et Betty Boop n'ont jamais été retrouvés...


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