• La Couleur du Caméléon**

     

    Dimanche. Jön faisait son tour dans le parc à côté de chez lui. Des pleurs ruisselaient doucement le long de ses joues: l'homme assis à quelques mètres devant lui est au bord des larmes. Il contient sa peine mais tout son corps exprimait une profonde tristesse. Jön décida de s'asseoir à ses côtés, discrètement, parce que les gens parfois s'effraient de ce dont ils ont besoin.

    Et au bout de quelques minutes, l'homme commença une phrase qui ne s'adressait à personne en particulier, une de ces phrases-hameçon tellement banales qui cachent un furieux besoin de partage.

    - On ne sait jamais vraiment ce qui peut arriver...

    Jön attendit quelques secondes avant d'y répondre.

    - Vous avez raison...

    - C'est toujours quand on est le plus fragile que tout arrive, c'est peut-être la fatalité?

    - Je ne sais pas.

    - Vous voyez, j'ai perdu ma mère ce matin. Elle venait de guérir d'une grippe, elle sortait pour faire ses premières courses depuis un mois et...

    Il se mit à sangloter. Jön resta silencieux.

    - ... enfin je ne sais pas pourquoi je vous raconte ma vie, qu'est-ce que vous pouvez en avoir à foutre, hein?

    - Quelle âge avait-elle?

    - Soixante-sept ans. C'est trop jeune pour mourir... Vous l'auriez vu il y a deux ans seulement, elle courrait après les bus! Et puis elle s'est cassée une jambe en faisant de l'escalade. Un an dans le plâtre! Elle donnait des coups de cannes aux infirmiers pour qu'il la laisse sortir! C'était un sacré numéro!

    - ...

    Les deux hommes restèrent en silence un long moment, chacun perdu dans ses pensées.

    - Peut-être que c'était mieux pour elle de finir comme ça plutôt que sur un lit d'hôpital... Qui sait? Enfin... J'aimerais vous souhaiter que ça ne vous arrive pas mais ça arrive à tout le monde, pas vrai!? dit-il mélancolique.

    - Qui peut le dire?

    - J'ai du pain sur la planche, comme dirait ma mère, pour gérer toutes les paperasses, et toutes ces formalités glaciales... au revoir, monsieur.

    - Au revoir.

    Jön se retrouva seul, assis sur ce banc et attendit que la journée finisse en regardant les moineaux, plein de légèreté un peu niaise.


    *


    Depuis sa chaude couverture, Pénélope Hedphast lança un regard torve au réveil. A côté d'elle, un garçon, ni beau, ni laid ronflait. Elle ne se souvenait plus de son prénom. Elle en a simplement eu envie hier soir, et maintenant, elle allait devoir le virer de chez elle avant son rendez-vous. Avec une caresse sur la joue, Pénélope réveille son étalon d'un soir et lui fait comprendre assez vite qu'il doit décider de s'en aller. Mais à peine le garçon est-il sorti qu'elle se sentit coupable. Avec des gestes évasifs, elle enfila des sous-vêtements à dentelle, une jupe qui lui tombait sous la main et un pull-over à même la peau. Un instant d'égarement le soir précédent, et elle se retrouvait encore au lit avec un homme qu'elle ne connaissait pas. Mme Keredine ne sera pas contente.

    Pénélope descendit les quelques marches jusqu'à la rue et monta sur sa moto. En deux minutes, elle était garée devant le building où le docteur Emilie Keredine exerçait. La porte automatique s'ouvrit devant elle, et comme d'habitude, elle laissa glisser son doigt dessus pour faire une longue trace. Comme deux femmes qui plaisent trop, Pénélope et Flore ne se plaisaient pas. Une salutation juste courtoise avant de retrouver Mme Keredine.

    Emilie attendait assise à son bureau. Un peu ennuyée, ses mains feuilletaient les papiers étalés un peu partout pour donner l'impression d'un bureau envahit par les références et le travail. En réalité, elle n'avait besoin que de sa voix, rien d'autre. Hedphast frappa, entra et trouva Emilie debout, le regard concentré et la main tendue vers elle.

    - Bonjour, Mademoiselle Hedphast. Vous êtes pile à l'heure comme toujours.

    - Bonjour, docteur, répondit Pénélope le teint déjà rose.

    - Dites-moi, Pénélope, je me trompe peut-être mais je crois que vous n'avez pas respecté votre engagement...

    - En fait, il...

    - Ne vous cherchez pas d'excuses, Pénélope, vous voulez vous soigner, n'est-ce pas?

    - Bien sûr docteur, mais...

    • Asseyez-vous, nous allons commencer, lança Emilie d'un ton presque autoritaire.


    *


    Cette fois-ci, Amy était passé chercher Jön directement chez lui, à sept heures et demi, avec un café bien fort.

    - Tiens Jön.

    - Merci.

    - On a un truc bien crade aujourd'hui. Les enquêteurs ne sont même pas sûrs que ce soit un humain qui l'ait tué.

    - Quoi d'autre?

    - Apparemment, le corps est déformé par les coups. Aucune incision, aucune perforation, le corps est juste tuméfié d'une manière anormale. Ah oui, et c'est un enfant.

    - Un enfant!?

    - C'est horrible, pourtant on en voit de ces saloperies, mais je ne pensais pas qu'on tombe un jour sur ce genre de truc.

    - On est toujours surpris par ce que peuvent faire les gens...

    • Tiens regarde, on arrive...


    *


    Derrière une école, dans un buisson, gisait le corps du petit Natanaël. Les "on va coincer ce salaud" fusaient de toutes les bouches pincées d'horreur. Le meurtrier n'était plus une personne, il était un "salaud" jugé par des consciences propres, et dans cet espace d'oblitération de la réalité, Jön se glissait sans état d'âme.

    Le corps de Natanaël était bleu depuis le haut des cuisses jusqu'aux yeux, comme s'il avait roulé sur les cailloux pendant une semaine. Les tuméfactions étaient si nombreuses que le cadavre tout entier semblait enflé de manière régulière, seule la couleur bleue et une photo récupérée chez la famille prouvait que ce bibendum violacé n'était pas dans son état normal.

    - Oh mon Dieu! dit Amy en se retournant.

    - Salut chef! lança un des enquêteurs présents sur le terrain. T'as vu un peu ce qu'ils lui ont fait ces salauds!?

    - C'est... c'est...

    Elle resta muette de répulsion. Après deux tentatives pour regarder le corps en face, elle parti en courant et dégueula sur une touffe d'herbe. Elle revint trois minutes plus tard, prit une grande inspiration et reprit son travail.

    - Est-ce que l'école a été fermée? demanda-t-elle.

    - Oui, et tous les élèves ont été renvoyé immédiatement. C'est le directeur qui en a pris l'initiative en arrivant. Il a téléphoné aux...

    - Bien, est-ce qu'on sait depuis quand il est ici?

    - Le directeur dit qu'il l'a trouvé ce matin vers sept heures moins le quart en allant se garer.

    - C'est le chemin qui va au parking?

    - Oui.

    - Jön. JöN! Qu'est-ce que tu en penses?

    Mais Jön ne répondit pas. Son visage était figé dans une expression inquiétante.

    - Jön!? reprit Amy en le secouant. Jön qu'est-ce qui t'arrives?

    - ...

    - JöN!? dit-elle en le giflant.

    Mais il ne répondait toujours pas. Dans les cas comme celui-ci, il fallait l'emmener assez loin pour qu'il émerge.

    - Messieurs, dit Amy en s'adressant aux enquêteurs, je dois m'absenter quelques minutes, continuez ce que vous êtes en train de faire, je reviens, notre ami Slasteh a une de ces petites absences.


    - A quoi ça sert qu'elle nous dise ça? Elle pensait vraiment qu'on allait se faire un pique-nique?

    - C'est la hiérarchie, ils se sentent mieux quand ils ont l'impression de contrôler ce qui se passe, laisse couler...

    - C'est qui ce type?

    - Jön? C'est un genre de profiler... Il est un peu dingue mais sans lui, on passerait aucun week-end avec nos familles.

    - Et ça lui arrive souvent de se transformer en statut de cire?

    • Pas que je sache, mais bon, c'est le chef qui s'en occupe. Tu les verras jamais l'un sans l'autre...


    *

     

    Dans la voiture, Jön reprit peu à peu ses esprits. Ses mains serrées tremblaient.

    - Dis Slasteh, tu me fais pas ça, on a du boulot!

    - ...

    - On a besoin de toi sur cette affaire, Jön, imagine que ce soit un tueur en série, qu'il se mette à décimer les écoles!

    - ...

    - EH! Dis quelque chose!

    Ses mains se décrispaient lentement. Il parvint à articuler un mot.

    - Pour-quoi?

    - Pouquoi quoi?

    - Retournons là-bas.

    - Comme tu veux Slasteh. Tu sauras te tenir cette fois?

    • Oui.


    *


    De retour sur les lieux du crime, Amy aida son collègue à sortir de voiture et l'accompagna jusqu'au buisson. Là, Jön contempla le corps inerte avec un visage neutre. Ses yeux s'écarquillaient mais personne ne semblait le remarquer.

    - Jön?

    - ...

    - Jön, ça va pas recommencer, hein?

    - ...

    - Jön, t'es avec nous!? JöN, bon sang!

    Slasteh était debout face au corps. Le gamin marchait tranquillement pour aller à l'école. Sa mère venait de le poser quelques minutes plus tôt. Et puis il sortit de son cartable un magasine. Il s'assit et le posa sur ses genoux. Sa tête allait de droite à gauche et il se mit à rire. Le souffle de Slasteh s'accéléra, l'enfant riait de plus en plus franchement, alors il se jeta sur lui comme un dément et le roua de coups.

    - ARRÊTE SLASTEH! QU'EST-CE QUE TU FOUS!? Retenez-le vite!

    Il fallu trois hommes pour le retenir et le plaquer contre la voiture.

    - PUTAIN, MAIS QU'EST-CE QUE TU FOUS!?

    - Quoi?

    - Tu viens de tabasser le cadavre! Qu'est-ce qui te prend?

    - Je viens de quoi!?

    - Tu t'es jeté à califourchon sur le gamin et tu t'es mis à le rouer de coups de poings en hurlant comme une bête!

    - Ah... Je...

    - Il faut que t'ailles te reposer, tu enchaînes les affaires et cette histoire de caméléon, ça ne doit pas être bien bon pour toi!

    - ...

    • Attends dans la voiture, je te ramène chez toi dans une heure! Reposes-toi!


    *


    Sémantin Ladriel se rendait de nouveau chez le docteur Keredine, mais sa voiture était tombée en panne. Quand il se rendit compte qu'elle ne marchait pas, il cassa trois vitres avec le poing et se mit à courir pour ne pas être en retard. Sur son chemin, il bouscula un homme hagard, un de ces débiles amorphes qu'il ne supportait pas. Il en perdit son élan, serait en retard une fois de plus et il ne pourrait pas se justifier. Sans réfléchir, il sauta sur ce plouc molasson et lui décrocha un direct dans l'oeil.

    Arrivé au cabinet du docteur Kérédine, c'est à peine s'il regarda Flore qui lui faisait ses yeux de séductrice. Elle aimait bien Sémantin mais avait pour consigne de rester distante. La seule compensation qu'elle avait trouvée était ce jeu de regards entre désir et mépris.

    Emilie attendait assise à son bureau. Un peu ennuyée, ses mains feuilletaient les papiers étalés un peu partout pour donner l'impression d'un bureau envahit par les références et le travail. En réalité, elle n'avait besoin que de sa voix, rien d'autre. Ladriel frappa, entra et trouva Emilie debout, le regard concentré et la main tendue vers lui.

    - Bonjour Docteur.

    - Bonjour Sémantin. Huit heures et quart, vous êtes en retard... Asseyez-vous, s'il vous plaît...

    - Ma voiture est tombée en panne, dit-il d'un air mauvais.

    - Sémantin je vous ai déjà dit que nous ne pouvons pas travailler correctement avec un quart d'heure de retard, et moins encore avec une demi-heure.

    Mais Sémantin n'avait pas la maîtrise de la dernière fois, avant qu'il n'ait réfléchi, les mots étaient lancés...

    - Toi, ma grande, tu vas la fermer. Ca fait dix mois que je me démerde pour venir payer ton vernis à ongle de pute, alors si j'te dis que ma voiture était en panne c'est qu'elle était en panne, c'est clair?

    Emilie tenta de garder son sang-froid.

    - Du calme Sémantin, je vous en prie, essayez de conserver un peu de sérénité...

    - "Sérénité" ça pue le yogi avec une gourmette en or! Maintenant assieds-toi et commence ton baratin!

    - Ce n'est pas du baratin Sémantin, et ce n'est pas à moi de commencer. Nous commencerons quand vous serez calmé.

    - ...

    - J'attends Sémantin, dit-elle fermement.

    - C'est bon, je suis calme!

    - Asseyez-vous, je vous prie.

    - D'accord, là, je m'assois, c'est bon? Madame est satisfaite?

    - Oui, merci Sémantin.

    Elle ne le perdait pas des yeux mais sa main droite était fermement agrippée à la bombe lacrymogène d'urgence qu'elle cachait sous son bureau, au cas où...

    • Alors Sémantin, expliquez-moi en détail ce qui vous a mis dans cet état?


    *


    Jön arriva au bureau après deux jours de repos forcé. Deux jours d'un sommeil comateux devant le flot discontinu des inepties télévisuelles. Il arborait un joli cocard qui tirait sur le vert.

    - Qu'est-ce qui t'es arrivé?

    - Un type m'a sauté dessus.

    - Quand ça?

    - Hier, je sortais de chez moi et je me suis retrouvé par terre avec l'oeil poché...

    - Y a vraiment des fous partout!

    Un des collègues de Jön venait d'entrer dans le bureau.

    - Tiens, Slasteh! Te revoilà! Pas trop épuisé par le boulot?

    - Tiens, Armini! Pas trop épuisé par la réussite?

    - Qu'est-ce que tu veux dire?

    - Qu'est-ce que tu comprends?

    - A quoi tu joues?

    - Du calme, du calme, intervint Amy, si vous n'êtes pas capables de vous entendre, évitez-vous! Armini, je te verrais tout à l'heure, reviens dans une demi-heure...

    - Oui, chef! fit Armini avec une imitation de salut militaire.

    En partant, il lança un regard menaçant à Jön qui lui répondit d'un geste négligeant.

    - Ca va mieux?

    - Oui.

    - Bon, on a trouvé des indices à l'école. Tu sais le schtroumf? Il semblerait que sa mère l'ait déposé à sept heures moins vingt, le directeur est passé à sept heure moins le quart, ça laisse cinq minutes pendant lesquelles notre homme a pu agir! Ca veut aussi dire qu'il n'était pas bien loin quand la mère est passée, il devait être planqué quelque part, il est même possible qu'il habite dans les quartiers alentours. J'ai envoyé Chaumier et Franelle interroger les voisins. Sinon, le légiste dit qu'il n'a jamais vu ça, sept côtes fêlées, la rate éclatée, la mâchoire est désaxée et le nez est enfoncé de deux centimètres! Tu te rends compte, deux centimètres!? Et tout ça en cinq minutes! On se demandait même si il ne pouvait pas y avoir plusieurs personnes, qu'est-ce que tu en penses?

    - Je ne sais pas exactement, mais je dirais qu'il n'y a qu'un coupable, un homme, une trentaine d'années.

    - C'est tout?

    - Oui.

    - C'est déjà ça... Qu'est-ce que tu comptes faire pour ton oeil?

    - Attendre, quoi d'autre?

    - T'es prêt à te remettre au boulot?

    • Qu'est-ce que je sais faire d'autre? dit-il avec un petit sourire résigné.

     

    Aujourd'hui, enquête de routine. Après l'incident de l'autre jour, qu'elle avait d'ailleurs eut du mal à étouffer, elle préférait mettre Jön un peu à l'écart des affaires trop violentes. Un notaire, trente-six ans, qui accuse son ex-femme d'être venu lui piquer de l'argenterie avec le double des clefs. Il était dans la voiture avec Armini et déjà la voiture sentait la rixe. Armini était le plus contagieux des bavards et le seul moyen de ne plus l'entendre était de parler autant que lui. Armini savait bien qu'ils ne pouvaient pas se blairer mais il préférait le noyer sous le galimatias qu'assumer en silence.

    - C'est pas franchement palpitant, toutes ces enquêtes... Les détails, c'est ça qui rend le métier intéressant, les petits rien imperceptibles, parce que les questions et le reste, c'est toujours un peu protocolaire... Même la corrélation des indices, ça répond toujours à une forme de banalisation...

    - Le protocole c'est un peu le support qui permet d'appréhender les situations, imagine que tu sois toujours en train d'inventer une nouvelle façon d'aborder les témoins et les suspects. Je pense que d'une certaine manière, le protocole est nécessaire...

    - Tu te fous de ma gueule, là?

    - Pas du tout!

    - Non, parce que j'ai bien l'impression que t'essayais de m'imiter, j'me trompe!?

    - Si ça t'énerve autant, c'est peut-être que tu devrais arrêter de jouer ce numéro.

    - J'ai rien à cacher, Slasteh. Je m'assume moi!

    - Tu fais allusion à Amy?

    - Je sais pas, c'est toi qui vas me le dire!?

    - S'assumer, ça ne veut pas dire refuser l'aide des autres.

    - Ecoutez-le avec ses beaux discours d'assisté!

    - Toi au moins tu te débrouilles seul, hein, comme un grand, ni dieu ni maître.

    - Si on faisait tous comme ça, le monde irait peut-être un peu mieux!

    - Il irait aussi bien que toi?

    - Je vais très bien, merci!

    - Alors pourquoi tu me gueules dessus, pour me prouver ton bonheur?

    - C'est pas parce que je suis heureux que je dois passer toute la journée à sourire, surtout avec un chouchou dans ton genre dans la même bagnole!

    - Nous y voilà... Elle te plaît Fédasier?

    - Regardes la route!

    - Pourquoi tu évites la question?

    - Parce que tu fonces dans une voiture, Slasteh. Arrête de faire le malin!

    - Et alors, moi je suis un assisté et toi un homme heureux, qu'est-ce que ça peut foutre de rentrer dans cette bagnole!?

    - Je veux pas mourir dans cette foutu bagnole! Vire putain!

    - Waouh, tu avais raison, on a bien failli se la tamponner, une Cooper en plus! dit Slasteh sincèrement surpris.

    - Tu ne diras rien pour Fédasier, hein? s'enquit Armini, honteux.

    - Tu peux compter sur moi, Armini. Je serais une tombe, répondit gentiment Jön.

    - On a bien failli en devenir tous les deux avec tes conneries!

    -Tiens regarde, on arrive!


    *


    - C'est toi qui t'y colles.

    - Non, c'est moi qui me les farci d'habitude. Vas-y toi.

    Toc, toc, toc.

    - Oui?

    - Vas-y!

    - Bonjour monsieur Le Puis, commença Jön, messieurs Slasteh et Armini, police du terroir. Monsieur Armini voudrait vous poser quelques questions.

    - Salaud, siffla Armini entre ses dents.

    Jön répondit avec un clin d'oeil malicieux.

    - Monsieur Lepuis, est-ce que...

    Jön était entré dans le hall, invité par Le Puis et commençait à singer son collègue dans le dos du bonhomme. Un chauve, pleurnichard, qui avait plus besoin d'une assistante sociale que d'argenterie. Il fit semblant d'examiner les tiroirs et les serrures pendant qu'Armini faisait semblant de poser des questions pertinentes qu'il reliait les unes aux autres avec des onomatopées songeuses.


    - La purge ce mec! J'ai cru que j'allais exploser de rire en le regardant reconstituer la scène... "Alors ma femme, cette garce, elle est rentrée comme ça, elle a enlevé ses chaussures pour pas salir la moquette, gnagnagna...", pauv' type... Qu'est-ce que t'as trouvé de ton côté?

    - Moi tu sais, c'est pas trop mon truc les indices, j'y comprends pas grand chose en fait...

    - Ah bon!?

    - Je suis pas enquêteur, je suis caméléon, chacun sa spécialité.

    - Mais alors pourquoi tu ne voulais pas faire l'interrogatoire?

    - J'en ai marre de parler. Et puis je crois qu'il ne voulait pas se parler.

    - Te parler?

    - Non. Il voulait qu'on l'écoute se plaindre, c'est tout.

    - Et tu m'as pris pour Sos-Notaire-Chauve?

    - Un bon geste, tu crois vraiment que ce type a une ex-femme ou de l'argenterie? Les pompiers n'ont pas le monopole des tâches ingrates, c'est un peu comme si tu lui avais descendu son chat de l'arbre...

    - Mouais... admettons...

    - Qu'est-ce qu'on fait maintenant?

    - Café!

    - Café.

    L'inanité rapproche les hommes semblait-il...


    *


    Les hommes aiment Pénélope parce que c'est une fille facile. Pénélope aime les hommes parce qu'ils sont faciles. Un brun au fond du pub l'épie de son regard de braise. Une simple coloration de ses joues, et il sait que s'il évite les phrases trop stupides, elle est pour lui. Il s'approche lentement, commande deux verres de liqueur de miel et sourit à la fille qu'il regarde depuis dix minutes. Ils se parlent un peu, par réflexe mais les hormones gèrent déjà toute la situation. Un instant plus tard, ils sont seuls dans les sanitaires hommes. Pénélope s'apprête à défaire sa braguette, mais au dernier moment se ravise. Elle imagine le regard sévère de Mme Keredine et se sent mal à l'aise. Sans un regard au garçon qui attendait patiemment sa récompense, elle détala vers le bar, jeta un billet sur le comptoir et s'en fut dans la rue éclairée par les lampadaires jaunâtres.

    A l'intérieur du pub, la vie faisait du bruit, prenait ses aises. Une bulle de chaleur s'était créée. Désormais, Pénélope se trouvait dans une rue froide et laide, presque morte, comme un couloir vide. Prise de panique par cette soudaine solitude, elle attrapa le premier taxi qui passait et rentra chez elle. Elle mit un moment à trouver le sommeil tant la rue déserte lui avait fait l'impression d'un caveau béant. Dans sa tête repassait tous les moments qu'elle avait passés dans ces bulles de vie, en compagnie d'un homme toujours différent, et les trouvait maintenant étranges, malsains peut-être. Après une nuit agitée, elle se rendit chez le docteur, gara sa moto et se rendit directement devant la porte du cabinet.

    Elle fut presque gênée que Flore la salue. Elles s'étaient détestées comme des harpies et maintenant, Pénélope avait l'impression de découvrir totalement ce qui l'entourait. Flore semblait vivre dans un monde qui la faisait sourire, loin des pubs et des histoires d'un soir. Où?


    *


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