• La Couleur du Caméléon*****

     

    Une douzaine de personnes avaient vu le massacre de la petite fille mais aucun d'eux ne réussit à le décrire avec précision. Si l'on en croyait leurs témoignages, la chose qui avait tué la fillette n'avait pas de visage...


    *

    Emilie était détruite. Avachie dans un fauteuil seule dans son appartement, les yeux dans le vide, une bouteille à la main, elle marmonait...

    - ...ça fait combien de temps que j'ai l'impression d'aider les autres?... papa avait raison... la procuration, j'en ai même fait un métier... j'ai passé ma vie à déconstruire des gens pour les faire entrer dans une forteresse imaginaire simplement parce qu'ils croyaient ne pas être à l'intérieur... je suis bien à l'abri sur mon piédestal de déesse de la norme avec tous ces fidèles qui croient que je vais enlever les mauvaises herbes et faire pousser les récoltes! J'ai juste une vitrine pleine d'outils dont personne ne s'est jamais servi... C'est moi qui devrait vous payer pour la voir! J'attends dans mon bureau, je fais semblant de feuilleter mes papiers et je laisse les autres s'aplatir devant moi!... "Le regard concentré"!? L'air faux-cul, oui... Je suis concentrée au sens propre, je suis un concentré... Comme si j'étais concernée par EUX... ils déballent leur vie privée comme dans un vide-ordure et je les regarde du haut de ma science pour faire des lobotomies frontales, tu parles d'un échange! J'irai cracher sur la tombe de toutes ces larves incapables!... Et si au moins il se remettaient en question, s'ils ME remettaient en question... Vous voulez de moi pour déesse? Vous avez besoin d'espoir mystique? Vous préférez être désespérés pour un idéal qu'heureux pour rien? Ok... Je ne vois pas pourquoi j'essaierais de changer le système, tout le monde y trouve son compte! Les jeux de dupes, y a que ça de vrai, aboulez la monnaie, je vais vous montrer ce que c'est d'être normale!

    Sur quoi elle but une gorgée de rhum et s'endormit dans son fauteuil.


    *


    Depuis que Jön était suspendu, Amy Sidèle Fédasier était submergée par le travail. Quand elle avait intégrer la police de terroir quinze ans auparavant, elle avait tout de suite fait équipe avec Jön Slasteh. Ils avaient collaboré si efficacement que sept ans plus tard, Amy étaient promue. Ils en avait discuter et "Jön" avait conclu qu'elle était davantage faite pour ce poste que lui... C'est sa détermination et sa générosité qui avait conduit la petite fille à croquer ses ambitions depuis le sang vital mais carrencé du cordon ombilical.

    Elle se retrouvait seule pour la première fois en quinze ans devant des preuves à confronter... Pendant quinze ans, Jön avait révélé les coupables et fait parler les suspects, les preuves venaient ensuite, trouvées chez les criminels ou avouées par eux. Aujourd'hui, elle devait tirer des "conclusions" et se rendait compte que ce serait plus difficile que d'habitude, il faudrait replonger les mains dans la merde, à l'ancienne.


    La hiérachie et les médias sur son dos pour cette double histoire de policier qui pète les plombs et de criminel qui réduit ses victimes en bouillie, Amy était nerveuse au plus haut point. Tout cela était beaucoup trop spectaculaire pour être resté sans incidence sur leur autonomie. Un membre de la "contre-terroir" était même venu fouiller dans les dossiers impliquant Slasteh, ses méthodes étaient passées au crible et la moindre preuve était vérifiée, disséquée. De ce fait, Amy aussi était sur la scellette: la facilité et la vérité ayant souvent fait office de preuve, elle avait couvert beaucoup de dossiers inconsistants...

    Elle était à moitié endormie, donnant le change à un des cinq spécialistes en blouse blanche et lunettes de doctorats qui venaient lui expliquer qui était le "schtroumficide", connu dans les médias sous le sobriquet de "marteleur".

    -... il doit s'agir d'un fanatique difforme qui se prend pour dieu, il remodèle l'Homme à sa propre image sans réelle conscience du meurtre...

    -... mouais... soupira Amy, et alors?

    - ... et alors, ces données sont capitales! Notre homme, ce ne peut-être qu'un homme, est instable, très seul et très perturbé, il cherche une tribu de semblables, et je crois que la mort des victimes est involontaire, il cherche avant tout à créer des individus à son image. Pour lui, la vie ne semble pas reliée à l'intégrité corporelle, il voit la chair comme une sorte de glaise originelle. Il nous suffit de rechercher tous les habitants atteints d'éléphantiasis et...

    - Bon! coupa Amy. Et vous avez des suspects?

    - J'attendais votre accord avant de poursuivre...

    - De toutes façons, je suppose que vous n'arriverez pas à pondre autre chose, alors qu'est-ce que vous attendez? Allez, bougez-vous! ordonna-t-elle.

    - Oui, chef, dit-il en sortant du bureau.

    - Suivant!

    Rien.

    - SUIVANT!

    - Bonjour, excusez-moi, je ne vous avait pas entendu, dit le nouveau spécialiste en entrant.

    - Allez, accélérez la cadence, bon sang!

    Amy était de plus en plus impatiente. Il restait tellement de choses à faire avant de recommencer demain que les élucubrations et le maternalisme n'étaient pas vraiment les bienvenus.

    - Je commence? demanda-t-il intimidé.

    - MAIS OUI! ALLEZ-Y! Mais qui est-ce qui m'a fichu des incompétents pareils!? GROUILLE!

    - Je pense qu'il s'agit d'un intemporaliste.

    - Un quoi?

    - Un intemporaliste, c'est un artiste intégré au récent mouvement des intemporalistes basé sur les principes bouddhistes d'impermanence. Les intemporalistes créent de l'art avec l'éphémère de la vie, des plantes, des graines, ils utilisent la matière vivante, fécale, les insectes, les plantes... Jusqu'à présent, le mouvement était cantonné à l'incompréhension artistique, mais il se pourrait, je dis bien "il se pourrait" que celui que nous cherchons soit un extrémiste de ce mouvement. Dans ce cas-là alors, il s'agirait de quelqu'un qui a parfaitement conscience d'ôter la vie mais qui préfère la sacrifier à l'art dans son intemporalité. La précision des coups, leur régularité... Les deux premiers cadavres doivent être une sorte de "période bleue"...

    - Et ça vous fait rire!? C'est horrible!

    - Pas du tout, madame, je dois raisonner comme un intemporaliste si je veux comprendre...

    - Pas la peine de réciter vos cours! Je suppose que vous n'avez pas pris l'initiative de chercher des suspects qui correspondent à vos élucubrations!? demanda Amy, cynique et excédée.

    - Je n'ai trouvé que deux personnes dans un rayon de cent kilomètres qui se revendiquent de ce mouvement. Le premier, un certain Sémantin Ladriel, est introuvable depuis deux semaines, la deuxième serait Flore Digitale. Le plus curieux, c'est qu'ils recoivent tous deux un abonnement à un magasine à la même adresse, un studio dont le propriétaire dit qu'il est fermé depuis plus de deux ans. C'est tout de qu'ils semblent avoir en commun. Flore Digitale est secrétaire du docteur Emilie Keredine...

    - Flore!?

    - Oui, elle travaille au...

    - Je connais! Merci! Enfin quelqu'un d'efficace, complimenta-t-elle en se précipitant à sa voiture.

    *


    - Emilie? C'est moi Amy, tu vas bien?

    - Qu'est-ce que tu veux?

    - Flore est toujours là?

    - Oui, mais elle s'en va bientôt.

    - RETIENS LA!

    - Qu'est-ce qui se passe, ma grande, tu es nerveuse?

    - Occupe-toi de Flore, pour moi on verra après, ok!?


    *


    - Etes-vous une intemporaliste?

    - Oui, pourquoi?

    - Et?

    - Et quoi? demanda Flore entre suspicion et curiosité.

    Amy avait si souvent vu Jön relancer des discussions avec un seul mot qu'elle fut prise au dépourvu durant un instant. J'ai perdu le métier de vue, pensa-t-elle.

    - Euh... Connaissiez-vous monsieur Sémantin Ladriel?

    - Oui. C'était un patient de mademoiselle Keredine, la tentaine, grisonnant... charmant.

    - Lui aussi était intemporaliste, vous le saviez?

    - Non! dit-elle avec un aplomb douteux.

    - Je n'ai pas le temps de vous convaincre de votre intérêt à me dire la vérité Flore, répondez: est-ce que vous connaissiez Sémantin Ladriel?

    - Nous étions partenaires, avoua-t-elle aussitôt.

    - Partenaires!? s'exclama Emilie qui écoutait depuis la porte de son bureau, je croyais vous avoir défendue de fréquenter les patient Flore! gronda-t-elle.

    - Il était devenu très impulsif, c'est moi qui lui ait demandé de venir voir le docteur Keredine, pour "canaliser" son tempérament.

    - Vous vous connaissiez depuis combien de temps?

    - Treize ans. Nous nous sommes rencontrés au collège...

    - Parlez-moi de votre projet artistique...

    - Je crée des plans volatiles en poudre d'ailes de papillons.

    - Quoi!?

    - Je barbouille avec des paillettes colorées! traduit Flore.

    - Et votre amant?

    - Mon partenaire, notre collaboration était uniquement artistique. C'est lui qui m'a initiée.

    - Mais vous couchiez ensemble, tout de même?

    - C'est ce que vous pourriez voir, en effet, mais nos oeuvres étaient de véritables impermanences! Il avait tout du génie!

    - Je vois... Et quel était SON projet artistique?

    - Restituer la puissance éphémère de l'ouragan dans sa matérialisation élémentale.

    Amy qui savait ne pas pouvoir tenir longtemps en face de cette illuminée décida d'entrer dans le vif du sujet.

    - Rien à voir avec le meurtre d'un petit garçon par hasard?

    - Rien! Sémantin était un artiste, il respectait la vie et plus encore la vie humaine! s'offusqua Flore.

    - Comment expliquez-vous son tempérament agressif? interrogea Amy.

    - Vous êtes plus loin encore que je ne le croyais, dit-elle plongée dans ses souvenirs avec Sémantin. La vie est une alternance de violence et de douceur, sans l'une l'autre ne vaut rien... dans le vert, le jaune se reconnaît mais ne voit que le bleu, et le bleu ne voit que le jaune... la beauté de la rose qui caresse les sens de ses parfums, des pétales veloutés et ses griffes acérées qui vous écorchent jusqu'à ce que vous soyez assez précis, assez délicat pour la cueillir... Sémantin était une rose, une rose que je cueillais parfois... l'intemporalisme, c'est l'osmose parfaite entre violence et douceur réunis dans une oeuvre éphémère, le vert qui ressent le mélange subtil du bleu et du jaune, qui vit le vert avec génie, qui crée avec son âme des instants complets, réels...

    - Vous êtes une vraie groupie ma parole! s'étonna Emilie.

    - Je l'ai toujours considérer comme mon mentor...

    - Et est-ce que cette "osmose" n'aurait pas été plus spectaculaire par exemple en utilisant...

    - Non, je vous l'ai dit, vous faîtes fausse route!

    - Et savez-vous où je peux trouver monsieur Ladriel?

    - Bien sûr que non!

    Elle hésita une fraction de seconde et décida d'approfondir, de s'affranchir définitivement de ce parasite ignare...

    - Nous avions un petit atelier ensemble, mais il pensait que notre créativité en devenait casanière. C'est aussi pour celà je pense qu'il n'est plus venu voir le docteur Keredine. Je ne sais pas où il est, je ne l'ai jamais su... sauf quand il était en moi... dit-elle évasive.

    - Ouais! coupa Amy. Vous m'avez l'air d'une sacrée rêveuse! Votre héros, c'est juste un de ces types qui mettent des mots ésotériques sur une partie de jambes-en-l'air...

    - Partez, s'il vous plaît! intima Flore.

    - Ca tombe bien, j'avais fini. C'était assez intemporel pour vous? répondit Amy, cassante. Emilie?

    - Quoi?

    - A plus tard.

    - C'est ça, à plus tard.

    Emilie et Amy étaient au bord du mépris réciproque, désabusées et lasses. C'est à cet instant qu'elles se ressemblaient. Quand les choses se passent bien, on ne sait jamais pourquoi on s'entend, on s'invente des raisons, des prétextes... c'est l'exténuation, la fatigue et l'oppression qui révèlent les similitudes. Leur amitié alors était presque sororale, gémellaire: deux lionnes usées par les tours que le dompteur craint parce qu'il ne les maîtrise plus...


    *


    Pour les intemporalistes, Amy n'était pas plus avancée. Flore était sincère, si lointaine qu'elle ne pouvait être que sincère: elle ne savait pas où était son amant... pardon, son "partenaire". Il était déjà tard et tout le monde avait déserté le bureau depuis bien longtemps quand elle pu enfin éteindre les lumières et rentrer.

    Son mari était assis devant une tasse de café.

    - Bonsoir...

    Ton de reproche, aïe... C'est pas le moment, chéri...

    - Ca avance tes enquêtes?

    Non, non, s'il te plaît, pas sur ce ton-là!

    - Difficilement.

    - Viens t'asseoir à côté de moi, mon coeur, et raconte-moi tout...

    Arrêtes de m'asticoter, arrêtes, s'il te plaît...

    - Pas tout de suite, dit-elle plus ou moins calmement.

    - Tu permets que je t'embrasse quand même!? s'offusqua-t-il avec un air hypocrite.

    Fous-moi la paix, je t'en prie!

    - Laisse-moi souffler quelques minutes, s'il te plaît.

    - Je te trouve bien distante, ce soir!

    On y est...

    - ...

    - Pourquoi tu ne réponds pas?

    - Arrêtes.

    - Je me renseigne, chérie, c'est tout!

    Ton hypocrite... insupportable...

    - Arrêtes!

    - Pourquoi est-ce que tu t'énerves si vite, je te pose juste une question!

    - J'ai besoin d'être tranquille, tu comprends ça!? cracha-t-elle.

    - Et Jön, ça va?

    Le vif du sujet! Il aura pas tourner longtemps autour du pot! C'est ce que j'aimais chez lui avant ce soir...

    - Non.

    - Alors tu es restée pour le consoler, le pauvre choux!?

    - Il est chez lui, dit-elle en se contenant un peu.

    - Comment tu le sais? dit-il avec un ton de fouille-merde.

    Tu me gonfles. Tu veux entendre que je me fais quelqu'un d'autre? Comme tu voudras!

    - Je viens de chez lui et pas la peine de me demander ce que je faisais la bas, je lui taillais une pipe! Il a une belle grosse queue tu sais!

    Son mari était estomaqué. Jamais il n'avait entendu parlé Amy de cette manière.

    - Après, je n'ai pas eu le temps de baisser ma culotte en dentelle -celle qu'il m'a offerte- et il l'a enconcée dans mon cul avec son sexe. Je me suis tortillée un peu, ça frottait drôlement et puis c'est passé quand même, c'était pas si désagréable finalement.. Tu savais qu'avec un peu d'entraînement, on peut faire rentrer tout ce qu'on veut?

    - Que...

    Amy se ressaisit, elle savait qu'elle avait dépassé les bornes, mais au moins avait elle fait avancer le soupçons vers de l'incertitude.

    - Ecoute, chéri, je suis prise par tellement de choses... je n'ai pas la patience de te rassurer. Je ne couche pas avec Jön, ni avec personne d'autre d'ailleurs. Mon seul amour, c'est toi, et mon seul amant, c'est mon travail. Il est possessif, je sais, mais raison de plus pour faire des moments ensemble des moments de douceurs.

    Elle avait sorti l'argument de son entretien avec Flore et intégré dans un contexte, il lui semblait plutôt pertinent.

    - Je te trouve étrange, Amy. Tu est de plus en plus cyclotruc... c'est quoi le mot déjà? Cyclothymique... Tu est distante, irritable... Je ne sais plus où est la gentille jeune fille qui me plaisait tant!

    Il part dans le mélodrame... C'est moi qui ait commencé avec mes histoires de "douceurs" mais il m'énerve... Bon, garder son calme, garder son calme, garder son...

    - Elle travaille avec des assassins et des fêlés la gentille jeune fille et ça lui tape sur le système! aboya-t-elle.

    Sur quoi son mari se leva brusquement et sortit en claquant la porte.

    Il est parti en pyjama, il va revenir, pensa-t-elle.

    Mais il ne revint pas.


    *


    Seule dans son appartement vide, Pénélope se trouvait laide. C'était l'ambiance idéale pour un suicide... Maintenant qu'elle se refusait aux hommes et à elle-même, elle se rendait compte qu'elle n'avait aucun ami. Peronne pour lui tendre la main quand elle était au fond du trou et la seule personne en qui elle avait confiance, Emilie Keredine, avait trancher les liens qu'elles avaient passé tant de temps à tisser. Elle était dans cette chambre qu'elle ne connaissait pas. Une lampe éclairait tristement la tapisserie fleurie qui se décollait par endroit. Au milieu du studio, un lit deux place, dodu, moelleux qui avait donné envie de faire l'amour avec son corps et sa sueur mais qui aujourd'hui était de trop. Il lui semblait malsain, infecté de germes morbides. Elle s'y allongea et ne parvint pas à trouver une position qui lui convienne, le moindre espace semblait être une peau de mâle qui palpant son corps moite. Elle se regarda dans le miroir, grimaçante...

    Les choses sont bien faîtes dans le sens où l'on trouve souvent la solution la plus facile en premier, et elle était dans son fourreau. A mesure que le sol se teintait de... rouge... elle parvenait... de moins en moins... à...

    *


    Elle s'éveilla en sursaut et voulut rejoindre les halos bleus comme les moustiques se jettent sur les coquelicots en flammes, mais elle percuta la vitre de plein fouet. Le jeune ambulancier, prévenu par un voisin un peu voyeur, lui administra une dose un peu lourde de sédatif qui prit vite le contrôle de son reste de sang, la plongeant rapidement dans un sommeil potager.


    Pendant plus de sept millions de secondes, elle entendit la goutte essentielle couler dans son cerveau. Régulière et vitale, possessive et assourdissante... le vacarme incessant d'une survie obligatoire qui s'anamorphose dans le cérumen pour éteindre la dernière étincelle de liberté...


    *


    Quand elle ouvrit les yeux, deux mois et demi plus tard, elle ne se souvenait de rien. Pas vraiment de rien, elle savait deux ou trois choses et avait le reste sur le bout de la langue mnémonique mais tout était encore un peu flou. Le premier visage qu'elle vit fut celui de Jérôme, le jeune ambulancier qui l'avait secouru chez elle, celui aussi qui l'avait plongée dans le coma. Outre les mesures disciplinaires, faibles parce que la profession manque de personnel, le jeune homme était vraiment accablé par son erreur et s'était juré de veiller au chevet de cette jeune femme jusqu'à son réveil. Chaque heure que lui laissait son travail, il la passait avec Pénélope. Au-delà du simple dévouement, Jérôme avait fait passer ça comme un stage pratique en soins intensifs pour enrichir son CV...

    La jeune fille fut touchée par sa douceur et sa patience. Il n'avait rien à voir avec les hommes qu'elle avait pu rencontrer au Paravent-discothèque. Il était généreux, disponible, tout simplement humain et de verres d'eau en petites attentions, il fit l'affaire.


    Leur idylle dura le temps d'un bonheur, impalpable et fugace, et Pénélope retrouva le goût de vivre. Et le goût de plaire. Et le goût de séduire. Et Jérôme ne servit plus à rien. Quelque chose venait parfois nouer l'estomac de la jeune femme quand elle s'apprêtait à aborder quelqu'un, quelque chose que ses proies sentaient et qui les faisait fuir, une sorte de culpabilité. Et puis un jour, tout lui revint comme un flash...


    *


    Emilie s'impatientait dans son bureau. Un peu nerveuse, ses mains feuilletaient les papiers étalés un peu partout pour donner l'impression d'un bureau envahit. En réalité, elle n'avait besoin que de ses patients, rien d'autre. Pénélope frappa énergiquement, entra avec détermination et trouva Emilie debout, le regard évasif et la main tendue vers elle.

    - Mademoiselle Hedphast! Quelle bonne surprise! s'exclama Emilie.

    Et Pénélope retrouva immédiatement son rôle de jeune femme perdue.

    - Je me faisais du souci pour vous, mademoiselle Hedphast. Comment vous sentez-vous après tout ce temps?

    - ... Bien, merci.

    - Vous venez me faire une petite visite de courtoisie? Ou peut-être voulez-vous reprendre le travail sur vous-même? Je serais ravie de vous y aider! s'enthousiasma Emilie.

    - Je...

    - Vous êtes toujours nymphomane? demanda Emilie entre innocence et perversité.

    - Oui... ou plutôt non, je...

    - Il faut trouver un substitut, vous devriez vous mettre à fumer le cigare, c'est un symbole phalique très puissant vous savez!?

    - Docteur? appela Pénélope.

    - Je fumais le cigare quand j'étais adolescente, et puis quand j'ai passé mon doctorat, j'ai arrêté... Trop voyant... Maintenant, je mâche des chewing-gum à la menthe, c'est autre chose que votre haleine qui pue le sperme et l'urine, je vous prie de me croire... Vous devriez en prendre pour arrêter le cigare!

    Pénélope était en proie à deux sentiments contradictoires. Elle ressentait chaque allusion comme un coup de scalpel dans ses intestins et commençait à reprendre confiance dans les objectifs qu'elle s'était fixés avant d'arriver.

    - Docteur, je...

    - Vous parlez beaucoup trop Pénélope, ça vous jouera des tours! Les gens voient tout de suite que vous êtes faible, c'est évident... Vous devriez écouter ce qu'on vous dit de temps en temps au lieu de passer tout votre temps à justifier vos échecs!

    Pénélope commençait à fulminer.

    - Docteur! reprit-elle plus fort.

    - Typique de la névrosée compulsive, vous croyez que crier vous fera entendre!? Commencez par ne plus être une petite cruche à foutre, et peut-être écoutera-t-on votre avis!

    Pénélope bouillait, elle baissa la tête et tenta de se retenir.

    - Enfin, soupira Emilie avec soulagement, le plus dur est fait avec vous... Quand on a cassé la spontanéité, même celle de l'illusion, il est impossible d'y revenir, mon enfant, et vous savez pourquoi? Parce que vous y pensez! J'aurais au moins réussi ça avec vous, vous ne serez plus à l'aise avec vos illusions et puis qui sait, peut-être que vous grandirez un peu toute seule!?

    Les mots se posaient exactement sur cette sensation qu'elle avait eu, ce flash...

    - Vous êtes fière d'être toujours guidée par vos pulsions primitives, comme une petite guenon? reprit Emilie dans son emphase chancelante.

    Là, le docteur Keredine était allé trop loin. Pénélope releva la tête, regarda sa culpabilité droit dans les yeux et lui assena la plus libératrice des baffes dans la gueule.

    - Maintenant oui! dit fermement Pénélope.


    *


    Au bureau, Amy ne pouvait plus gérer tout ce qui se passait. Si elle avait choisi la police de terroir, c'était pour prendre le temps de résoudre les problèmes avec humanité, de ne pas industrialiser la gestion des affaires, mais force était de constater que depuis quelques jours, la cadence devenait insoutenable. Luc, son mari n'était rentré qu'une seule fois pour discuter avec elle et leur échange s'était soldé par une promesse de divorce et des insultes. Le chien neurasthénique avait servi d'étincelle...

    Assise devant son bureau au milieu de ce bureau grouillant de journalistes, d'enquêteurs, de suspects, de témoins, de ce connard d'Armini qui accentuait ses avances en essayant d'être un soutien, Amy était prête à craquer. En plus de ça, aucun des spécialistes n'arrivait à trouver la moindre piste pertinente. Entre les yakuzas, les sorciers vaudous, les bruns-entre-vingt-et-trente-cinq-ans-taille-moyenne-corpulence-moyenne, toutes les catégories de la population avaient été soupçonnées pour une raison psycho-scientifique à dormir debout. C'était décidé, le prochain qui pondrait une théorie débile, elle lui ferait manger ses lunettes.

    Les meurtres s'accumulaient. Entre le premier enfant, la jeune femme enceinte, le vieux grand-père de la maison de retraite, deux mariés tués dans une voiture à l'arrêt et un adolescent turbulent retrouvé écrasé contre un portail, il y avait déjà six crimes sans coupables. A chaque fois, les victimes s'étaient retrouvées isolées quelque part ou au milieu d'une foule et il n'y avait jamais aucun témoin crédible.

    Comme elle n'avait plus rien à faire chez elle, elle restait ici, dormait ici et ne se levait que pour se débarbouiller ou boire un café bien fort. La lionne usée s'était métamorphosée en descente-de-lit pour braconnier.

    Elle était si fatiguée que plus rien n'avait de sens, les mots se mélangeaient dans ses oreilles et dans ses yeux pour devenir une bouillie humorale inintelligible à laquelle elle répondait par un regard mauvais ou un aboiement. La lumière blafarde de sa lampe de bureau faisait ressortir ses cernes violettes mais personne n'osait plus l'approcher pour prendre de ses nouvelles.

    Aussi quand la confirmation de l'abandon des poursuites contre elle et Slasteh arriva, elle s'écroula sur son bureau et dormit presque trente heures, sans entendre ceux qui frappèrent à sa porte ou les bravades des interpellés.


    *


    L'homme était apparemment adossé au mur, les yeux dans le vide, la tête penchant légèrement sur le côté. A son visage ravagé, on aurait pu croire qu'il faisait une overdose ou une réaction allergique, pourtant quelque chose n'était pas naturel. On aurait dit qu'il avait soif! A bien y regarder, ses traits étaient torturés, comme aspirés à l'intérieur de son crâne par une sangsue mentale.

    Un de plus.


    Le corps fut amené à l'appendice médico-légal du bureau de la police du terroir pour autopsie. Bien entendu, aucune piste sur les lieux -conséquence des mises en garde de la fiction policière, et les empreintes génétiques étaient bien trop coûteuses à traiter, le terroir n'avait pas les budgets. Les légistes trouvèrent des traces d'anésthésiant dans le sang, ainsi que deux petits trous dans le crâne de la victime, au faîte du pariétal et au centre de l'occipital, comme on prépare un oeuf pour le gober cru.

    Cause de la mort: dessication cérébrale après écoulement du liquide céphalo-rachidien. L'homme avait dû se réveiller quelque part sans comprendre ce qui lui arrivait et petit à petit sa cervelle avait tout simplement sèché. Quand Amy essaya d'imaginer ce qu'avait ressenti cet homme, elle vomit sur le courrier qu'elle était en train d'écrire et le recommença.


    *


    Très tôt dans le matin, Emilie se réveilla dans son petit appartement. Une pensée venait de lui traverser l'esprit. Elle traîna les pieds jusqu'à la cafetière et se prépara un café. Elle réfléchissait comme on réfléchit au saut du lit en regardant de ses yeux vitreux le nectar des grains torréfiés à souhait couler dans le broc de verre disposé sous le filtre en mailles serrées qui peut-être lui donnerait l'énergie de finir d'ouvrir ses paupières. Ce café conservait sa fraîcheur et son authenticité grâce à un emballage hermétique unique, inventé par un vrai amoureux du café. La première goutte arriva mollement, totalement incolore, et s'écrasa sur le fond du broc. Pourquoi cette goutte n'est pas brune? Elle a dû se perdre en route, glisser sur le côté du filtre... Ce qui abattu immédiatement Emilie, c'est que ce café serait certainement le premier d'une longue série. Au fond du broc, la deuxième goutte s'écrasa à côté de la première. C'est trop tôt! Qu'est-ce que je fais debout à cette heure-ci? Sur le verre, les gouttes se rejoignirent. Pffff, il fait même pas beau... La goutte d'eau sembla gober la goutte de café et s'approprier un peu de l'arôme. Tiens, c'est joli...


    *


    La cadence infernale était devenue une routine. Les enquêtes internes abandonnées, il ne restait que quelques affaires de moeurs, cette recherche interminable du "marteleur" et des journalistes persévérents. Amy, blasée et épuisée, "s'adossait au protocole", comme disait Armini. En plus de ça les meurtres n'étaient pas tous liés, les enquêtes se superposaient...

    Le téléphone sonna.

    Elle tendit la main mais son bras était trop court, elle le relâcha et regarda le téléphone sonner pendant une minute entière, cireuse.

    - CHEF, TELEPHONE! cria une voix à travers la vitre de son bureau.

    - ...

    - CHEF! TELEPHONE! réitéra la voix.

    Amy savait qu'elle ne serait pas tranquille, le téléphone continuait sa sonnerie criarde.

    - Allo Amy? Emi.

    - Salut ma chérie, comment vas-tu? dit Amy sur un ton neutre.

    - J'en ai marre des cinglés...

    - Moi aussi, et accessoirement des artistes...

    - Tu parles...

    - On l'a choisit...

    - ... Bon, je vais devoir rompre les phrases laconiques, Amy, j'ai quelque chose d'important à te dire: je sais qui est ton meurtrier, suspendit-elle.

    - Ah bon!? Et qui est-ce? posa Amy presque enthousiaste.

    - Pas trop vite, Amy... Il faut que je te dise deux ou trois choses pour que tu acceptes ce que je vais te dire, et puis ça me rassure de prouver que j'ai compris... dit-elle un peu gênée.

    - J'ai le temps, on en est déjà au septième mort, un de plus un de moins...

    - Tu sais, j'ai pas mal repensé à ces histoires de caméléon...

    - Jön!?

    - Jön! confirma-t-elle. Il s'est vraiment passé de drôles de choses avec lui...

    - Comme toujours...

    - Non, je veux dire que je crois avoir mis le doigt sur quelque chose qui changeait en lui: sa "faculté d'adaptation", appelons-la comme ça. En fait, ce serait plutôt de la schizophrénie mimétique...

    - Tu vas me dire qu'il est cinglé, c'est ça? ironisa Amy.

    - Je fais ce que je sais faire, Amy, laisses-moi finir tu veux, tu feras tes remarques après!

    - ...

    - Donc... Ah oui, de la "schizophrénie mimétique", un terme que j'ai trouvé pour pouvoir être crédible devant les gens qui le jugeront...

    - C'est lui!?

    - Attends... J'ai une question à te poser: qu'est-ce que vous avez partagé depuis que tu le connais?

    - Comment ça?

    - Qu'est-ce qu'il t'as apporté?

    Là, Emilie touchait un point sensible, Amy ne pouvait pas se réfugier derrière son cynisme.

    - Quinze ans de sa vie, une promotion et son amitié!

    - Non, je veux dire, est-ce que tu te souviens de ce qu'il était précisément, de qui était Jön Slasteh?

    - Bien sûr... dit-elle sans comprendre.

    - Réfléchis bien, essaie de revisualiser vos échanges.

    Il y eut quelques minutes de silence.

    - C'est... étrange. J'ai l'impression qu'il... n'a jamais rien dit, dit-elle, surprise.

    - C'est ça!

    - Eh?

    - C'est ce qui s'est passé depuis le début, parce que Jön n'est pas réellement quelqu'un.

    - Pfff! N'importe quoi! Comment quelqu'un qui "n'est pas réellement quelqu'un" peut-il devenir enquêteur?

    - S'il en est arrivé là, c'est grace à tous ceux qu'il a croisé, des gens qui suivaient la voie "normale", des gens qui avaient besoin d'un reflet pour avancer. Il s'est "servi" de leur personnalité pour s'intégrer et ils se sont servis de lui pour se rassurer, pour donner une consistance à la petite voix qui trotte toujours dans la tête de tout le monde... Jön est un outil!

    - Un outil!?... Et moi?

    - Je crois que tu avais besoin de lui pour avancer, un frère qui partage tes incertitudes et qui te rend ton attention, pour te sentir moins seule...

    - C'est gênant Emilie, soupira Amy.

    • Excuse-moi. Je continue?

    • Oui, bien sûr...

    • Pour en revenir à Jön, je crois qu'il ne s'était jamais vraiment trouvé et c'est ce qui lui a permis de s'intégrer, d'imiter le monde comme un gamin...

    - Mais pourquoi ne copiait-il pas seulement les apparences, les façons de parler? Plusieurs fois, j'ai eu l'impression qu'il arrachait la peau des gens...

    - Comme un gamin... Les enfants reproduisent aussi ce qu'ils sentent, pas seulement ce qu'on leur montre. C'est souvent pour ça que des parents qui ne s'acceptent pas auront du mal à comprendre que leur progéniture devienne autre chose que l'image qu'ils croient avoir construite. Durant cette période, tous les enfants sont des caméléons, pour une raison simple: le besoin de reconnaissance. La transmission des caractères vient autant du besoin des géniteurs de perpétuer le clan que du besoin de reconnaissance de l'enfant, l'éducation, les idées, tout ça n'est qu'un support à cette relation...

    - Et Jön dans tout ça? C'est un enfant de cinquante ans qui se balade en redingote avec une grosse loupe?

    - Probablement parce qu'il n'a pas eu de modèle fixe, pas de clan qui réponde à son besoin de reconnaissance dans les années décisives. Je pense qu'il a compris très vite qu'imiter les autres était une question de survie, et comme rien en lui ne posait de problème éthique, justement parce que le "support" lui faisait défaut, il s'est identifié à tout ce qui le rendait vivant, tout ce qui se trouvait à sa portée... Toi...

    - Tu veux dire qu'il aurait pu mal tourner?

    - On peut dire ça mais "mal", c'est subjectif... il aurait tourné différemment, pour lui les couleurs auraient simplement été, sont, des couleurs...

    - Et il n'est jamais... lui?

    - Je ne sais pas si tu connais cette phrase "un caméléon n'a la couleur d'un caméléon que s'il est posé sur un autre caméléon", et bien je crois que c'est ce qui s'est passé avec Jön ces dernières semaines: il s'est posé sur un caméléon.

    - Où ça!?

    - Peut-être pendant l'une de vos enquêtes, ou même n'importe où...

    - Et ce caméléon, il était posé sur quoi!?

    - Précisément! Sa couleur était une absence de couleur. Il n'était posé sur rien.

    - Sur rien!? Et comment tu expliques ça, il flottait dans une dimension parallèle achromatique ton varan!?

    - Je ne sais pas... Pour un individu adulte, la perte progressive de couleur serait concevable: s'il est détruit par son entourage ou isolé et autonome, il peut se délaver -ce qui est plus que possible dans nos civilisations où tout le monde devient esclave de ses décisions. Mais si pâle soit-il, ce ne sera jamais qu'un pseudo-caméléon. Il pourra toujours imiter une certaine partie de son environnement, se soumettre, mais ne pourra pas "devenir" n'importe quoi comme le faisait Jön.

    - Et qu'est-ce qui l'a fait changer à ce point s'il trouvait son équilibre là-dedans?

    - C'est d'avoir vu ce qu'il était.

    - Mais il le savait!

    - TU le savais!

    - Aïe, j'ai déjà entendu ce genre de formule... Précise?

    - Il le savait parce que tu le savais, pas parce qu'il en avait réellement conscience. Il répétait les phrases comme un enfant qui veut plaire ou un adulte qui se leurre, pas comme quelqu'un qui analyse en profondeur... comme ce que TOI tu comprenais de lui!

    - Et qu'est-ce qui lui en à fait prendre conscience?

    - C'est...

    - Attends, dit Amy brusquement, tu sais, j'en ai marre de faire comme si je servais à relancer le débat, finis ce que tu as à dire, on verra ensuite d'accord!?

    - D'accord. Bon, je reprends: Jön a été confronté à lui-même quand il s'est posé sur le caméléon incolore ou son empreinte, sur un corps mutilé, par exemple, parce qu'à son degré de sensibilité, une empreinte est comme une biographie. Le problème vient de celui-ci, du premier caméléon. C'est lui qui est une énigme parce que l'absence totale de personnalité constitutive n'a pu être scellée que très jeune. Ce caméléon, c'est en quelque sorte l'alter ego de Jön mais qui aurait grandi sans aucun environnement, comme dans une "dimension parallèle achromatique", dit-elle avec un clin d'oeil, oubliant qu'elle était au téléphone. Si ça se trouve, il a grandi dans le super marché encore rempli d'une ville fantôme en plein désert, ou quelque chose dans ce genre, de manière à ne jamais ressentir aucun besoin ni aucun manque qui construise sa personnalité. Et puis il s'est retrouvé en ville...C'est complètement improbable si tu veux mon avis, mais c'est ce qui a dû arriver...

    • Et le besoin d'amour!?

    • On ne manque pas de ce qu'on ignore.

    - Euh... Et pour Jön?

    - Je pense qu'il s'est peu à peu laissé envahir par cette absence de couleur, que ce vide l'a rongé.

    - C'est quoi la question qu'il te faut, maintenant?

    - Pourquoi est-il devenu incolore au lieu de reprendre

    normalement son mimétisme pathologique?

    - Bien, pourquoi est-il devenu incolore au lieu de reprendre normalement son mimétisme pathologique?

    - Et bien quand on découvre sa vraie nature, pas des bribes ou des indices mais quand on reconnaît son être profond, chez soi ou chez un autre, c'est comme une révélation. En lui demandant ce qu'il était vraiment, en ME demandant ce qu'il était vraiment, j'ai peut-être accélérer le processus, mais il était déjà en train de se reconnaître. Quand il y a une adéquation parfaite entre ce qu'on est et la conscience de ce qu'on est, on ne peut plus tricher, on ne peut plus se mentir.

    - Jön disait qu'il n'y a que des meurtres de jalousie...

    - Possible...

    - Mais de quoi est-il jaloux?

    - De la couleur! s'exclama Emilie, comme une évidence.

    - Et ce Lamentin Stérile, l'intemporaliste, ce ne pourrait pas être lui qui tue tout le monde plutôt que mon meilleur ami? demanda Amy comme un service.

    - Sémantin... ce n'est pas lui, et pour une raison bien précise: on l'a retrouvé le crâne explosé sur le trottoir -une chute semble-t-il. Tu dois avoir un rapport sur ton bureau... Il était violent, pas jaloux. En fait, il n'avait rien à envier à personne, il était entier... plus entier que toi et moi d'ailleurs, c'est pour ça qu'il ne pouvait pas se contrôler...

    - Ah... Et comment on va retrouver Jön maintenant, ça fait des jours que je ne l'ai pas vu...

    - Tout ce qui vit est à la recherche de ce qui le fait vivre.

    - Et deux tu l'auras valent mieux qu'un permis à points...

    - AH-AH! accentua-t-elle. Ce que je dis, c'est que ce qui le fait vivre, c'est la vie elle-même. Il est à la recherche de ce qu'il ne peut pas ressentir, il cherche la spontanéité, l'évidence de la vie, des couleurs qui ne soient pas altérées. La jalousie, c'est ce qui le fait avancer et le détruit chaque jour un peu plus, il jalouse la vie, s'en nourrit et quand il sent qu'elle lui est trop inaccessible, il ne peut que détruire l'objet de sa jalousie avec tout ce qu'il y a en lui, un instinct de survie fondamental, bestial, brutal... pour ne plus souffrir. Tu le trouveras près d'une école, ou d'un terrain de jeu...

    - Comment as-tu deviné tout ça?

    - Je ne l'ai pas deviné, comment dire... je l'ai su...

    Amy avait l'impression d'avoir aussi déjà entendu cette phrase. Elle hésita un instant et proposa:

    - Si tu n'as rien à faire dans les temps à venir, viens me voir au bureau, je... j'aurais peut-être du travail pour toi...


    *

     

    Quand les agents attrapèrent Jön, il était caché à moitié nu et en guenilles. C'est une maman qui avait prévenu la police de terroir parce que quelque chose bougeait dans les buissons autour du square. En attendant, les autres mamans avaient appelé tous les bambins dans leurs jupes et s'étaient doucement réfugiés derrière les petites barrières: c'était peut-être un chien enragé...

    Jön avait les pupilles complétement dilatées et les agents qui croisèrent son regard eurent du mal à trouver le sommeil durant deux ou trois jours. Emilie avait conseillé de l'endormir le plus vite possible pour ne pas qu'il tente de s'échapper. C'était ça ou prévoir une cartouche pour l'abattre quand il cèderait à sa "folie meurtrière"...

    Il fut drogué, transporté et enfermé dans une pièce totalement vide, sans lumière, sans couleur, sans odeur, sans vie. Il y sembla apaisé. Et vide.


    *


    - Comment tu t'appelles?

    • ... Julie.

    • Tu prends un verre?

    Pénélope hésita un instant.

    • Volontiers, dit-elle avec le plus ravageur des sourires.


    *

    - Emilie?

    • Oui?

    • Tu veux le voir?

    • Je... je ne sais pas si c'est une bonne idée...

    • C'est bien ce qui me semblait...

    • J'ai encore une question.

    • Ah?

    • Je crois qu'on s'est félicitées un peu vite l'autre jour avec tout ton charabia mais on a oublié le plus important...

    • Le plus important?

    • Il était posé sur qui?


    *


    Deux heures plus tard, aux alentours de minuit, Pénélope s'endormait en ronronnant aux côtés d'un inconnu quand on trouva dans un terrain vague le corps broyé d'une grand-mère encore souriante qui se faisait picorée par ses amis les moineaux.


    **

    *


  • Commentaires

    1
    o
    Jeudi 13 Mars 2008 à 20:35
    Ca y'est
    ... j'ai lu dans la journée. Mais où trouves-tu l'inspiration ???
    2
    Ringard Métachrone
    Jeudi 13 Mars 2008 à 23:01
    Youplaboum
    Dis-moi qui tu es, je te dirais ce que je mange! Oh, et puis c'est plus romantique dans le noir... L'inspiration est dans la vie de tous les jours, il suffit de regarder le pain comme une conséquence de la farine. J'ai bon?
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    3
    o
    Vendredi 14 Mars 2008 à 14:01
    ...
    Ok tu as bon !!! Qui je suis, un lecteur ou une lectrice !! qui trouve plutôt pas mal ce que tu fais. J'aime bien ce genre de blog. Un conseil peut-être, si je peux me permettre : plutôt que de poster tous tes textes à la fois, postes-les au fur et à mesure, c'est moins long à lire et on attend la suite !! Sur d'autres blogs, les personnes font ainsi et c'est pas mal !! Et toi qui es-tu ???!!!
    4
    Nico
    Vendredi 14 Mars 2008 à 21:16
    Concours d'élipse
    Pour être honnête, le côté "série à suspense-j'arrive une demi-heure en retard pour te mettre l'eau à la bouche" c'est pas trop mon genre, ou alors c'est peut-être ce que je me dis après n'avoir jamais réussi à mettre la suite APRES le texte précédent. Mais j'ai tendance à préférer la valeur des choses à l'illusion qu'appellent leur mystère... J'essaie de ne pas minauder.
    5
    Ricot Fayot
    Vendredi 14 Mars 2008 à 21:24
    Au fait!
    Dis-moi "o", est-ce que tu me donnerais ton "humble avis" pour que ton "pas mal" se transforme en "bien" ou "renversant", ou alors est-ce l'apogée admirative de ces intellectuels qui pensent que le compliment sincère est une perte d'équilibre?
    6
    o
    Vendredi 14 Mars 2008 à 22:20
    ...
    Oui, pourquoi pas mettre tout d'un seul coup... Effectivement, c'est une perte d'équilibre....
    7
    Chico Mad Mex
    Samedi 15 Mars 2008 à 09:21
    Oh ben non!
    Déjà!? Quoi qu'il en soit, je te remercie d'être en face. Pour l'heure je cherche surtout à tarvlail, trrravvayé, non, T-R-A-V-A6I-LL-ER, travailler!! le fond, j'essaierai de me mettre à la présentation quand je saurais que le bossu a une âme, et alors je me ferais charpentier, rabotant la silouhette, coiffeur peignant la tignasse et modiste vêtant le nu. Et aussi quand je serais sûr que ma princesse n'est pas amoureuse de mes vêtements.
    8
    o
    Dimanche 16 Mars 2008 à 16:00
    ...
    Rien à ajouter. Bon travail.
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