• V

    Coraline emplissait ses vêtements jusqu'aux limites des fibres élastiques. Le bébé ne tarderait pas. Quelques semaines tout au plus. Des amies passaient la voir tous les jours après le travail pour prendre de ses nouvelles ou caresser son ventre un peu jalouses.
    La famille de Néméda ne voulait toujours rien savoir de cette histoire. Pourtant, elle allait être mère, un enfant allait sortir du vagin de sa compagne comme Néméda était sortie vingt cinq ans plus tôt de celui de sa mère. Peut-être ce bébé la ferait-il accepter de nouveau auprès de sa famille, peut-être l'instinct maternel reprendrait-il le dessus devant ce petit être fragile.

    En attendant, les moments d'intimité avec Nemeda se faisaient de plus en plus rares. Tout tournait autour du futur enfant, pour les autres, et aussi pour elles. Ces moments qui les faisaient s'aimer étaient un peu bâclés désormais, entre les aménagements et les visites importunes.
    Au bureau, le directeur de Coraline la trouvait de plus en plus désirable. Cette fille intelligente était plus magnifique encore toutes preuves de ses sentiments pour une autre dehors. Ce ventre rond qu'elle laissait gonfler en même temps que sa poitrine donnaient à sa candeur naturelle quelque chose de sensuel. Son bureau sentait les hormones, elle avait la sensibilité à fleur de peau et minaudait pour un rien.
    Un soir, le directeur lui demanda de rester une heure de plus pour travailler sur le projet dont il l'avait nommée responsable. Et ce qui devait arriver arriva, elle se jeta dans ses bras. Il firent un amour boulimique, tout ce qui se trouvait sur le bureau fut éjecté sur le sol durant l'étreinte.

    - Pourquoi tu as fait ça ?
    - Je ne pouvais pas m'arrêter. C'était comme répondre à un instinct. Tu m'en veux beaucoup ?
    - Je ne sais pas, Cora. Si je ne te suffis pas, est-ce qu'on a bien fait d'avoir un enfant toutes les deux ?
    - Tu te trompes, Nemeda. Tu es tout pour moi. C'est étrange cette période, mon corps est indépendant, j'ai l'impression de ne plus rien décider. Je te promets que je ne le ferai plus, je t'aime, je ne veux pas te perdre pour ça.-
    - En fait, je ne sais pas si je suis jalouse... Je sais que tu m'aimes. J'en suis sûre... Non, en fait, je ne veux pas que tu arrêtes, je veux que tu t'écoutes, que tu fasses ce dont tu as envie, notre enfant n'en sera que plus beau, même si c'est douloureux pour moi.
    - Tu crois vraiment?
    - Oui... Je ne vais pas souiller notre vie avec une jalousie médiocre...
    - Tu devrais m'embrasser maintenant !

    Le baiser fut long, câlin, érotique. La nuit tombait, elles tombèrent avec elle, nez contre nez, quatre mains sur le ventre de Coraline.


    VI

    Coraline avait quand même des remords, elle s'en voulait et elle évita de se retrouver seule avec son patron... le plus possible...


    VII

    - Dis-moi, c'était comment cette fois?
    - Arrête, ne me demande pas ça... soupira Coraline.
    - Je veux juste savoir.
    - Ca ne servira à rien! Ecoute Néméda, nous avions convenu de ne plus en parler, ne me fais pas ça!
    - Ne "ME" fais pas ça? Est-ce que tu te rends compte de ce que c'est de t'imaginer dans ses bras pendant que je suis ici à t'attendre?
    - Je... C'est toi qui m'a dit de m'écouter!
    - Mais quand je t'ai dit ça, je ne pensais pas que ce serait si difficile à accepter. Je voudrais que tu arrêtes de le voir.
    - C'est mon premier homme depuis toi tu sais?
    - Ah... Et c'est... bien?
    - Insuffisant... C'est lui qui me repousse au bout d'un moment. Je ne comprends pas, il ne m'attire pas vraiment et pourtant dès qu'il entre dans la pièce j'ai envie de le déshabiller, de faire l'amour avec lui et...
    - C'est bon, j'ai compris! coupa Nemeda.
    - Tu vois, je te fais du mal.
    - Ta façon de parler de lui te rend si exquise, quand tu rentres je n'ai plus que toi en tête, ta peau douce, caresser tes formes rondes toute la nuit, mais j'ai peur que tu n'en aies plus envie, que tu ne m'aimes plus...
    - Viens, ma chérie. J'ai besoin de tes caresses, plus encore après les siennes, pour avoir des caresses d'amour là où il a posé ses mains bestiales. Quand je suis avec lui, mon corps absorbe son énergie mais avec toi, je redeviens moi-même, je redeviens une femme aimée, une femme qui porte notre enfant. Caresse-moi autant que tu le voudras, je prendrai tout!
    VIII

    Le bébé était là, dans son landau. Il entendait sans comprendre les quelques mots soupirés par ses deux mamans. Elles ne se disputaient jamais. Coraline devait trouver un nouveau travail, son directeur n'acceptant pas un retour si soudain à l'amour chiral. Mais elle prenait son temps. Rien ne l'obligeait à se précipiter loin de son enfant, loin de Nemeda, surtout pas l'envie. Elles avaient quelques économies et Nemeda avait obtenu un mi-temps dans une blanchisserie.
    Elle trouvait la tâche un peu simple au début et craignait de s'ennuyer de ces tonnes de linges hebdomadaires, mais à la réflexion, les effluves discrètes des tissus propres, l'odeur enivrante de la lessive renouvelait chaque jour la fraîcheur de leur appartement.
    En fait toutes les deux s'abandonnaient. Pendant leur intimité, le bébé était un importun qui ne devait rien savoir de leur idylle et ce petit jeu pimentait leur amour d'un parfum d'interdit. Ensuite, le petit redevenait le ciment de leur vie ensemble, la preuve vivante de ce qu'elles avaient construit.


    IX

    Malgré ce bonheur, Néméda était parfois amère. Elle avait accepté beaucoup de choses pour cette relation et ce qui la faisait le plus souffrir était d'être reniée par sa famille. Le petit Julien, si mignon, n'avait servi à rien, pire même, elle l'avait utilisé comme un laissez-passer et sa mère l'avait renvoyé comme un prétexte supplémentaire. L'impasse...
    Coraline malgré ses airs un peu naïve ressentait bien la détresse de sa compagne et plus le temps passait plus elle sentait que Néméda donnait le change, se laissant peu à peu envahir par des pensées toxiques, alors elle décida de prendre les devants. Ce fut un mardi matin. Elle profita d'une absence de Néméda pour aller trouver sa mère chez elle...
    - Bonjour, madame Chevalier, je me présente Lucie Paulpeaute. Je représente la société Finesse&Tissus.
    - Et qu'est-ce que je peux faire pour vous?
    - Laissez-moi vous poser une question: depuis quand n'avez-vous pas renouveller votre lingerie?
    - Assez longtemps, pourquoi?
    - Je pense avoir pour vous quelques articles qui feront votre joie comme celle de votre mari!
    - Je doute que vos "articles" fassent disparaître la peau d'orange...
    - Madame, permettez-moi de vous dire que vous êtes encore ravissante!
    - "Encore"!? Vous n'êtes pas très adroite mais je suppose que vous devez faire vos preuves... Entrez donc.
    - Merci, madame.
    Elles s'assirent sur le canapé.
    - Alors, où sont donc ces dessous qui vont pimenter ma vie de couple?
    - Voilà, nous avons toute une gamme de culottes très appréciées par nos clientes mariées. Elles s'intègrent discrètement dans les rapports de confiance et réveillent en douceur l'envie de jouer, de flirter avec votre partenaire.
    -...
    - Nous avons également des dessous "olé-olé" pour les rendez-vous plus torrides...
    - ...
    - Page 24, nous avons ce magnifique porte-jartèles en lanières de cuir... Voulez-vous le voir porté?
    - Le voir porté?
    - Oui, on se rend toujours mieux compte lorsqu'on voit les articles sur quelqu'un.
    - Non, merci, je... enfin... si vous voulez.
    - Vous êtes très belle madame.
    - Merci, mais... dit-elle en bafouillant.
    - Pardonnez-moi, je ne voulais pas vous mettre mal à l'aise. Je pensais simplement que ce porte-jartèles serait très bien sur vous, dit Coraline, reprenant un ton professionnel. Je pense que le cuir beige se marierait parfaitement avec votre teint de peau.
    A mesure qu'elle continuait son numéro de vendeuse, elle se déshabillait lentement en plein milieu du salon, se cachant à peine. Elle avait retrouvé ses formes fines et ses seins étaient gonflés de lait. Elle profitait de son semblant de streap-tease pour épier les réactions de madame Chevalier qui semblait troublée, regardant "Lucie" se déshabiller lentement puis baissant les yeux en cherchant à s'occuper.
    - Pourriez-vous vous tourner, demanda Coraline.
    - Me...? Ecoutez, je ne suis pas sûre de prendre quelque chose, vous savez...
    - Ca ne prendra qu'un instant, le temps d'enfiler ça... et... voilà!
    -...
    - Qu'en pensez-vous?
    - C'est très beau! répondit madame Chevalier fascinée. Vous êtes magnifique...
    - Merci, mais le porte-jartèles, est-ce qu'il vous plaît?
    - Le porte-jartèles? Oui oui, bien sûr. C'est de la très belle lingerie. Je vais réfléchir.
    - Voulez-vous toucher? Le cuir est assoupli pour ne provoquer aucune irritation...
    - Non, merci, je vous crois.
    - Si, si, je vous en prie, ne soyez pas gênée! C'est mon métier vous savez...
    Coraline prit la main de madame Chevalier pour l'amener à caresser le cuir et en même temps effleurer sa cuisse. Madame Chevalier parut plus destabilisée encore, elle se leva d'un bond et fit mine de regarder le prix sur le catalogue.
    - Que ce passe-t-il, madame Chevalier, le cuir est trop dur à votre goût? Nous pouvons demander qu'il soit assoupli davantage, si vous le désirez.
    - Non, ce n'est rien, mademoiselle.
    Coraline sentit que c'était le moment de passer à l'attaque.
    - Qui est cette jeune fille en photo?
    - Là? C'est ma fille... répondit-elle avec une vague tristesse dans le regard.
    Coraline prit alors ses yeux les plus pénètrants, pour appuyer tous les non-dits.
    - Et que fait-elle?
    En un regard, les deux femmes s'étaient comprises. Le visage de Coraline mêlait sévérité et compassion, celui de madame Chevalier était celui de quelqu'un qui s'apprête à faire face à des responsabilités fuies pendant trop longtemps.
    - C'est bête de reproduire ce qui vous a fait du mal...
    - Vous ne vous appelez pas vraiment Lucie, n'est-ce pas?
    - Pas vraiment.
    Sur quoi Coraline rangea ses affaires et partit.


    X

    Depuis lors, les deux jeunes femmes filèrent un amour total et fusionnel. Le petit Julien apprit à marcher, à bredouiller ses premiers mots. Pour la forme, elles lui apprirent même à dire "papa". Mais leur histoire était trop belle pour s'étioler avec les années, trop intense pour devenir médiocre. Quelque chose devrait conserver cet amour intact.


    XI

    Le jour de la saint Valentin approcha. Le vent frais de février soufflait dans leurs cheveux relâchés. Un léger soleil de fin d'après-midi faisait onduler l'horizon. Il y avait un peu trop de monde sur le chemin de leur promenade et Julien courait devant de sa course empotée. Il y avait là une bonne douzaine de couples enlacés s'offrant babioles et promesses, les joues rougies autant par l'émotion que par la température hivernale.
    Nemeda et Coraline suivaient Julien d'un air détaché, humant un peu de l'air qui prenait l'air en attendant de porter les insectes et les parfums de fleurs. Rien n'aurait pu troubler cet instant magique. Le soir même, elles étaient invitées chez les parents de Néméda pour que tout ce petit monde se rencontre, enfin... Et Julien rencontrerait pour la première fois ses grands-parents "maternels", les autres. A voir comme ça ce gamin pouffer sans arrêt, ses expressions innocentes, ses petites chaussures, Néméda pensait "qu'il voudrait peut-être une petite soeur". Elle était heureuse.

    Tout à coup, un jeune homme déguisé en Cupidon surgit de derrière un arbre. Le ridicule a parfois quelque chose de touchant! Il portait un petit arc, une culotte de coton qui imitait à la perfection un nuage et une chair de poule qui donnait froid par empathie. Il s'approcha d'un banc sur lequel une jeune fille était assise. Tous les promeneurs les regardèrent avec un sourire amusé, attendri et attendaient la suite... La jeune femme sur le banc ne savait plus où regarder tant elle était gênée. Cupidon s'approcha d'elle, en chargeant son arc d'une flèche qu'il avait recouverte d'un petit coeur rouge. Il lâcha la corde, s'agenouilla devant la jeune fille et posa son arc au sol pour plonger sa main dans le nuage avec l'air de se gratter les poils pubiens, mais il en ressortit quelques secondes plus tard avec un étui cubique, le fameux étui...
    La jeune femme baissa les yeux, rougit et les releva pour envoyer à son prétendant le regard le plus enflammé qu'il n'ait jamais vu. Si enflammé qu'il en perdit son élan et bafouilla quelques secondes avant d'arriver à parler normalement. Quand il eut retrouvé un peu d'assurance, il entonna sa déclaration... comme pour appeler l'assistance à son aide:

    - Deux ans déjà que nous nous sommes rencontrés. C'était dans le rayon des fruits et légumes d'un supermarché mais elle était si féérique que les fruits se sont mis à danser autour d'elle et depuis ce jour, les choses les plus simples deviennent magiques. Avec toi, rien ne me semble impossible... J'espère toujours te mériter parce que tu es la plus belle femme que j'ai jamais vue, la plus sincère et la plus drôle... alors si tu veux de moi au paradis, merveilleux ange de ma vie, si tu veux de mon amour, de ma dévotion, si tu veux de moi pour toujours...épouse-moi! Floriane, mon amour, veux-tu m'épouser?

    Notre Roméo acheva sa déclaration sous les yeux attendris des femmes et les toux maladroites de hommes. Ces phrases usées, ces mots ternis parfois par un besoin d'originalité retrouvaient tous leurs sens dans la bouche de cet amant transit. Il se raccrochait à ce discours répété cent fois pour laisser s'envoler ses sentiments vers la femme assise en face de lui qu'il regardait avec passion. Il avait accepté d'être ridicule, accepté d'être sans défense pour s'offrir à celle qu'il aimait devant tout le monde. Bien sûr, le clou de sa tirade était une question, une question à laquelle on répondait avec une exclamation! Il avait excité le romantisme de toutes les Valentine, toutes avaient envie d'y répondre encore, pour vivre ou revivre ce moment.
    Sous les applaudissements de l'auditoire, la jeune femme tendit alors sa main pour que le jeune homme y enfile la bague de leurs fiançailles...

    XII

    - Rentrons prendre un bon chocolat à la maison, Cora.
    - Si tu veux... Julien, viens ici mon chéri. Ils étaient mignons, non?
    - Très!
    Elle avait l'air essouflée mais Coraline n'y fit pas attention, mettant ça sur le compte du froid.
    - Quand est-ce que nous pourrons nous marier?
    - Mais nous sommes déjà mariées!
    - Légalement je veux dire.
    - Tu as eu la cérémonie, les bagues, les dragées, qu'est-ce que tu veux de plus?
    - Je veux que même les ordinateurs qui calculent nos impôts sachent que je t'aime!
    - Ah ah... Patience, patience...
    - Bon, qu'est-ce que tu fais, tu viens? Je te rappelle que c'est toi qui voulais rentrer!
    -J'arrive, j'arrive, j'ai juste un petit coup à vide.
    Coraline prit sa compagne par le bras et l'entraîna gaiement jusqu'à leur appartement.

    Une fois la porte refermée, Nemeda se dirigea vers un fauteuil et s'y écroula lourdement.
    - Tu peux demander à Julien de jouer dans sa chambre, j'aimerais qu'on soit un peu seules...
    - Et pour le chocolat?
    Elle jeta un regard inquiet cette fois à sa compagne qui respirait difficilement.
    - Julien, vas dans ta chambre, mon chéri, on viendra te voir dans cinq minutes.
    Néméda essayait de dire quelque chose.
    - Mon amour, souffla-t-elle.
    - Oui?
    - Je me demande si tu as vraiment besoin de moi pour élever Julien.
    Coraline ne comprit pas tout de suite. Elle s'accroupit à côté du fauteuil, les sourcils froncés.
    - Tu me fais encore une de tes dévalos d'avant? Qu'est-ce que tu veux dire?
    - Je me demandais juste si...
    - Tu veux me quitter? demanda-t-elle soudain inquiète.
    - Non, dit-elle en souriant malgré tout.
    - Mais alors quoi? Dis-moi ce qui t'arrive!?
    - Je vais devoir te laisser...
    - EXPLIQUE-TOI, NEMEDA!
    - Tout à l'heure dans le parc..., soupira-t-elle.
    - ...
    - Il n'a pas fait attention...
    - QUOI!? QUI!?
    - Cupidon, dit-elle en ouvrant sa veste dont l'intérieur était souillé de sang.
    - Mais qu'est-ce que c'est que ça?
    - La fin...
    - J'appelle les urgences, Néméda! Mais pourquoi, pourquoi est-ce que tu n'as rien dit!?
    - Parce qu'ils méritaient de commencer, tu comprends?
    - Mais c'est STUPIDE! explosa Coraline. Et où est ce téléphone sans fil?
    - Ne soit pas fâchée Cora, c'est une flèche qui m'a donné la vie, c'est une flèche qui me la reprend.
    - ...
    - C'est avec ça qu'on fait les belles histoires, non?
    - J'aurais préféré une histoire avec des fleurs ou des bonbons... Et Julien aussi...
    - Je sais que tu t'en occuperas pour deux. C'est toi la meilleure mère du monde.
    - Allo? Je suis Coraline Thème, 55 allée des daturas, deuxième étage gauche, venez vite, ma compagne fait une grave hémorragie... Dix minutes? Oui. Faîtes vite, je vous en supplie!
    - Tu es douce, sensible, belle... Excuse-moi, je vais arrêter avant que le départ ne soit trop insupportable...
    - Continue et ne pars pas! Parle-moi! Pourquoi est-ce que tu n'as rien dit, pourquoi!?
    - Ne me complique pas la tâche, Coraline, c'est la fin qui donne du panache et j'essaie de ne pas pleurer!
    - Rien à faire du panache! Je t'aime! Tu es la meilleure chose qui me soit arrivée!
    Une quinte de toux ensenglantée fit monter la tension.
    - Arrête, je vais finir par le croire... et puis ce serait, hum, hum, trop bête de finir dans l'eau de rose, pas vrai? dit-elle avec un clin d'oeil difficile.
    - Et alors!? Tous les autres pataugent dans la saumure! L'eau-de-rose je veux y rester, avec toi, en boire jusqu'à la noyade!
    - Tu es toujours la même, ma Cora...
    - ...
    - Le mieux que je puisse faire, c'est partir sur un sourire, dit-elle dans un dernier soupir..


    XIII

    Nemeda posa le stylo.
    Les deux jeunes filles se regardaient les yeux humectés de larmes. Elles étaient toujours assises sur le couvre-lit éclairé à la bougie. En bas la musique s'était endormie. Elles ne savaient pas combien de temps s'était écoulé depuis leur rencontre et pourtant elles avaient désormais une vie en commun. Une vie qu'elles ne pourraient jamais partager avec les autres, qu'elles garderaient enfouie en elles comme un trésor.

    Toutes les deux savaient que leur histoire ne pouvait être que définitive. Dans ce genre d'expérience, il n'y aucune place pour l'insouciance parce que leur amour n'avait pas le droit d'exister simplement, il devrait faire face à une société entière et aucune d'elles n'y était prête.

    Elles savaient ce qu'elles devaient faire, elles le savaient depuis le début... Elles tenaient toutes deux le manuscrit de leur histoire et l'approchèrent de la bougie.
    Les feuillets s'embrasèrent.
    Coraline et Néméda, immobiles, contemplèrent le feu qui réduisait en cendres ce qu'elles avaient vécu ensemble. Quand la dernière flamme s'éteignit sur le bout de leurs doigts, Coraline se leva, les yeux toujours brillants, et dit simplement "merci".
    C'était la première fois que Néméda entendait cette voix mais il lui semblait l'avoir toujours connue. Le jeune homme qui avait tenu la main de Coraline apparut tout à coup à la porte et la jeune fille poussa un petit cri de surprise...
    - Tu es là ?! Ca fait deux heures que je te cherche partout, j'étais inquiet, tu aurais pu me dire où tu allais! C'est qui ta copine ?
    Mais déjà, elles ne l'écoutaient plus. Coraline se retourna vers Nemeda et lui fit un petit signe de la main avant de s'en aller...


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  • Je l'aime!

    Je l'aime !

    Je passe la voir quand j'en ai envie, elle ne me fait aucun reproche. Elle comprend mon besoin de liberté, ma peur de m'investir, d'être père un jour de nos enfants. J'ai parfois du mal à la deviner, elle est si mystérieuse, mais je sais que toutes ses pensées sont délicates, souriantes.

    Elle sait au fond que les mots ne servent à rien pour se comprendre, encore moins pour s'aimer. Notre amour est si pur qu'il se passe de fleurs, de bijoux, de toutes ces paillettes frivoles, si pur qu'il se passe de fidélité et de paroles perdues.

    Elle a cette féminité à fleur de peau, ces petits rien inexplicables qui la rendent exquise et cette façon discrète de surveiller sa ligne, de prendre soin d'elle.

    Je crois que je l'aime, sans oser lui dire... Son teint clair invite aux caresses et sa peau si douce fait de chaque geste tendre un appel au câlin.

    Mais notre amour est trop franc, trop pur. On s'offre l'un à l'autre avec un tel abandon que les gens nous regardent avec des yeux qui jugent. Ils ne comprennent pas qu'elle est ma famille et mon tout, ma mère, ma femme, ma maîtresse et ma fille. On est heureux ensemble, c'est tout. Pourtant, tout est si beau que je redoute le jour où tout s'arrêtera, ce jour prochain où il n'y aura plus entre nous que des reproches et de l'amertume. Elle ouvrira les yeux et me dira : "qu'est-ce que tu fais là?", comme si elle tirait un trait sur tout ce qu'on a vécu ensemble. Je sais comme sont les femmes, intraitables dans leurs décisions, elle me laissera partir, désespéré, pleurera sur son lit le temps d'un téléfilm et m'oubliera. Moi, je n'aurai plus le courage de rien faire. Je ne serai plus qu'une ombre qui déambule, maudissant à jamais ce jour où elle est sortie du coma.


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    La Prude et le Banquier


    - Seul dans votre boudoir, que faites-vous monsieur ?

    - Je baigne mes pensées d'un sombre désespoir

    - De quoi vous plaignez-vous, vous êtes aimé et riche, admiré de beaucoup et redouté des autres, vous mangez grassement et voyagez beaucoup, vos boites de cigares se vident coup sur coup, certains iraient même jusqu'à vous dire fêtard !

    - Le jeu n'est qu'apparence pour leurrer la critique, qui bonne ou pire, se met à l'affût des soupirs, pour soulager les maux d'un riche et triste sire !

    - Mais que reprochez-vous à ces cœurs qui consolent ?

    - Qu'ils ne le fassent avides uniquement pour les sols !

    - Voyez-vous en chacun le péché de l'argent, que vous feignez la joie si grande et si souvent ?

    - Les dévots n'en sont pas et si je ne sais qu'une chose, c'est qu'en quête d'argent chacun délie sa prose.

    - En mon âme et tourment je veux vous assurer, que toutes mes pensées ne vont vers votre argent, et si ma bouche enfant peut résoudre à l'entente, j'en userai doucement pour ... votre cœur blessé...


    Moralité

    Laissez croire ceux qui jouent pour vous prendre service, leur intérêt cerné profitera à vos vices.


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    Le Prix De La Quiétude


    Acte I

    Scène 1


    Résordine était une petite fille un peu perdue dans ses rêves de princesse, choyée et adorée. Elle n'était pas la midinette fleur-bleue qui passe de longues heures à choisir une robe rose, mais plutôt le tyran sans limite d'un monde imaginaire fait de pleutres et de pusillanimes. Autour d'elle, le temps s'écoulait comme une rivière de crème anglaise, riche et fluide. Les airs de petite reine séduisaient toutes les femmes en âge d'être mère ce qui lui permit de jouer ce jeu jusqu'à l'adolescence.

    • Je veux ma tartine de confiture!

    • Oui, ma puce, ça arrive...

    • Maintenant!

    • Oui, oui, votre majesté, s'amusa la dame.


    Son monde, pourtant, lui échappa peu à peu. Il y avait moins de serviteurs dévoués et d'admirateurs béats. Son royaume la boudait! Il est parfois difficile de rompre avec ce qu'on comprend du monde, parce que l'esprit ne remarque souvent que les preuves de ce qu'il croit. Son monde lui échappait...

    • Porte mon cartable!

    • Oui, ma chérie, j'arrive...

    • Plus vite!

    • A vos ordre, colonel! ironisa le jeune homme.


    En souveraine toute puissante qui n'a jamais eu à se remettre en question ou à faire preuve de son autorité, elle se sentit dépassée, hurla, vociféra pour rappeler ses sujets à l'ordre mais rien y fit. Petit à petit son règne tomba dans en désuétude. Pire, on l'ignorait pour s'occuper d'autre chose!

    • Je me trouve craquante dans cette robe, pas toi?

    • Cinq minutes, il faut que je travaille cet excercice de math, c'est important...

    • Je vois... dit-elle vexée.


    Des pensées vengeresses se manifestaient souvent dans les méandres de son hystérie mais elle appris à se taire, à agir comme une roturière et à baisser la voix, le temps de débusquer les ennemis, les traitres et les félons.

    Scène 2


    La vie aurait pu la changer, la faire grandir mais le monde est tellement vaste qu'il y a toujours une situation qu'on peut s'approprier pour rester intègre envers sa folie et ce petit homme qui n'ose jamais rien dire sera un faire-valoir idéal pour sa Majesté Résordine.

    • On va chez moi, dit-elle.

    • Euh... D'accord.

    • Je ne te demandais pas ton avis, continua-t-elle en le prenant par la main.

    On ne sait jamais vraiment ce que les autres entendent par « amour », chacun associe le mot à quelque chose, comme ça, pour pouvoir en parler: ils s'aiment. Ils se sont mariés parce qu'elle redevenait le tyran et lui le sujet. L'objet. De là, la banale et superbe histoire qui mène à faire la queue dans les magasins de jouets.

    Scène 3

    Lui ce qu'il aime c'est rester assis comme quelqu'un qui ne sert à rien, et aussi chipoter sur les détails les plus infimes, pour avoir le sentiment d'agir sur quelque chose: il fait des maquettes d'avions.


    Elle rentre épuisée de sa journée de travail et s'attend quand même à un minimum d'attention pour pouvoir trouver que ce n'est pas assez. Mais entre ceux qui préfèrent penser à finir par les hublots et ceux qui préfèrent penser à en finir par la fenêtre, son monde lui échappe: elle est malheureuse.



    Scène 4


    Quelques années suffisent pour dissiper le malentendu. Elle n'est pas possessive, elle est dominatrice. Il n'est pas soumis, il est passif. « L'amour » s'efface mais le contrat reste. On le reproche un peu à l'autre les premières années, chacun à sa façon, jusqu'à en faire une nouvelle forme d'amour.

    • Tu n'es qu'une lavette! Cracha-t-elle.

    • Laisse-moi tranquille... gémit-il.


    C'est beau.

    Acte 2

    Scène 1


    Un jour, pourtant, quelqu'un s'approche de cette misère. Un bonhomme curieux dans un sens et dans l'autre qui ne s'effarouche pas des inconnus. Il émane de sa personne une drôle de confiance en soi et un culot à toute épreuve. Au milieu d'une foule, il regarde Résordine avec attendrissement et lui sourit.

    • Foutez-moi la paix! Cria-t-elle.

    • C'est ce que je viens vous offrir... dit le bonhomme d'une voix calme.


    L'hameçon est posé. Le bonhomme, un peu enrobé, reste imperturbable, attendant patiemment que la colère cède sa place à l'intérêt.

    • Vous valez mieux que ça, Résordine. Je peux vous aider.


    Enfin quelqu'un qui la comprend. Quelqu'un de fort et sûr qui l'a reconnue, elle, au plus profond de son être. Quelqu'un qui s'intéresse à ce qu'elle est. Par la suite, il ne sera pas plus émotif devant les crises de la princesse qui se décontenance peu à peu.

    • J'en ai marre que vous soyez toujours aussi calme! hurla-t-elle.

    • C'est parce que je n'en veux à personne, Résordine, répondit calmement le bonhomme.


    Les phrases font mouche. Elle veut apprendre à ressentir cet amour pour chaque être, chaque chose: elle change.

    Scène 2


    Le bonhomme n'est pas si ordinaire, c'est quelqu'un de doux, calme et pourtant sans failles, fort, dont il se dégage une aura bienveillante, c'est un être de lumière. Cet être de lumière et quelques-uns de ses amis de lumière apportent la paix à beaucoup d'autres personnes. Les princes et les princesses déchus étudient jour après jour le bouddhisme scientifique et les lois cosmiques de l'énergie universelle qui rééquilibrent les flux de l'harmonie intérieure. Les études consacrent une sensation d'intelligence, une assise scientifique solide et l'aspect ésotérique le sentiment d'appartenir à une caste d'individus uniques. Un rien de poésie trouble et quelques répliques martyres pour pouvoir fuir toute discussion sensée avec panache et voilà une armée de libérateurs fin prête. Prête à dispenser la bonne parole et la lumière. Prête à transmettre son savoir pour changer le ressenti de tous ceux qui sont perdus. Prête à se guérir par procuration...

    Mais les professeurs ont besoin d'argent pour entretenir la lumière, et les poudres de lunes qui ionisent les ondes cérébrales alpha sont un peu chères, les élèves participent.



    Scène 3


    Chez Résordine, la vie se calme, elle dit qu'elle est heureuse, qu'elle aime les autres, les comprend. Elle veut les aider à son tour. Et l'on savoure un peu cette ambiance prosélyte. Mais bien vite, l'énergie de la schizo-princesse devient l'insistance pesante d'un VRP en retard sur son chiffre, et les économies du foyer sont vite dilapidées dans tout ce bonheur. Elle dit à tout le monde qu'elle est heureuse, qu'elle les aime pour ce qu'ils sont, qu'elle les comprend et veut les aider à son tour à ressentir ce bien-être et cette sérenité, aider les autres à tout prix, tout le temps, n'importe qui et n'importe où contre n'importe quoi, mettre les doigts dans la gorge de tous ces gens qu'elle respecte à mourir et touiller le larynx jusqu'à ce que tout le monde gerbe pour pouvoir administrer son antivomitif salvateur avec un entonnoir.

    Il faut faire quelque chose.


    Cette sensation qu'elle emmitoufle du mot "bonheur", personne d'autre ne sait ce que c'est et si elle est partie pour la trouver, c'est que son ancienne vie ne lui procurait pas. Ou peut-être est-ce seulement une victoire sémantique de l'homme-ampoule associant, dans le lexique de ses adeptes, un mot nouveau à une réalité imperturbable.

    Alors que faire?

    Tout le monde pense avoir raison, surtout les défenseurs de l'émancipation de la pensée. Vouloir détruire les illusions de la princesse-VRP, ce serait aussi reconnaître son propre endoctrinnement au libre-arbitre, vouloir à tout prix que les autres pensent par eux-même, ce qui ne signifie pas grand chose, en oubliant que parfois, ils ont suffisament de certitudes ou d'incertitudes pour ne pas pouvoir, ni vouloir « penser par eux-mêmes ».

    Personne n'est assez inerte pour subir une situation sans chaînes dans laquelle il ne trouve pas une forme même inavouable d'accomplissement. Toutes les sévices régulières, les engueulades à répétition, le mépris chronique ou l'abnégation inhibante font toutes vibrer une corde cachée des protagonistes.


    Sortir délibérément Résordine de son « bonheur » pour une histoire de libre-arbitre, c'est jouer les ambassadeurs de sa propre secte, celle qui étudie jour après jour l'approximation scientifique comme autant de certitudes et les lois politico-sociales qui équilibrent les flux de l'harmonie intérieure. Les études consacrent une sensation d'intelligence, une assise apparente solide et l'aspect formel le sentiment d'appartenir à une caste d'individus intégrés. Un rien de citations sybillines et quelques idées historiques pour pouvoir se soustraire de toute discussion sensée sans le savoir et n'être plus que la marionnette d'une matrice ventriloque. Voilà une armée de citoyens libres, prête à expliquer son émulsion bénéfique. Prête à dispenser la bonne parole et la lumière. Prête à dicter son savoir pour ramener ou détruire tous ceux qui sont perdus. Prête à se convaincre par procuration...


    Mais cette secte-là, personne n'est assez fou pour y croire vraiment. Elle n'existe que par la dévotion que chacun affecte, simplement parce que c'est le plus paresseux des compromis. A chaque responsabilité sa délégation, à chaque idéal sa substitution. Elle n'existe pas parce que ses adeptes la portent, mais parce qu'ils s'y noient.


    Sortir délibérément Résordine de son « bonheur », c'est choisir de défendre toutes ces valeurs qui ne s'appliquent pas, substituer la résignation à son illusion. Et au-delà de toute implication théorique, cela signifie s'occuper d'elle...

    Jouer le jeu ou prendre le temps de déconstruire la princesse écrasante mais malheureuse qui existe toujours en elle sera long. Et personne n'est aussi altruiste. Personne ne dépense jamais sa vie pour un autre, mais on aime tous mettre une auréole sur son égoïsme.


    Acte 3

    Scène 1


    Flopet est si confortablement résigné que ses réflections sont soudain interrompues, au bout de deux ans et une hypothèque, par un retour de sa femme en pleurs à la maison.


    Deux ans à peine! après la renaissance de Résordine, le gourou et toute sa clique de parcmètres électroluminescents décident de partir en méditation quelque part dans un repaire reculé. Les princes et les princesses abandonnés versent une larme et un dernier acompte pour faciliter l'accession de toute la guirlande de sagesse au Nirvana des îles tropicales et plus personne n'entend parler d'eux.


    Scène 2


    Le naturel ne revient pas au galop, il est simplement dans les loges, pour entrer en scène dès que le spectacle est fini. Flopet regarde dans le vide pendant que sa femme lui reproche, et constate que pour les autres, c'est un verbe transitif.

    Jusqu'alors, Flopet s'imaginait une personnalité en attendant de la confronter à la réalité, une personnalité pleine de principes jamais sortis de leur emballage académique ou trouvés dans les livres. Une personnalité riche et complexe parce qu'elle n'est pas limitée par la cohérence de son existence.

    Le retour violent d'un élément incontrôlable le mit face à quelque chose de terrifiant: les responsabilités! On ne peut pas toujours s'en passer. ... Aux abois, acculé, il comprit tout à coup que cette femme qui gesticulait, hurlait, se débattait contre l'implaccable vilénie roturière, cette princesse épousée par inertie, la mère de ses deux aspirants au suicide préférait une vie de rêve à son rêve de vie.

    Pour la première fois, il ressentit l'immense force d'aider son prochain, le besoin de gagner son salut par la générosité.... Il faut retrouver cet enculé de gourou!


    Scène 3


    Ce genre de claque-la-thune ne part jamais sans laisser une grosse trace fluorescente derrière lui, trop soucieux d'être remarqué pour sa modestie. Quelques questions à l'ancien voisinage du gardien de phare et voilà notre spectre endurci mordant à pleine dents dans un club-sandwich de la Paradisiac Airways.

    Aéroport, taxi, hôtel de luxe: l'être de lumière est là, allongé sur un transatlantique au bord de la piscine. Il ne luit guère plus que par l'huile de massage soigneusement étalée sur ses bourrelets de messie.

    Flopet s'approhe, un peu hésitant et tousse pour attirer son attention:

    • Qu'est-ce que vous voulez? Grogna le tas de sagesse.

    • Vous ne savez pas qui je suis? Hasarda Flopet.

    • Non et qu'est-ce que vous voulez que ça me foute!? Maurice, tu peux t'occuper du monsieur?

    • Je suis le mari de Résordine...

    • De qui?

    Une seconde d'hésitation mais il a compris.

    • Et qu'est-ce que vous voulez?

    • Revenez, s'il vous plaît.

    • Hein!?

    • Revenez, elle a besoin de vous.

    • Mon cul oui, amenez-là ici, si vous voulez, on verra ce qu'on peut faire avec ça, dit-il l'air concupiscent.

    Flopet baissa les yeux comme pour chercher en lui ce qui l'avait fait venir.

    • Revenez c'est un ordre! Dit-il plus fermement.

    • Un ordre!? Vous vous foutez de ma gueule? Ricana le vers luisant.

    • Revenez ou je vous casse la gueule!

    • Maurice! Occupe-toi du monsieur!


    Maurice est déjà très occupé avec Samantha, et ce gringalet debout devant le lingot ne fera sûrement rien...


    • Depuis que vous êtes parti, elle n'est plus la même... continua Flopet.

    • Et qu'est-ce que vous voulez que ça me foute? Je suis pas sa nourrice!

    • ...

    • Je peux pas passer toute ma vie à m'occuper de ces paumés, c'est votre boulot maintenant, mon vieux!

    • Je suis apparemment moins qualifié que vous pour ce travail... Et puis personne ne vous demande d'être bénévole!

    • Vous croyez vraiment que j'ai besoin de quoi que ce soit!? Allez foutez-moi le camp! MAURICE!

    • Je vais vous casser la gueule!

    Là, Flopet sembla convaincant, le gros se remonta sur son transat et regarda l'homme qui se tenait debout à ses côtés.

    • Bon, écoutez...dit-il, vous m'avez l'air de quelqu'un de réfléchi et posé... comment vous appelez vous?

    • Flopet.

    • ... Flopet, je comprends votre tourment. La vie à deux n'est jamais simple. C'est un combat de tous les jours, mais un combat qui apporte tellement... Vous avez eu le courage de venir jusqu'ici, et c'est ce qui prouve que vous pouvez affronter les problèmes, vous avez tout ce qu'il faut en vous pour rendre votre femme heureuse.

    • Euh...

    • En venant vers moi, votre femme vous a lancé un appel à l'aide, elle voulait attirer votre attention. Vous avez perdu assez de temps comme ça, allez la rejoindre parce que vous méritez ce bonheur!

    Flopet regarda à nouveau en bas, souffla et affirma:

    • ... Vous êtes sûrement malin pour deux mais ce n'est pas moi qui en ai besoin. Enfilez votre pantalon, on rentre!

    • Vous m'avez l'air bien assuré tout à coup!

    • C'est pas comme si votre honnêteté pesait dans la balance, vous avez trois secondes pour assumer vos conneries. Trois... deux...


    Acte Final


    Trois jours plus tard, Résordine reçoit un appel et ses yeux s'illuminent. Sans un au-revoir à ses enfants, sans un au-revoir à son mari, elle attrape son sac et court à sa voiture. Elle est heureuse, quoi que cela veuille dire. Les deux adolescents se regardent quelques instants interdits et se remettent à faire semblant de travailler sans un mot. Flopet est assis à sa table de construction, il masse les phalanges de sa main droite dont le bandage absorbe la peinture encore liquide du B-51.

    Un léger sourire s'esquisse sur ses lèvres.

    Il est heureux, quoi que ça veuille dire.


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    Gentleman

    I


    La rue aujourd'hui est bondée d'un bout à l'autre. Les grèves et les manifestations paralysent le pays. Dans une heure, tout sera fini, Zaïre Bébéo aura enfin réussi à acheter son paquet de cigarettes. Il fume pour arrêter de manger. Un passant l'interpelle: "Attention!", mais trop préoccupé par la circulation venant de tous côtés, il s'est cogné contre un pylône électrique.

    Un peu sonné, c'est en jurant qu'il passe devant la mendiante qui fait la manche devant son bureau de tabac et c'est en jurant qu'il lui répond d'aller se faire foutre. Mais à peine en face du présentoir à tubes cancérigènes, il s'en veut déjà d'avoir réagi de cette façon. Cette femme qu'il croise deux fois par semaine semble plutôt timide et à la réflexion, les mots qu'elle a prononcés ressemblaient davantage à "que vous est-il arrivé?" qu'à "file-moi un pièce sale bourge!". En d'autres circonstances, il lui aurait peut-être même fait son numéro de charme. C'est vrai, à part quelques mèches de cheveux emmêlées et son jogging violet, c'est une très belle femme. Un peu mélancolique certes, mais qui ne le serait pas à rester pendant des mois dans la rue?

    "Je me demande bien comment une femme aussi jolie à pu en arriver là..."

    Notons que si cette mendiante avait été laide, il ne se serait peut-être pas posé la question. Dans le cœur des hommes, toutes les princesses sont jolies. Dans le coeur des femmes aussi d'ailleurs. C'est un peu cette mascarade de l'apparence qui complique les relations, mais c'est une autre histoire...

    Refusant de rester sur une erreur, Zaïre, en sortant du tabac, se dirige vers celle qu'il a injuriée.

    - Bonjour, Mademoiselle, dit-il en s'inclinant respectueusement. Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour me faire pardonner?

    - Je ...

    Mais à la vérité, elle ne savait que répondre. Son naturel timide l'empêchait d'éprouver la moindre rancune.

    - Bien sûr, vous ne comprenez pas, continua-t-il. Ne soyez pas impressionnée, je vous en prie. Je me suis conduit avec vous comme un rustre et je voudrais réparer ça. Que diriez-vous d'un gros bouquet de fleurs? Ou d'une tarte aux groseilles?

    - Monsieur, je... Oubliez ça, ce n'est pas grave. Je ne mérite plus d'être traitée avec respect.

    - Que dîtes-vous!? Une femme de votre allure. Peut-être par le passé avez-vous connu quelques déboires mais vous devez garder la tête haute. Venez... Un chocolat chaud vous fera du bien.


    Il la prit par le bras et l'entraîna dans un café. Quand elle se fut assise, il commanda deux chocolats au garçon pendant qu'à l'extérieur, la neige se mettait à tomber. Natasha, car tel était son nom, trouva juste le courage de dire "s'il vous plaît ne me demandez rien", après quoi elle s'empressa de baisser les yeux, les joues à peine plus rosies par la gêne que par le froid qu'il faisait au dehors. "Très bien", acquiesça Zaïre d'un hochement de tête compréhensif.


    Jusqu'à ce que les tasses soient vides, il regarda Natasha jouer avec sa cuillère et regarder le trottoir d'en face d'un air désabusé. "Je vais devoir retourner là-bas, lança-t-elle négligemment. Retourner vendre ces journaux sous la neige pour avoir l'impression de faire quelque chose...". Elle soupira puis regarda Zaïre dans les yeux et reprit. "Merci, Monsieur. A bientôt peut-être.". Et elle s'en fut d'un coup d'aile.


    II


    Zaïre rentra dans sa garçonnière, embrassa la photo de son épouse qui avait pris deux mois "pour réfléchir" et s'assit dans son fauteuil. Il fut bientôt rejoint par une jeune fille d'une vingtaine d'années qui ne pouvait pas être sa fille. Elle s'approcha par derrière et cacha ses yeux pour jouer. Avec un petit sourire forcé, il tira la jeune fille jusqu'à lui et la serra dans ses bras.

    - Julie! Ma Chérie, comment vas-tu aujourd'hui?

    - Je me suis ennuyée sans toi! Quand est-ce que tu vas arrêter de bosser qu'on puisse enfin se câliner toute la journée? fit-elle, boudeuse.

    - Quand tes parents nous feront cadeau de la dot, ma puce.

    - La dot?! Qu'est-ce que c'est?

    - C'est une blague. Avant quand les jeunes filles se mariaient, les parents donnaient une somme d'argent avec elles. Mais c'est un peu dépassé maintenant...

    - Embrasse-moi au lieu de donner des leçons d'histoire!


    Les heures qui suivirent se passèrent sous le dôme brûlant d'une couette en plumes. Pourtant, au sortir de ces activités animales, Zaïre était toujours préoccupé par Natasha. Il l'avait laissée dans le froid après un échantillon de confort. A bien y réfléchir, c'était abject. Il aurait voulu faire plus, mais quoi?

    - Julie, tu m'as bien dit que tu t'ennuyais? J'ai pensé à quelque chose.

    - A quoi? demanda-t-elle.

    - Que dirais-tu si une amie à moi venait s'installer ici quelques temps?

    Là-dessus, Julie s'énerva d'un seul coup.

    - J'ai dit que je m'ennuyais de toi! Qu'est-ce que tu veux que je fasse avec une de tes amies, des partouses?! Ce sera encore pire que quand tu n'es pas là, parce qu'on ne sera plus du tout seuls tous les deux, alors non! Mais fais comme tu veux, ajouta-t-elle malhonnête.

    - Bon, oublions cela. Excuse-moi. Je n'avais pas envisagé les choses sous cet angle, tu as raison, je préfère t'avoir pour moi tout seul.

    Pourtant, il resta sur une impression amère et l'embrassa dans le cou pour cacher son visage.


    III


    Quelques jours plus tard, Julie remit ça sur le tapis.

    - Qui c'était cette fille?

    - Qui?

    - La fille que tu voulais amener ici? Une ex à toi?

    - Non, c'est... une amie du bureau qui... a quelques soucis en ce moment chez elle.

    - Elle est belle?

    - Oui. Non. Je n'en sais rien... Pourquoi tu me parles de ça maintenant?

    - Parce que tu as cédé bien trop facilement, c'est bizarre. Tu couches avec elle?

    - Mais non, voyons. Je ne couche qu'avec une seule femme...

    - Qui?

    - Réfléchis, lança-t-il avec un sourire.

    Elle hésita quelques secondes et puis se mit à rire.

    - Excuse-moi, dit-elle en riant toujours, je suis partie un peu vite dans la crise de jalousie, non?

    - Je le prends bien, rassura-t-il. Viens me faire un bisou, gamine.

    - D'accord mais promets-moi qu'il n'y a rien entre cette fille et toi.

    - Promis.


    Ils s'embrassèrent et Julie partit dans la chambre s'habiller. Elle revint pourtant quelques minutes plus tard, anxieuse.

    - Dans trois jours, je vais retourner chez mes parents, tu ne vas pas la faire venir ici, hein?

    - Bien sûr que non, j'ai vu dans quelle état ça te mettait rien que d'en énoncer l'idée.

    - Tu en es bien sûr? Parce que je sais comment ça se passe ce genre de chose, elle va tourner dans ton appartement en sous-vêtements, être pleine de petites attentions et puis tu vas lui sauter dessus exactement comme elle l'aura voulu...

    - Comment tu sais ça, toi? Et puis elle n'est pas comme ça. Et si je ne veux pas, je ne lui sauterai pas dessus, je suis encore capable de me contrôler, non?!

    - Essaie de te rappeler comment tu t'es contrôlé le jour où est sorti ensemble. Mes copains étaient à peine partis que tu m'as jetée dans un coin pour me prendre!

    - Mais là, j'en avais envie!

    - Moi aussi, mais je crois que si je ne t'avais pas harcelé de clins d'œil et soulever un peu ma jupe devant ton nez, on y serait encore... Je ne mets pas ta fidélité en doute, mais fais attention.

     

    Ils terminèrent cette discussion comme ils l'avaient commencée. Zaïre décida d'oublier cette histoire et Julie redoutait son départ comme une chute inévitable.


    IV


    Le jour en question arriva. Julie rentra chez elle. Et Zaïre se retrouva seul dans son grand appartement. Juste avant de partir, elle avait dit "surtout, pas de bêtises, hein!?", mais il avait balayé cette remarque certain que cette gamine de vingt ans n'y connaissait rien.

    Il reprit pourtant ses habitudes de célibataire et sans personne pour l'empêcher de fumer, il retourna acheter ses cigarettes au bureau du coin de la rue.

    Il ne tarda pas à retrouver Natasha, plus mélancolique et abattue que jamais. L'hiver battait désormais son plein et la vie dans la rue était devenue insupportable.

    Ce fut plus fort que lui, il aborda Natasha.

    - Bonjour, Natasha.

    - Bonjour, Monsieur.

    - Je m'appelle Zaïre.

    - Bonjour Zaïre. Comment allez-vous?

    - Bien, bien, mais ce serait plutôt à moi de vous poser la question. Natasha, qu'est-ce que vous faîtes encore dehors par ce temps?

    - J'aime la neige, ironisa-t-elle - mais elle se ressaisit vite. Je n'ai nulle part où aller.

    - Pourquoi n'allez-vous pas dans un de ces foyers en attendant de retrouver un logement?

    - En fait... c'est surtout réservé aux hommes, ce genre de foyer... murmura Natasha troublée.

    - Mais non, il doit s'agir d'une erreur, vous avez certainement droit à une place!

    - Oui... Peut-être...

    Mais Zaïre comprit soudain son manque de discernement.

    - Je suis stupide, excusez-moi. J'ai l'impression de n'être jamais bien adroit quand nous nous rencontrons.

    - Vous ne pouviez pas savoir...

    - J'aurais dû comprendre, pardonnez-moi. Natasha, reprit-il sur un ton affirmé, je serais honoré que vous veniez passer les semaines à venir chez moi. Vous aurez entière liberté de vous installer. Je ne serais là que le soir et vous ferez ce qui vous chante, je ne vous dérangerais pas. Je vous en prie, acceptez. C'est un peu soudain comme proposition mais je refuse de vous laisser une fois de plus dans ce froid glacial.

    - Mais votre femme?

    - Elle est... morte il y a quelques années.

    - Je suis désolée.

    - Pour vous faire pardonner, acceptez!

    - Enfin, Monsieur... Zaïre, je ne vous connais pas. Comment expliquerez-vous à vos voisins que j'habite chez-vous?

    - C'est sans importance, réfléchissez bien Natasha, c'est une proposition intéressante : vous aurez la télévision, du chauffage, un lit bien à vous et une salle de bain avec une baignoire. Vous aurez tout le temps de chercher une nouvelle situation. S'il vous plaît, acceptez!


    Le fait que Zaïre ait été un homme marié était rassurant, c'est vrai, mais pas assez pour s'empêtrer dans une proposition aussi inattendue venant d'un étranger. Pourtant l'argument de la salle de bain avait pesé... Depuis combien de jours n'avait-elle pas pris de bain? Depuis combien de jours n'avait-elle pas coiffé ses cheveux? Bien sûr, elle ne se trouvaient pas à la hauteur de tout ce confort mais l'homme qui s'exaltait devant elle semblait si heureux de l'inviter qu'elle refusa de le contrarier.

    - D'accord, minauda-t-elle.

    - Donnez-moi vos affaires, Natasha, et suivez-moi.

    V


    Ils marchèrent jusqu'à la porte d'entrée, montèrent les quatre étages et se retrouvèrent dans l'appartement de Zaïre.

    - Bienvenue chez vous. Ici, vous avez les toilettes, là la salle de bain et enfin, votre chambre. Je vais ranger quelques affaires pour vous faire de la place, pendant ce temps, allez prendre un bain. Demain, nous irons vous acheter une tenue correcte pour vos entretiens d'embauche.

    Un tel enthousiasme ravit Natasha qui se croyait dans un conte de fée. Elle prit son sac et marcha discrètement jusqu'à la salle de bain.

    - N'ayez pas peur, Natasha, vous êtes ici chez vous.

    - Merci, Zaïre.


    Zaïre entassa sous son plan de travail toutes les babioles qui traînaient dans sa chambre d'ami et se mit à préparer le repas. Pendant ce temps, Natasha se regardait dans la glace en écoutant le glouglou de l'eau dans la mousse. Elle n'y croyait toujours pas et quand elle croisa ses yeux dans la glace, elle ne pu contenir un sourire. Une fois sûre que la porte était bien fermée, elle se déshabilla et s'engouffra avec volupté dans l'eau chaude.


    Une heure plus tard, elle sortit enfin dans un nuage de vapeur et s'installa à la table à manger sur l'invitation de Zaïre.

    - Voilà, je vous ai préparé une salade lyonnaise mais il n'y avait plus de croûtons à l'ail, je les ai remplacés par des natures, et puis il y a une entrecôte grillée dans la poêle. Je dois vous laisser, j'ai un peu de retard dans mon travail. Régalez-vous, prenez votre temps, nous nous verrons tout à l'heure. Le sel est dans ce placard. A plus tard.

    Il n'y avait rien à dire, elle le remercia d'un signe de tête et dévora son dîner.


    En réalité, la sauce de salade était trop forte et la viande froide quand elle l'entama mais elle ne s'en rendit pas compte. Elle oubliait presque que la rue l'attendait de l'autre côté de la porte au moindre changement d'humeur de son bienfaiteur.


    VI


    Les jours qui suivirent lui firent complètement oublier. Après son repas, il lui montra son lit, la salua d'un "bonsoir" et retourna à son travail. Ensuite, ils ne se croisèrent pratiquement pas. Il avait laissé le deuxième jour un double des clefs sur la table avec un peu d'argent et un petit mot gentil. Après quatre jours, elle avait déjà obtenu un rendez-vous dix jours plus tard pour un emploi dans un fast-food. Ce n'était pas le métier de ses rêves, mais il faut bien commencer quelque part. Elle faisait de son mieux pour que tout soit impeccable quand Zaïre rentrait le soir. Elle dormait le plus souvent mais il lui semblait que c'était le moindre des remerciements. Au bout d'une semaine, elle commença à se détendre, à oublier des cheveux sur l'évier de la salle de bain. La porte de sa chambre restait parfois ouverte quand elle s'écroulait sur son lit.


    Zaïre quand à lui était ravi qu'elle se sente enfin chez elle. Elle avait retrouvé assez d'énergie pour se réinsérer et maintenant qu'elle prenait soin d'elle, elle était tout simplement magnifique. Il jouait, quand il rentrait tard, à épier par la porte entrebâillée et à déchiffrer son écriture rapide pour lui dire qu'elle avait fait la cuisine. Il avait craint qu'elle ne se sente trop obligée et reste prostrée sans rien faire mais à l'évidence, elle avait décidé de reprendre du poil de la bête et ne passait pas son temps en salamalecs.


    VII


    Le jour de l'entretien arriva. Natasha se leva une heure avant Zaïre pour se préparer. Elle tournait en rond dans l'appartement cherchant des choses inutiles pour se calmer. Avec tout ce remue-ménage, Zaïre passa sa dernière heure de sommeil à se retourner, la tête sous l'oreiller. Quand il émergea enfin, ce fut dans une forme mitigée. "Qu'elle réussisse son entretien et qu'elle fiche le camp bon Dieu!". Ils avaient convenu de ça. Natasha avait insisté pour faire comprendre qu'elle partirait sitôt sa situation rétablie. Plus pour se convaincre elle-même d'ailleurs. Avec un salaire, tout n'arrive pas tout seul, mais c'est déjà plus facile.

    A peine Zaïre était-il sorti de sa chambre qu'il oublia toutes ses pensées médiocres. Natasha était resplendissante! Le trac mettait sur son visage une fraîcheur enfantine contredite par sa silhouette épanouie, encore un peu maigre mais plus belle encore de promesses.

    Elle avait encore l'air de chercher quelque chose quand elle s'aperçut que Zaïre la regardait.

    - Ca ne va pas! Je ne suis pas assez pomponnée! Et...

    Mais Zaïre s'était perdu dans le mouvement de ses lèvres un rien surlignées par du rouge.

    - Non, vous êtes parfaite, Natasha. Si jamais c'est un homme, il succombera sans aucun doute...

    - Et si c'est une femme! coupa-t-elle.

    - Si c'est une femme, elle sera séduite par votre candeur, ma chère. N'en faîtes pas trop, ce n'est qu'un emploi dans un fast-food. Soyez calme et tout ira bien.

    - Oh, merci Zaïre, merci, merci. Je ne sais pas comment vous remercier...

    - Redevenez vous-même!

    - Oui, j'essaierai. Merci, merci, à tout à l'heure.


    Il la regarda partir avec une drôle d'émotion. Comme s'il appréhendait sa réussite. Elle ne serait plus là. A part deux ou trois coups de fils, Julie ne l'avait pas retenu très longtemps, il s'était laissé bercé par son rôle de protecteur, et la fin de cette situation lui faisait un effet indescriptible. "Peut-être que Julie avait raison finalement... Non! Natasha n'a jamais rien fait! C'est seulement une très belle femme reconnaissante, rien d'autre... Pas de bêtises! Et puis Julie revient dans deux semaines...".

    Il dû interrompre ses divagations pour retrouver le chemin de son travail avant d'être définitivement en retard.


    VIII


    Quand il rentra chez lui ce soir là, Natasha était dans la cuisine. Elle s'affairait comme une abeille, tant et si bien qu'elle ne l'entendit pas plus que le matin. Elle avait l'air aux anges.

    - Zaïre! J'ai réussi, exulta-t-elle. J'ai signé ce matin pour un mois d'essai. Je serai tellement efficace qu'ils vont me supplier de rester et dans un an quand j'aurai un peu d'argent de côté, je reprendrai mes études d'économie. Merci, merci, merci.

    Comme elle disait ces mots, elle s'était jetée sur Zaïre et l'avait embrassé sur la joue. Il la serra poliment contre lui, la félicita en retour et sentit qu'elle lui caressait les fesses.

    - Natasha, que faîtes-vous? demanda-t-il surpris.

    - Pardon, vous n'en avez pas envie?

    - Je ne sais pas... J'ai peur que vous fassiez une bêtise parce que vous êtes enthousiaste. Réfléchissez-y. Et puis je rentre du travail, je ne suis pas présentable! prétexta-t-il avec humour.

    Et il se dirigea calmement vers la salle de bain où il s'enferma.


    "Je ne peux pas faire ça, elle va le regretter, c'est sûr... En même temps, je ne peux pas l'en empêcher et ce serait mentir que de dire que je n'en ai pas envie... Je ne sais pas, et autres tergiversations...".


    Dix minutes plus tard, il sortit nu comme un vers de la salle de bain, gréé à tout rompre. Elle le regarda avec un sourire amusé et complice. Il baissait le regard comme un enfant qu'on prend en flagrant délit et avoua entre gène et désir "voilà, je suis propre maintenant".


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