• Voilà, nous y sommes. Arshet Pletan est certainement le "livre" le plus personnel des quatre. C'est un roman, certes, mais c'est un journal, une progression, tant au niveau de la trame que du style du narrateur. La version avec photos est dispo sur demande. Bonne lecture. En plus il y a plein de trucs d'actualité dedans!!!

    Par contre, je pense le réécrire un peu plus tard. Ceux qui ont déjà lu un peu le reste ont du le voir, je suis un peu trop  dilettante pour écrire quelque chose de vraiment abouti, il reste des fautes d'orthographe, quelques erreurs syntaxiques, et j'ai peur qu'à certains moments on ne sente pas le plaisir de développer chaque phrase, ce genre de choses.

    Bonne lecture!

    Salut m'sieur-dames!

    Nico


    2 commentaires
  •  

    Arshet Pletan

    Dernier Journal d'un espion...


    votre commentaire
  •  

    C'est presque un stéréotype, j'ai mal au crâne. Ca commence sur une gueule de bois. J'habite cette pièce vide de solitaire des bons et des mauvais polars. La première question qui vient, c'est «habiter c'est quoi?» et le seul synonyme qui y répond c'est «être»: je suis dans cette pièce.

    Il y a deux choses plus ou moins gérées par la main de l'Homme, la porte et les livres. Ils servent pour un de ces métiers qui n'attendent ni famille ni confort, un métier feu-de-paille. Il démarre quand il fait un peu trop chaud et finit en laissant quelques cendres.

    La bibliothèque est le seul contact que je peux avoir avec mon étincelle, mais je vais arrêter là les métaphores des années quarante...


    Il y a quelques années, la Chine s'est éveillée, cinq mille ans pour être exact. Il y a quelques années, la Chine s'est réveillée, bien décidée à empoigner le monde par les bourses et à cette époque, les bourses les plus visibles étaient celles de Sam.


    Une des clauses tacites du plan Marshall était que la reconstruction industrielle des pays signataires impliquait la défense catégorique des USA. En langage géopolitique, ça veut dire qu'en échange des billets verts, toute l'Europe s'inféodait.

    Le ministre de la défense américaine a sur son bureau une urne avec le drapeau américain et quand la suprématie est menacée, il pioche le pays qui s'occupera du problème.

    *

    Je m'appelle Robert Mc Bob et ce nom ne sert jamais. Mon père était marin écossais, mort après une partie de jambes-en-l'air avec une suisse de 16 ans en fugue de chez elle, ma mère.

    La saillie s'est faîte sur de la paille française.


    Ma mère m'a gardé juste le temps de me laisser sortir et puis je suis arrivé dans cette pièce, plus tard.


    Le haut de la hiérarchie écrit «danger» sur un post-it et le colle sur le bureau de l'adjoint qui fait une note dont les subalternes débattent avant d'envoyer un dossier à mon supérieur qui le résume sur un post-it. Je le trouve collé sur la deuxième de couverture du livre de la bibliothèque dont le titre commence par la lettre codée par la date du jour. Négligence ou syndicalisme, ce système m'offre au moins deux jours de congé par mois, c'est-à-dire deux jours ou je ne fais rien de plus sans même attendre quelque chose.

    Inlassablement, j'ouvre le même livre à la même date sans jamais avoir envie d'en faire autre usage que celui d'étui à post-it. Ils sont aussi fonctionnels et intéressants que la porte.


    6h, j'ouvre une jolie version illustrée de «Bambi, un faon pleurnichard», peut-être jolie. Rien.

    Machinalement, je le remets à sa place dans l'étagère avant de commencer une autre journée de simulation. Je façonne mes réflexes.


    6h, j'ouvre «Casanova au Congo». Rien. Et le lendemain, «Dunes de beurres» est toujours aussi vide.

    Ce mois-ci se résume à vingt-six livres vides et trente et une journées tout aussi vides.


    Aujourd'hui j'aurais dû sentir quelque chose de spécial mais la routine ne sent pas les changements. Encore le dandy à jabot qui danse le menuet tout de fil d'or vêtu. L'ouvrir vite pour oublier son sourire narquois.


    La première phrase est toujours la même, «danger», ce qui veut dire "pas de questions" - et j'ai signé pour ça - et puis «Varanasi Graine de Misère». «Varanasi» pour le premier contact et «Graine de Misère» pour la date, c'est dans quatre jours.

    Il va falloir jouer les touristes pressés. Visa pour l'Inde, baluchon et billet d'avion pour Delhi. Ce code est minable, peut-être trop pour être remis en cause.

    «Eric le pédéraste»


    Il est l'heure de partir et je ne sais toujours rien. Il y a sur Terre des villes qui sont plus petites que nos aéroports, on s'y déplace en voiture de golf. Ma correspondance est à deux jours de marche, porte 45037. Les hôtesses ont les plus fermes des mollets et les plus vilains des costumes.

    Avec l'industrialisation massive, nombre de choses se sont vues devenir identiques au point où l'on ne sait plus si on se rapproche du but si on ne garde pas une attention pathologique sur les petits panneaux, en uniformes également.


    Si les boss ont décidés de faire appel à moi, c'est que les choses risquent de prendre un peu de temps. Il y a quelques serviettes comme moi dans chaque service, qui ne savent rien faire sans un ordre de quelqu'un. Tout le monde y trouve son compte pour longtemps, on occupe ses jours dans la même pièce en attendant un ordre de gens qu'on ne connaît pas et les rechercher pour rompre le contrat est une initiative qui nécessite une raison.

    On m'a ballotté à droite et à gauche jusqu'à en perdre tous les appétits. Pas une agueusie existentielle, simplement quand on est toujours accaparé par des causes extérieures, on oublie de savoir ce qu'on veut. J'ai lu ça un jour. Mes envies sont celles du monde qui m'entoure et depuis cette pièce, elles sont celles des post-it.



    «Facéties pour un tas de viande»


    Encore cette atmosphère moite en sortant de l'air conditionné de l'avion, un mélange de moisissure rance et de transpiration. Tout est décoré de ces carreaux de salle de bain aux couleurs «mauvais goût». Les files d'attente, les formalités, je suis dehors.

    L'avantage de vivre seul, c'est qu'on a la sensation d'être trop dès qu'on est deux, un ascenseur ou le hall de l'aéroport de Delhi procure la même impression de promiscuité. Dans cet ascenseur là, on a simplement mis 200 personnes au mètre carré qui grouillent, crient, parlent, se parlent et avancent de leur démarche nonchalante sur du béton défoncé bondé de détritus.

    Aujourd'hui, il fait quarante-deux degrés. La sueur trop timide reste sur ses pores d'attache.

    Il me faut être anonyme le plus possible. N'échanger que des sourires d'incompréhension et les taxis ici comme ailleurs se croient obligés de faire la conversation. Quand je sais ce que me rapporte ce boulot de surveillant des deuxièmes de couverture, j'ai un peu mal au cœur en prenant la place assise d'un vieil indien, mais reste de colonialisme ou civilisation accueillante, ils ne laissent jamais un étranger debout. Pour moi, c'est pareil, debout, le plafond est trop bas et assis le fauteuil de devant est trop près. Compte tenu de l'état des routes, de la lenteur des trains et des épreuves de force pour acheter des billets, deux jours d'avance ne seront pas de trop.


    * Comme Harry Potter, à ma naissance, on a tracé un $ sur mon front...


    Devant le fait accompli, je me demande quand même pourquoi je suis là. Qu'est ce qui a bien pu se passer dans la tête du piocheur pour qu'on m'envoie en Inde?

    La dernière fois, j'avais dû substituer des résultats électoraux en Ukraine pour faire élire un président pro-américain, mais à cette distance de l'URSS ça n'avait pas suffit. Heureusement, dans la tête des gens, dès qu'on dit «démocratie» toute réflexion s'envole: les médias s'en sont mêlés et l'empoisonnement par le KGB du poulain Marshall, qui aurait pu laisser l'Ukraine sous l'emprise soviétique, est devenu une preuve de son «intégrité démocratique dans l'émancipation progressive des pays satellites du Kominform» et sitôt sur pieds, il a assuré sa présidence de paille sous les hourras des citoyens en liesse. Les gens diabolisent à ce point les régimes autoritaires qu'ils cèdent toutes leurs libertés aux autorités qui les en défendent... Et là, rien. Je lis dans les pensées du piocheur comme dans un livre ouvert qui n'a pas de post-it.

    Le bus se remplit comme un tonneau des Danaïdes et la profondeur des cratères donne au trajet des airs de voyage à dos de kangourou. L'air pollué, les yeux qui pleurent, la poussière et les klaxons, c'est une bonne entrée en matière. Descente, marche, esquive, le premier gars d'une longue série qui par pure gentillesse me guide jusqu'à l'agence de voyage de son cousin.

    En Europe l'anonymat a du bon, surtout pour mon boulot. Personne ne demande rien, chacun sa merde et son soliloque dans un confessionnal. En Asie, c'en est insupportable d'intérêt et plus particulièrement en Inde où tout le monde parle anglais.

    La meilleure façon d'être discret, c'est avec les basses castes. Paradoxalement, ma présence en troisième classe fera parler beaucoup de monde mais le racisme des castes Hindoues et celui des castes financières sont si forts que la nouvelle ne sortira jamais du cercle des huit cent millions d'indiens qui ne représentent aucun danger. Bousculades en perspectives donc. Etant donné le tumulte aux guichets, on ne s'étonne pas du tumulte à l'intérieur des wagons, la largeur de la file à l'Indienne est simplement passée dans les étages sur les couchettes en planches. La locomotive patine une demi-heure avant de faire bouger ses trente fourgons remplis à ras-bord et le train s'en va pour vingt minutes, jusqu'à la gare suivante alors que la queue est toujours à la gare de départ.

    Je dois faire attention aux détails. C'est mon boulot.

    Pour lutter contre les somnolences intempestives dues au son hypnotique des roues sur les rails, j'essaie d'imaginer ce que mangent mes compagnons de voyage en fonction du son de leurs pets mais le cri strident des vendeurs ambulants qui me réveillent toutes les six minutes prouvent que la technique est perfectible. Le paysage défile, plat, vert et rouge, anamorphosé par la chaleur de l'air. Des champs, des saris qui cueillent, des chiens et des ordures, des hectares de riz et de rien, dis bonjour au Taj Mahal, etc. Et puis on approche des vingt heures annoncées, presque à mi-chemin donc.

    «Horticulture pour dépressifs»


    A la sortie de la gare, quelqu'un doit m'attendre. Je ne le connais pas, il ne me connaît pas et pourtant on va se reconnaître parce que nos cerveaux n'utilisent plus des pensées mais des protocoles.

    La patience sert dans les trains indiens ou ne sert jamais, encore dix heures et Varanasi approche. Il fait chaud, humide et la gare est bondée plus encore qu'à Delhi, avec le petit plus de la ville sainte colorée et bruyante.

    Avantages et inconvénients d'une taille raisonnable, je vois exactement là où je veux aller pendant que tous les gamins me font les poches sous la couche épaisses des cheveux noirs de la foule. Quand elles sont vides, je remets quelques roupies, c'est le jeu, et puis un dernier qui a l'impression d'être discret y glisse un papier et détale: «10, 5, le feu, l'eau et la terre». Le 10 juin à cinq heures. Le feu, c'est le Crematory Gath, l'eau, le Gange et la terre, la plage d'en face. Pas de crampe cérébrale dans les hautes sphères pour ce qui est des codes secrets... Encore 3 jours à ne pas faire semblant d'être un touriste qui perd son temps dans les rues avant d'entamer...d'entamer quoi!?

    10, enfin. Les rues désertes où quelques mendiants sont endormis, la fraîcheur du matin - vingt-cinq degrés - et les canotiers qui attendent déjà leurs touristes. On s'écarte de la berge. A la sueur des rames, la barque fait des zigzags dans les halètements asthmatiques du fumeurs de ganja. Vers le milieu du fleuve, quelques sachets en plastique dépassent de l'eau...

    Une demi-heure plus tard, les planches humides accostent sur la plage romantique qui voit la façade fluviale de la ville. Je laisse le canotier à ses occupations respiratoires et flâne un peu sur la grève.

    Quelque chose m'effleure la main et commence à tourner autour avec douceur. Pas de mouvements brusques, baisse lentement les yeux, c'est une main. Une main qui me tripote les doigts, une main poilue. En remontant le bras des yeux jusqu'à la tête, je vois un Indien moustachu qui fait des politesses de retrouvailles et cette tendresse entre garçons est la plus élémentaires des civilités, même si une certaine étroitesse d'esprit serait tentée de délencher une offensive... Après quelques palpations de ma part, on s'assoit côte à côte sur le sable devant le lever de soleil.

    - Trêves de Salamalecs, me dit-il entre deux caresses dans un anglais impeccable («stoping salamalecs»). Il va falloir être prudent, votre mission est difficile. Vous devez vous débrouiller pour rallier le Tibet, rejoindre un ami de la cause. Voilà votre nouveau passeport et quelques liquidités. Prenez votre temps pour être discret et rapide, l'enjeu est capital. Votre prochain contact se trouve dans le Yunnan, en Chine, c'est un groupe organisé qui peut vous aider à passer la frontière interne, le responsable est au courant...


    Après nos ébats de tout à l'heure, j'aurais préféré qu'il s'autodétruise dans les cinq secondes mais la technologie doit être trop coûteuse ou trop voyante.

    Petite blague martiale un rien cynique de mes supérieurs, mon nom de mission est Franck Oswald de l'Oregon. Foo. Dans un sens, c'est le nom des kamikazes japonais pendant la deuxième guerre mondiale, les Foo Fighters, dans l'autre, c'est le matricule d'un homologue anglais un peu rocambolesque, ce bon vieux James. Dans mon métier, on s'amuse bien.

    Chaque mission est une nouvelle preuve de notre abnégation. Et Dieu dit «Va mon fils!

    - Où?

    - Ne commence pas!»


    Je vais dans le Yunnan retrouver un groupe, point. Ce type au Tibet, il va m'aider, c'est tout.

    Le plus rationnel compte tenu de l'ouverture actuel des frontières du Myanmar est de prendre un avion jusqu'à Hanoi et passer la frontière chinoise en train. Dans les aéroports, les douaniers sont compétents, parlent anglais et trouvent toujours quelqu'un pour savoir quoi faire. Pour les frontières terrestres, les contrôles sont plus aléatoires et au moindre doute sur la procédure, les formalités disparaissent pour ne pas perdre la face devant un occidental. En glissant une coquille dans le formulaire d'entrée, on est sûr d'avoir un tampon qui n'atteste de rien d'autre que de la présence d'encre à la douane.


    A part ça, dans le domaine des petits plaisirs, en revenant de mon rendez-vous, le canotier qui m'a récupéré était complétement défonsé au shilum... Je ne sais pas comment il s'est débrouillé mais on s'est retrouvé à l'eau. Pas que je sois spécialement délicat mais se retrouver face à face avec un colis flottant qui contient un cadavre de femme c'est assez déstabilisant en plus d'être irrespectueux. Enfin... entre les "colis" et les flaques d'hydrocarbures, j'ai réussi à rejoindre la berge pour aller prendre une douche.

    Trois heures au guichet de la gare bondée pour trouver une vitre épaisse qui protège les lèvres à lire pour savoir qu'on s'est trompé de guichet. Quand on veut quelque chose, il faut s'affirmer. Il faut aller à Calcutta, je dois le vouloir de toutes mes forces sans état d'âme: acheter un billet de train en Asie, c'est une course de spermatozoïdes, pas de place pour les faibles! Mais j'ai du mal à combattre quand le trophée est un voyage de vingt heures couché sur des planches en face à face avec le plafond qui récupère tous les gaz plus légers et chauds que l'air. Quarante degrés, c'est le prix à payer pour ne pas respirer un oxygène issu des rectums autochtones. Toujours est-il que de guichet en coups de coude, je réussis à avoir mon papier en devanagari: voiture 16, couchette 6, quai 9.

    Le train de vingt heures arrive à vingt-et-une heure trente quai 1 avec un quart d'heure de retard et entame à vingt-deux heure un trajet de quinze heures locales, soit plus ou moins un jour.

    Chaque wagon est numéroté dans l'ordre avec des caractères bleus, le 16 est le dernier. Et puis au fur et à mesure des cinq cent mètres qui joignent le dernier wagon, je remarque des feuillets blancs numérotés dans l'autre sens. Le temps de comprendre qu'il fallait lire les feuillets blancs, le train démarre, je l'attrape au vol voiture 14 et traverse le tohu-bohu de la troisième classe. Cette vie de risque et de danger a aussi des aspects étonnamment pragmatiques et aux lumières de mes prouesses pour m'asseoir sur un siège numéroté, je vois l'avenir du monde plutôt sombre cette fois. Mais bon... Plus que vingt heures à regarder le ventilateur du plafond du train souffler l'air vers le bas.

    12/06 KOLKATA


    * Calcutta et son architecture écroulée. Le faste et la grandeur d'une métropole de colonie qui se couvre de mousse verte avant de tomber en ruine, les artères immenses chatouillées par le tramway et le métro. Un saut sur Internet, pas d'avion avant demain. Encore une bonne journée qui s'annonce...

    * Le meilleur des remèdes contre l'ennui, c'est la paresse, et quel jour est meilleur qu'un dimanche pour s'y adonner?

    * Formalités, décollage, avion, bonbon...

    * Arrivée à Bangkok. L'aéroport est plus grand et plus développé que le Lesotho. D'après les boutiques de souvenirs et les publicités, on peut apprendre qu'une partie de la population fait sa richesse en organisant des visites en bateau de croisière de la pauvreté nationale et le patrimoine s'exhibe jusqu'à l'usure. Peut-être...


    Enfin la question n'est pas là. Le staff français discute en groupe ethnique et l'avion part en retard -French Touch oblige- pour Hanoi.



    13/06 VIETNAM


    Arrivée Hanoi... Mon passeport américain m'attire des regards pas très amicaux. Il règne une tension bizarre un peu partout, une politesse hargneuse. Mon contact est de l'autre côté de la frontière... Olivier a traîné en Chine pendant son service militaire et il connaît les plans un peu douteux dont on se sert parfois. Le meilleur moyen de rentrer à Lhasa, c'est par camion depuis Deqin, à vingt kilomètres de la frontière interne. Il faudra trouver un chauffeur dans un rade et payer son inconfort pour six jours de trajet planqué sous une bâche. Rester avec le groupe sera la meilleure des couvertures pour se rapprocher de Deqin. Je dois l'intercepter le plus tôt possible dans le sud du Yunnan, circuit touristique...

    Mais pour l'heure, je suis toujours à l'aéroport d'Hanoi. Il doit y avoir une ligne ferroviaire qui relie Hanoi à Kunming.

    Impossible de communiquer, j'ai l'impression de me faire balader...

    Gare, 20h. Le train part à 21h34 et s'arrête à la frontière, la voie chinoise est inutilisable.

    Un vietnamien en uniforme de groom m'arrache mes affaires des mains, me conduit à ma couchette et se met à pleurnicher comme un enfant pour un dollar...

    Quinze heures plus tard, Lao Cai, ville frontière. Moto-taxi jusqu'à la douane. Je dois être le seul "américain".

    Premiers mecs armés.

    Formulaire recto en vietnamien, verso en idéogramme, merde... Il y a un problème! Quelque chose bloque! Bien sûr...

    Le chef de douane rapplique, l'air impassible, indéchiffrable et aboie sur le préposé. Il l'engueule ou il le félicite?

    La volonté d'être performants, de donner une image efficace et tout s'est résolu en fermant les yeux, d'un côté comme de l'autre...

    Jamais visité un pays aussi vite... 20 heures de l'aéroport à la frontière!


    votre commentaire
  •  

    14/06 CHINE


    * Chine. Propre, asceptisé. Un camion-benne ramasse les ordures accompagné par une berceuse monophonique.

    * Et maintenant, qu'est-ce que je fais? Ce n'est pas le genre d'endroit où il y a un plan de la ville... aucun que je puisse déchiffrer en tout cas.

    * Un peu pesant cette berceuse...

    * Deux heures à patauger, gare routière.

    * Un bus pour Yuan Yang au départ... coup de bol.

    * La berceuse, putain, la berceuse!

    * Départ. Bus, conduite sportive, il pleut. 15 heure, Yuan Yang, perdue dans les montagnes et la brume. Quelque part dans cette ville, Olivier et son groupe sont passés ou sont encore. Prospection.

    * Il y a des standards bien particuliers pour chaque type de touristes. Touristes français, classe moyenne... Deuxième hôtel, le gérant la joue énigmatique, il veut son pourboire, insiste, mais sa négociation est déjà une réponse: ils sont là.


    - Ni hao.

    - Ni hao, my friend.

    - On peut parler français si vous voulez.

    - Ok. Je ne pensais pas vous voir avant Kunming!

    - Trop vaste.

    - Enfin, vous voilà. Si j'ai bien compris, vous cherchez à vous rendre au Tibet?

    - C'est ça.

    - Ca ne va pas être simple, mais notre circuit passe par Deqin. Si vous n'êtes pas pressé, vous êtes le bienvenu.

    - Et pour les autres?

    - Ils sont au courant. Vous êtes Franck, un ami américain, il ne vous reste qu'à profiter de la ballade!

    - Merci.


    Voilà plusieurs années que je n'ai parlé à personne pour rien. Tous mes échanges sont plus ou moins en lien avec mon boulot mais ça peut me faire du bien de relâcher un peu la bride. Pour l'heure il ne se passe rien, je peux prendre mon temps, "profiter de la ballade" comme ça ne s'est jamais produit et aux premiers remous, agir plus vite que l'inertie des différents services chinois. Oui...


    * Manger du chien, c'est fait.



    15/06 KUNMING


    * Kunming. Mégapole ultramoderne. Aérée et encombrée... Paradoxale.

    Le groupe offre une sécurité grisante. J'ai encore du mal à m'intégrer mais je ne suis responsable de rien, j'ai du temps LIBRE! Je me suis même offert un concours de corde à sauter dans un parc...

    * Les repas sont gargantuesques et légers...


    18/06 Départ pour Dali.

    * Dali, ville dans l'apparat. Au bout du spectacle, la nature est relâchée salie ou en travaux.

    * Rivière-poubelle, humidité, eucalyptus, cyprès.

    * Chinoises raffinées par le tourisme.

    * Présentations: Olivier, mon contact. Aurélien et Sabine, un couple. Job, Aline, Bouba, Cynthia et Pédro.

    * Ici, les chiens sont soit choyés, soit mangés.

    * Un nid de post-babas cool.

    * L'air a un goût étrange.

    * Les statues de "dragon" qui créent le mythe chinois ne sont pas des affabulations, elles représentent en fait leurs chiens...

    * Les mangoustans... sous l'écorce en papier crépon, une mandarine de beurre.

    * Force tranquille, la Chine s'impose à toi par son inertie, sa constance imperturbable et au sommet, l'effervescence de la copie...

    * Pédro est taciturne... trop pour un étudiant...

    * La boue embrasse tes pieds.

    * Ce qui est difficile en chinois, ce n'est pas la langue à proprement parler... "pour trouver la source de vie, suis le chemin de la complétude" = "pour aller à la cascade prend le téléphérique (les oeufs!)".

    * L'autoroute du Chi.

    * Un singe vient de se casser la gueule, trop confiant...

    * Statues en glaise, pupilles en tétons.

     


    20/06 LIJIANG, presque identique. 2400m.

     

    * Je ne sais pas comment, mais encore une fois, une simple promenade s'est transformée en échappée dans le repaire des esprits et des écureuils. Un cimetierre secret dans la forêt... Joli...

     

    * Tout est bien reconstruit, soigné, poli... le temps rendra les pagodes de série historique.

    * En toute circonstance, accompagner la chute pour garder le contrôle.

    * Un hamac entre un cocotier et un manguier, vent tiède... je ne me lève plus...

    * Télé, météo: matin coton, après-midi ampoule...

    * Les enfants comme des souches en bois.



    23/06 Migraine du coq...


    * Une ville belle à gerber.

    * Société matriarcale, quelles femmes!

    * Comme à Kolkata, beaucoup d'autochtones "occidentaux", seules la tête et les mains dépassent encore du déguisement mais déjà les pensées vagabondent entre les achats et la télé.

    * Manque de filles débridées dont les yeux le sont encore.

    * Manger de la libellule et des larves d'abeilles frites, c'est fait.

    * Terre rouge argile.

    * Ici, TOUT est en escalier!

    * Climat aléatoire, surprenant.

    * "Enfin" malade. Des quantités astronomiques de bouse de vache, le corps est décidément plein de ressources.

    * Ma tenue n'a plus aucune tenue.

    * Je vais tuer un coq.



    24/06 Lijiang-Gorges du Saut du Tigre. Bus.


    * Mamelon de coton végétal.

    * Le capitalisme communiste a du bon, dans les douches, il y a toujours un shampoing neuf et une savonnette.

    * Apparemment, quand on conduit un bus dans la montagne, on est beaucoup plus confiant après un bon bang!

    * Une fois passée l'appréhension des nids de poules, ce qui effraie, c'est la vitesse alarmante à laquelle les véhicules se croisent au bord d'un ravin.

    * Ce Tigre en question aurait sauté 70 mètres!


    * Trek: stridulations, les pelotes basques qui servent à tout, plus de bruits d'animaux, du vent, les chevaux de montagne nous regardent, se collent à la paroi et continuent à nous croiser!

    * Un petit papillon noir vient se poser sur mon épaule.

    * La Chine, c'est avant tout l'histoire de l'eau. D'ailleurs le caractère des Han, la principale ethnie, s'écrit avec la clé de l'eau. Il pleut.

    * C'est curieux, la perspective bouge plus lentement que moi...

    * Cascade d'eau claire dans un fleuve boueux.

    * Soir, guesthouse. Dans une rivière de putréfaction, un japonais qui me sourit. Chier perd déjà ses proportions mystiques, c'est un moment convivial. Les mouches sont presque des employées.

    25


    * Vers 17h, nous sommes arrivés dans un petit bar au fin fond des gorges. Après un petit échange avec Olivier, le barman s'est retourné vers le groupe et a lancé quelque chose du genre "si vous tenez encore debout, ma petite soeur aimerait vous faire visiter son village, à quelques heures de marche d'ici...". Dans les yeux d'Olivier, il y avait quelque chose d'insistant. Tout le groupe était épuisé par la journée de marche, moi aussi, mais ce n'était pas une invitation gratuite.

    - D'accord.

    - Ok, dit Pédro.

    - Bon, dit Olivier, j'accompagnerai les paresseux en bus jusqu'à notre point de départ d'hier. Nous nous retrouverons tous demain matin pour aller à Zhongdian.

     

    Se posait la question de Pédro... Les choses se précisent. En discutant avec son ami le barman, Olivier a appris que l'armée chinoise était à la recherche d'un occidental. Il y aura eu des contrôles plus poussés à la frontière vietnamienne et ma couverture ne devait pas être tout à fait au point. Ils auraient remonté plusieurs pistes et l'une d'elle menait ici. La première guest-house sera contrôlée ce soir et la route est déjà bloquée à mi-parcours. Mais l'ami en question n'a pas l'air d'être tout blanc... Il sait qu'Olivier promène un barbouze -tout se sait!?- et lui a demandé de faire passer sa "petite soeur", qui tient une bonne place dans la hiérarchie du commerce de la marijuana.

    La petite soeur, Marlène, avait l'air espiègle, presque trop jeune pour être un "archedealer" et Pédro ne sembla pas surpris par ce qu'elle nous apprit. Corse, Services Secrets, en mission d'observation des tensions locales et spécialiste de la haute montagne. Nous avons marché jusqu'à la nuit tombée pour nous arrêter à mi-parcours, sous un porche à mules après quelques éjections glaireuses dûes à la fatigue. Quelques centaines de mètres plus bas, les militaires faisaient des tours de garde...

     


    26


    Départ 3h du matin, nuit noire. Tonnerre sans nuages. Ce soir, il fouilleront la montagne et découvriront des traces mais nous serons déjà loin et puis le barman les enverra chercher de l'autre côté. Heureusement, Pédro a su retrouver le chemin dans le noir. Peut-être que ça aurait été trop facile de marcher quatre heures dans le noir... Après deux heures de marche, Marlène a sifflé et s'est figée sur place. Pédro et moi l'avons regardée sans comprendre, mais bientôt tout a été plus clair. Un grognement sinistre à un jet de pierre devant nous. Des yeux rouges qui se détachent de la nuit, qui s'approchent doucement. D'autres grognements. Si on ne veux pas avoir d'ennui, il faut rebrousser chemin, vite. Il en arrive par au-dessus. Merde! Chacun d'entre nous a pris une grosse pierre dans chaque main et nous avons escaladé une gravière. Je doute que ce soit des manchots cannibales et quoi que ce soit d'autre, ça court plus vite que nous, autant risquer la gravière. Ca se rapproche, et ça grogne de plus en plus fort. Un autre sentier a l'air de prendre la direction du bus, ils nous talonnent. Après avoir lancé nos "projectils" à l'aveuglette, nous avons commencé à courrir... Ce n'était pas un sentier! La gravière continuait plus abrupte encore et l'un après l'autre nous avons rejoint le sentier cent mètres plus bas en roulé-boulé. Je crois que Marlène s'est cassé un bras, mais pas le temps de réfléchir, on a perdu une demi-heure et les yeux ne vont pas tarder à nous retrouver...

    Epuisés, ruisselants de sueurs et de terre, nous avons rejoint le bus, deux heures plus tard. Le jour se levait à peine. Marlène a retrouvé un ami à elle et s'est enfuie après un bref signe de la tête. Pédro et moi nous nous sommes lavés à l'eau d'un robinet avant de retrouver les autres et après des explications lapidaires, nous avons piqué un somme dans le bus.

     


    27 Zhongdian


    * J'ai deux cheveux blancs.

    * Il y a des choses normales ici qui ne sont pas normales de la même normalité que chez nous!

    * Insolation permanente, les neurones en ébullition.

    * Un cochon qui se gratte sur une bûche. Une assiette de mouches.

    * Je pèle des pieds.



    29/06, ZD


    * C'est étonnant de voir à quel point une phrase qui finit par "dans les contreforts de l'Himalaya" a plus d'impact qu'une autre qui se termine par "perdu dans le Limousin"...

    * Ce qui appartient à ceux qui se lèvent tôt, c'est l'eau chaude...

    * La majesté du décor réduite au rang d'arrière-plan par le bruit des moteurs.

    * Décor... village typique autour d'un stupa de série. L'industrialisation d'un idéal...



    02/07 DIRECTION DEQIN


    La route, c'est un peu du Jenga, tout s'effondre mais tant que l'asphalte tient la partie continue! Le chauffeur qui roule à une allure effarante pour l'état de son véhicule et celui de la route doit vraiment avoir une confiance absolue dans son habitude du trajet en pleine montagne au bord du précipice, il tourne la tête pour regarder ses passagers et sourit... Et l'eau du radiateur qui gicle sur la vitre, la femme du type soulève un capot qui commence à fumer à l'intérieur du bus et y verse du thé... Et rien de ce que je peux faire ne pourra calmer cette impression de panique grandissante... Ca me rappelle que j'ai encore plein de choses importantes à faire, comme ranger ma bibliothèque par exemple.

    On peut dire ou montrer ce qu'on veut mais la peur, on ne s'y habitue pas, on apprend à faire avec, mais elle est toujours là. Les gros durs qui n'ont peur de rien sont soit des inconscients soit des mecs qui ont d'une certaine manière envie de se suicider.

    * Les couleurs, les couleurs! Des montagnes acérées et ciselées. Du rose, du vert, du soleil et du blanc, du gris en dégradé: la palette d'un aquarelliste... Mais qu'est-ce que c'est que ce commentaire? Je suis pas une gonzesse!

    DEQIN


    Deqin. Shangri-la, ce qui ne veut rien dire. Glacier avec escalier! Un névé, la "langue" du glacier, c'est impressionnant. Un soleil d'altitude qui percute la glace et la rend éblouissante et contraste avec l'herbe rase. La raréfaction de l'air, c'est vrai. Joli. Si je n'avais pas toujours cette impression de tourner en rond, je crois même que j'y aurais pris du plaisir...

    Après la nuit dans les gorges du Saut du Tigre, j'essaie d'être vigilant. Pédro semble inquiet.

    Au bout d'une vingtaine de minutes, tout le groupe redescend. Job court devant et pour s'amuser un peu lance à la cantonnade un "GAAAAAARDAVOUS!". L'idée ne lui est pas venue pour rien, c'est du comique de situation: la milice!

    Regard à Pédro, il me couvrira. Je plonge dans les arbres et le dénivelé. Trop de ronces à mon goût. Depuis une zone d'ombre, je peux entendre la milice qui contrôle les papiers du groupe. Encore quelques mètres et l'espace est découvert: le glacier. En longeant l'espèce de forêt qui sépare "l'escalier" du glacier, j'arriverais peut-être à redescendre sans être repéré. Ce qui me désole, c'est de ne pas être totalement sûr qu'ils me recherchent!

    C'est un rien glissant, recouvert de sable et de poussière. Et puis assez vite, mes semelles ne sont plus à la hauteur de l'adhérence, je dérape. Impossible de remonter. Pour la discrétion, je repasserai. Au milieu de ce grand champ de gris et glace bien à découvert, on ne voit que moi. Vite, une idée...

    Il y a une petite ouverture sur la rivière souterraine qui rejoint la forêt quelques dizaines de mètres plus bas. Pas le temps de réfléchir, comme toujours, je me glisse dans l'eau glaciale, prend une grande bouffée d'oxygène et plonge sous le névé...

    Le courant était si puissant qu'en vingt secondes, je suis ressorti de l'autre côté, violacé et tuméfié. Je crois que la seule chose qui empêchait cette eau de geler, c'est la puissance démentielle de son courant... Heureusement, le soleil cognait encore assez fort et mes vêtements ont sèché sur le trajet qui rejoignait le parking. Ce fut un peu long, mais ce fut le prix de mon inexistence. Le bus était garé à côté du chemin et j'ai pu y remonter sans attirer l'attention du conducteur de la jeep des militaires.

    - Alors, on avait une grosse envie?

    C'est ce qu'il a trouvé de mieux!

    - Ouais, ça fait du bien quand ça sort, pas vrai. Et puis en Chine, ça devient vite un souvenir!

    - Ah ah.

    Oui, ah ah, c'est assez drôle si on a pris du gaz hilarant.


    Enfin, c'était moins une. Nous avons retrouvé nos chambres à l'hôtel pour une douche et un somme. Quand tout le monde a été endormi, je me suis faufilé au dehors. Je suis enrhumé.

    Dans chaque ville frontière, il y a un informateur. Le type le plus louche du bouge le plus sordide, c'est un gars à «nous». Cette ville semble être le ring des bouges sordides en lice pour le titre mais un se distingue, plus glauque: le salon de massage est accessible par une ruelle sinueuse qui donne sur un hall. Pédro était là, il souriait à une des masseuses, nous nous sommes regardés avec un air de "fais ce que tu as à faire" et on s'est ignorés.

    L'odalisque puait le vice jusque dans sa respiration. Les œillades pleines de maquillage et les sourires aux dents jaunes: c'est ici. La carte des massages est une invitation aux perversions, commentée par un ongle vernis qui caresse la feuille glacée avec une lenteur suave. Ses explications sont intenables, elle articule chaque syllabe avec des expirations pesées, frotte ses cuisses l'une contre l'autre sous sa jupe en cuir bleu et la scène se colore de phéromones bestiales. Mission ou pas, c'est la saison du rut pour les espions, il me faut une pièce libre avec elle, je veux son rouge à lèvre sur les couilles: «Ok, le plus cher...

    - Par ici mon grand...»


    Les gars du salon nous regardent partir avec des sourires complices et le couloir devient la plus longue des salles d'attentes. Au quatrième pas vers la chambre, je commence à peiner sous les assauts des terminaisons nerveuses qui frottent les tissus et puis nous voilà. Elle ferme la porte, j'enlève ma ceinture qui me tombe étrangement sous la main et la regarde avec un air conquérant. Sans sourciller, elle lance un regard en biais et d'une voix de collègue me propose à boire. Mon contact. Et c'est surprenant comme la géopolitique n'a vraiment rien, mais vraiment rien d'érotique, à partir du troisième mot sur la situation au Tibet, elle n'est plus qu'un informateur qui charge un peu sur le fard à paupière.


    En fait, suite à des complications dans une affaire de drogue, les frontières du Tibet sont particulièrement surveillées et on est au bord de l'embargo touristique. Tous les véhicules qui arrivent sont fouillés au peigne fin: tout ce qui n'est pas en règle est détruit d'une manière ou d'une autre et tout ce qui reste est suivi à la trace par une kyrielle de check-point...


    Ce cher Franck n'a aucun avenir. Habituellement la route de Deqin ne voit passer que des camions de marchandises et des jeeps de touristes, les services chinois ont décidé d'y durcir radicalement les contrôles pour éviter toute fuite illégale pendant l'enquête. J'ai besoin d'une nouvelle identité. Dans ces cas là, la règle est de ne surtout pas bouger, ils me repèrent et je reçois de nouvelles instructions. Le mieux pour Franck, c'est de disparaître, de se fondre dans un endroit touristique et de prendre du bon temps, retour à Dali.

    Après quelques jours assis dans un canapé à siroter des jus de fruits, je reçois la missive en question. «Rendez-vous sur le Culinan à 18h.»

    Le Culinan? Qu'est-ce que c'est? Personne ici n'a l'air de le savoir... CA c'est un vrai code secret, personne ne peut le décrypter! Mais ça veut dire aussi que je ne suis pas plus avancé. Apparemment le Culinan est un diamant de 3000 et quelques carats trouvé en Afrique en 1901. Voilà, merci l'encyclopédie, et alors?

    En Asie du sud-est entre les colonies, les ex-colonies, les invasions diverses et variées et les royaumes millénaires, les richesses ont été déplacées sur des milliers de kilomètres. Ce diamant peut être n'importe où. Je commence à croire qu'on veut juste m'occuper, on me fait tourner en rond pour huiler les mécaniques en cas de problème. Ces stupides énigmes qui mènent à des impasses, ces semaines interminables qui ne me disent toujours pas ce que je fais ici! Mais dans un sens, je vois du pays...


    * Ca y est, j'ai trouvé quelques infos supplémentaires. Le Culinan I, c'est le plus gros joyau des bijoux de la Couronne. Mais en Asie, il n'y a plus vraiment de "bijoux" anglais. A moins qu'ils utilisent des vieux codes qui n'avaient pas servi. C'est possible... Pour ce qui est de payer des réceptions, on a de l'argent mais pour les codes secrets, PAS UN RA-DIS! QUE DALLE! Qu'est-ce que je dois faire, résoudre cette énigme avec les données des années 30 ou ramer encore pendant vingt jours? La plus récente possession anglaise ce pourrait être Hong Kong, rendue à la Chine en 1997. Ca paraît vraisemblable compte tenu de la dualité du système...



    * Kunming, aéroport, Hong Kong, j'aviserai sur place. Franck ne survivra pas au voyage, alors autant s'économiser cinquante heures de train, arriver un peu en forme.

    * C'est idiot mais je m'étais bien habitué à ces gens...


    HONG KONG


    Comment faire tenir le gigantisme sur une pièce de monnaie? La réponse est ici. L'île entière, Kowloon et les nouveaux territoires sont entièrement pacifiés par l'argent et tout lui est dédié, les buildings commerciaux démesurés, les clapiers humains de cent trente mètres de hauteur, les transports et la police. Tous les échantillons d'humanité se retrouvent ici pour le business. Hôtel pour voir venir, collation, prospection.

    Trois jours durant, je "cherche" ce joyau dans les rues, les shopping mall et les guides de la ville, les zoos, les parcs et les bateaux. Rien. User mes semelles des heures durant pour aller d'un endroit à l'autre à cause de cette satanée montagne en plein milieu. Le métro ultramoderne qui dessert tous les lieux consommables à condition qu'on trouve assez de force pour parcourir les kilomètres de rampe d'accès. Et pour les endroits plus intimes, il y a le bus ou les taxis parce que de l'autre côté du peak, on ne trouve que la population aisée.

    2 jours de plus à creuser le sujet sur les bijoux et les couronnes. C'est tout.

    A court d'idée, je décide de regarder l'île d'en haut. Je prends le funiculaire datant du début du siècle qui monte au Victoria Peak et ... QUI MONTE AU VICTORIA PEAK! VIC-TO-RIA PEAK! Et qu'est-ce qu'on trouve sur la tête de Victoria? Hein!?

    Sa couronne, c'est la station radio qui trône au sommet! L'inaction perd la réflexion, je tourne autour depuis 5 jours sans jamais y avoir prêté une attention autre que rageuse. Quel demeuré, c'est pas vrai! Le funiculaire s'arrête aux trois quarts, le reste se fait à pieds. C'est un rendez-vous judicieux pour la tranquillité quand on a vu fonctionner les Hongkongais: jamais ils ne vont là où il n'y a pas d'escalators, encore moins s'il faut monter.

    Le jour s'achève quand j'arrive à proximité de l'antenne métallique. Belle vue! Des oiseaux bizarres font des bruits en rapport. Au loin, je crois entendre l'un d'eux dire «C'est pas trop tôt!» et puis de l'escalier mangé par la végétation qui mène ici sort un homme roux, européen, avec une chemise moulante kaki qui laisse dépasser quelques poils du torse. C'est affreux.

    - Dis donc mon vieux, il va falloir te presser un peu, le 14 c'est demain et puis il va falloir te saper correctement, c'est pas une soirée pastis, qu'est-ce que tu fous depuis 10 jours?

    Inutile de lui dire quoi que ce soit, il n'a pas l'air très compatissant avec les mecs qui cherchent de l'eau salée dans l'océan.

    - Bonjour.

    - Oui c'est ça, bonjour. Ca fait 10 jours que je me crève à monter ici tous les soirs alors tes allusions sur la politesse tu peux les garder mon vieux. Bon, alors, pour demain, t'es prêt parce que je sais pas si tu as bien compris le topo mais demain soir, c'est le 14 juillet et on fait ça avec tout le gratin. Paraît que tu dois voir des gens, et ben crois-moi tu rentreras pas habillé comme un clodo. J'suis pas une nurse, j'ai du boulot, demain tu te trouves des fringues correctes, tiens voilà 500 balles, on a rendez-vous à 7h devant le Continental Hôtel. Sois pas à la bourre.


    Et il repart tout essoufflé. De près, la chemise n'était pas tellement moulante, mais disons que son corps s'arrangeait pour la rendre moulante par de subtils stratagèmes adipeux. Je ne sais pas ce qu'on lui a dit mais demain je le retrouve pour aller faire le pique-assiette dans une soirée prétexte. Il fait bon, un peu chaud, chaud en fait, humide presque noyé, je vais descendre doucement, comme un promeneur tout étourdi par le repas. Les papillons géants virevoltent autour des plantes tropicales et ça suffit pour être agréable. Dans la baie, quelques paquebots titanesques transportent deux mille tonnes de fret, les buildings tout en vitres reflètent le soleil couchant. Deux heures plus tard, je m'effondre sur mon lit.

    «Nutrition et déglutition»


    14. Shopping dans les grands magasins des grands centres commerciaux, etc. Ces chinois de Hong Kong, ils sont tellement cupides qu'ils vendraient leur liberté pour de l'argent. Il est dix-neuf heures, j'attends sur le parking du Continental en smoking blanc au milieu des voitures qui auraient pu rouler à trois cents kilomètres-heure si ce n'était pas limité à trente. Les convives et leurs maris arrivent à pieds ou en taxi pour manger aux frais de l'état.

    Dans un éblouissement pour les yeux, je vois apparaître mon grassouillet d'hier soir en tenue de gala. Un délice. De tous côtés son corps appelle à la libération, difficilement rappelé à l'ordre par la décence d'un smoking en velours noir à pattes d'éléphants. Elle aussi à pattes d'éléphants, sa muse se contorsionne dans un ravissant fourreau de tulle beige qui laisse deviner pour les plus téméraires la douceur de ses courbes.

    - Comment ça va vieux? On sent que t'es mal à l'aise dans le beau linge, hein?! Fais comme moi, décontracte, on va se goinfrer à l'œil toute la nuit. Au fait, je te présente ma compagne, Ernestine.

    - Salut.

    - Salut.

    - Bon, on y va?! On va pas rester sur le parking alors qu'il y a le buffet dedans!


    D'un pas déterminé qui tire sur la droite parce que les chaussures à talons de sa femme le sont un peu moins, il se dirige vers la sécurité. Le consul sera là, quelques-uns des plus riches français d'Asie et quatre-vingt-dix pour-cent de gens tout aussi importants pour eux-mêmes que les autres pour la France alors la sécurité se doit d'être maximale: gros yeux et suspicions. Le velours et le fourreau montrent des passeports français et se dirigent vers l'escalier, ils se retournent, le velours dit «il est avec moi» et le garde répond «allez-y». L'avantage de ce genre de type c'est qu'on sait au premier regard qu'ils sont convaincus d'avoir le droit d'entrer partout et il est plus facile de s'en débarrasser à l'intérieur que de leur expliquer qu'ils n'ont pas d'invitation. En haut de l'escalier qui mène au hall du buffet bondé, il dit avec un clin d'œil malicieux et gourmand «à tout à l'heure, vieux, je vais me vautrer dans les canapés...».


    Une telle pertinence dans l'humour m'a ému, je l'avoue. Surtout pour une phrase de sortie de scène: rôle court mais intense, je ne l'ai revu qu'une seule fois, deux heures plus tard, toujours en train d'accomplir sa destinée. Mais pour l'heure paraît-il, «j'ai des gens à voir». Il faut avoir un verre à la main, regarder autour de soi d'un air désinvolte et aller d'une allure décidée vers quelqu'un qu'on s'imagine connaître, de préférence nulle part en particulier. C'est un art plus fin encore de se glisser complètement désintéressé vers le banquet ou les stands d'alcool. Tout le monde fait semblant de se parler mais personne ne s'en offense parce que la seule préoccupation c'est de proposer en souplesse quelque chose à manger pour en manger au passage. En dix minutes à peine de ce petit jeu, après le discours officiel d'ouverture dans un brouhaha indiscipliné, un homme grisonnant en costume noir quelconque s'approche avec une allure décidée un verre à la main.

    - Bonjour Franck, comment allez-vous?

    - Bien.

    - Je suis Ludovic Festerier, nous avons un ami en commun au pays. A ce qu'il m'a dit vous auriez quelques soucis de douane?

    - En effet.

    - J'ai arrangé ça avec un de mes collègues. Tout est fait pour vous faciliter la tâche. Il s'appelle Marco Zédung, il est chirurgien, il vous expliquera. Il vous attend dans son laboratoire sur Lama...

    - Merci.

    - Sinon, comment trouvez-vous notre île?

    - Oh, très belle Monsieur.

    - Je vous en prie, appelez-moi Ludovic.

    Bla-bla-bla, etc.


    A vingt-trois heures, les cuisines étaient vides, les bouteilles étaient vides, tout était vide. Les serveurs cantonnais se bidonnaient de voir tous ces morfales à cours d'occupation et les vigiles ont commencé à mettre les gens dehors. A minuit, tout était fini.


    20 commentaires
  •  

    15.


    Le ferry file à vive allure vers l'île de Lama. Zédung est dans l'annuaire, il habite dans un petit village au sud-est de l'île. Le ferry aborde. C'est calme, après une rangée de restaurants déserts, il n'y a plus rien et il faut marcher sur le sentier de quelques kilomètres qui traverses les collines.

    Très vite, je suis submergé par la chaleur. Il y a un je-ne-sais-quoi de tropical sur cette île qui contraste méchamment avec son homologue habitable. Sur HK, il n'y a rien, pas un moustique, pas un insecte, rien que les flux financiers palpables et les ondes informatiques. Lama permet de classer l'archipel dans la moyenne des faunes tropicales: ça grouille, des fourmis aux papillons, des guêpes aux scarabées, des scolopendres, des chenilles, des oiseaux, des rats, tout. Et en particulier quelque chose qui tue d'emblée toute velléité d'établissement sur cette pile paradisiaque, des araignées. De couleurs vives, jaune de Damas et noir d'ébène, très brillantes parce qu'imberbes, lisses. Ce qui préoccupe, c'est leur taille..., et aussi leurs toiles, au milieu du chemin aussi bien tissée que les plus solides pull-overs. Les pattes de devant levées en position de combat. J'ai moi aussi de très belle position de combat mais ma morsure est moins fatale, j'en ai bien peur.

    Il faut plusieurs centaines de mètres avant de s'habituer à leur présence sinon inoffensive pour l'instant immobile.

    La forêt ne dépasse pas une certaine altitude, laissant place au soleil pour sa pleine expression et le chemin continue. Calvitie forestière rime avec insolation. Drôle d'endroit pour un laboratoire de chirurgie, vu le taux d'humidité, il doit y avoir un taux élevé de morts par infection.

    Le village est à quelques mètres au bord de l'océan. Le chemin replonge alors dans les nids d'araignées. Plus on s'habitue à les voir, plus le regard vagabonde, et c'est valable pour pas mal de chose... En l'occurrence, le regard monte vers le faîte des arbres et découvre que non contentes d'être énormes, nos dangereuses amies occupent tout l'espace disponible, louant par endroit une toile à une de leurs collègues orange ou noire mais ne laissant pas deux branches inutilisées. La palme de la monstruosité revient à celle qui garde l'entrée du village dans sa toile d'un demi-hectare.

    Notre ami Zédung a su trouver un charmant endroit. Juste après la forêt, le chemin devient grève et l'on peut rejoindre sa masure les pieds entre sable et sel. L'eau à vingt-cinq degrés caresse le corps qui s'y oublie. Après une minute de ce léger ressac, je ne sais plus pourquoi je suis ici et les flots opalins me happent. Seuls les excréments largués des chalutiers et qui s'engouffrent dans mes narines me remettent en selle pour rencontrer Marco.

    Une porte en bois bleu, peinte et écaillée soutient d'une vis la pancarte en plastique qui annonce «M. Zédung, Chirurgien diplômé de l'université de Bogota» en Colombie. Qu'est-ce qu'il est allé faire en Colombie ce mec? Et qu'est-ce qu'il fait sur cette île paumée dans une maison toute branlante?

    La réponse vient ouvrir la porte... Marco est colombien, baccante épaisse, sourcils inquisiteurs et peau brune épaisse. Et un sourire qui fait plaisir. Voilà des jours que je n'ai rencontré quelqu'un qui ne soit pas désespérément cintré ou fatalement idiot. Marco respire l'intelligence espiègle du truand, menteur comme un arracheur de dents, quoi que ça veuille dire.

    - Franck?

    - Marco?

    - Bonjour, amigo. On a quelques problèmes d'apparence?

    - Un peu direct. Il roule les "R", pour le fun. Mais de quoi est-ce qu'il parle? Rester stoïque.

    - Vous êtes au courant?

    - Pour la frontière, oui, c'est plutôt difficile d'accès en ce moment... dit-il avec un sourire entendu. Mais je peux vous proposer une solution, tout est prêt, il faut juste que tu sois d'accord, amigo.

    Tout le monde se tutoie alors!?

    - Cette solution, elle consiste en quoi exactement?

    - Les touristes sont surveillés, ok?

    - Ok...

    - Les chinois peuvent aller au Tibet, ok?

    - C'est un peu rapide, mais disons ok...

    - Je commence à avoir peur de comprendre...

    - Ils ont pensé que pour toi ce serait plus facile parce que tu as un bon potentiel de départ.

    - Un potentiel de quoi?

    - Eh ben, les cheveux noirs en brosse, les yeux en amande, la peau un peu mate, je peux en faire quelque chose assez vite. Ton air un peu russe peut devenir un air un peu tibéto-chinois.

    C'est vrai, peut-être que ma peau garde l'empreinte des années difficiles, qu'un peu de chirurgie peut me rendre admissible. Pas que je sois spécialement irrésistible mais je m'étais habitué à mon visage. Faut-il tout sacrifier à cette mission inexistante, pour un ordre tacite de réussite? De fil en aiguille, j'ai perdu beaucoup de foi dans mon sacerdoce, à force de le survoler, je ne sais plus vraiment quoi penser...

    - D'accord.

    - Bon. Ton nouveau nom sera Mong Tsampa, voilà ton passeport, on a fait la photo sur estimation, on en refera une après pour que tout soit parfait. Ca, c'est ta nouvelle tête, j'espère que tu aimes parce que tu vas la garder un petit moment...

    - ...

    - On va tirer un peu sur les yeux et pigmenter la peau, tu as déjà les cicatrices et les imperfections tégumentaires. J'espère que ton corps encaisse parce qu'avec tout ce que je vais t'injecter tu vas dérouiller, mais normalement d'ici trois jours, tu pourras à nouveau gambader comme un... coursier.

    Une bonne dose de sédatif et on pourra commencer, reprit-il.

    - Allergique.

    - Aïe! Ca complique un peu, on ne m'avait pas averti. Le seul truc qui peut remplacer pour l'anesthésie, c'est l'éther mais tu vas être vraiment groggy.

    «Groggy». Ce zig zarbi dans son labo pour barbouzes lit Tintin! Rien de tel pour me mettre en confiance.

    - Vas pour l'éther!

    - Tu réfléchis pas beaucoup, hein!? Je t'aime bien.


    A sa façon de dire «je t'aime bien», j'ai l'impression que sa moustache devient celle du motard des YMCA, mais il a déjà écrasé le tampon sur mon tarin.


    Quand on se réveille d'un songe éthéré, on a l'impression d'être dans un état parfaitement normal, les yeux gesticulent, le cerveau comprend à peu près autant que d'habitude, tout est normal. Tout à coup, je me rends compte que je ne vois rien du tout à cause d'un bandeau sur le visage. Réflexe, je veux l'enlever. C'est dans la gestion des mouvements que l'éther fait ses dégâts: rien ne répond. De l'extérieur, on aurait pu croire que tout était normal. L'éther est mon homologue chimique, on ne voit ni le problème ni la solution, tout se règle en interne sans que personne n'ait rien vu. Patience...

    Ca me démange un peu. Un peu plus. Ca me gratte carrément. Je voudrais crier «Marco, enlève-moi ce bandeau, c'est affreusement irritant, quelle heure est-il, ça s'est bien passé, etc..." mais la mâchoire articule en aléatoire «Marre-moi, ce dos, mentir est-il bien?»

    - Existentialisme du matin? Salut Franck. Enfin salut Mong. Tout est impeccable, j'ai fait du bon boulot, t'es vilain de ta pleine expression. Tu veux voir? Normalement, tu dois être encore un peu dans les vaps mais d'ici une petite heure ça devrait aller. J'en ai profité pour te décoller les oreilles, c'est plus asiat'. Alors, heureux?

    - Peu que...

    - Hein?

    - Se ber...

    - ... Bon, repose-toi un peu, je reviens. J'espère que l'éther t'as pas pompé trop de neurones.


    J'ai sombré dans un sommeil bien dense. A mon réveil, j'ai vu le plafond moisi de chez Marco et lui qui souriait dans l'entrée.

    - Je peux me lever?

    - Mais fais comme chez toi. Tu veux un café? Je l'ai rapporté de Colombie, caché dans un container de poudre. C'est pas facile de nos jours de trouver du café correct en Asie...

    - Un double, j'ai encore un peu la cervelle en bouillie.

    - Celui-là, il est spécial opération, tu vas péter la forme! lança-t-il d'un air jovial.


    J'ai compris plus tard qu'il diluait la poudre avec le café parce qu'effectivement ce jour-là, j'ai pété la forme.


    Photo, faux passeport, salut Marco, bonne chance.


    Il était 22 heures, j'ai pris le dernier ferry pour HK. Le temps de préparer quelques affaires dans ma chambre d'hôtel et à cinq heures, j'ai embarqué sur la nef en partance pour Macau au milieu des joueurs de dernière minute accompagnés de leur prostitué et des types louches qui rôdent aux premières heures du jour. Mes instructions étaient un peu plus précises. Visiblement Marco, était assez bien placé dans le milieu pour me donner quelques informations sur ce que je foutais là. En réalité, ce pour quoi je tournais en rond depuis des mois permettait en haut-lieux de peaufiner le plan d'action. J'étais un élément parmi d'autres qui devait se faire oublier en Asie pour être utile. Si jamais toutes mes précautions n'avaient pas été suffisantes, les services ennemis m'auraient peu à peu oublié à mon errance. Le groupe, le contact à Deqin, tout était prévu pour me tenir en éveil avant le début de l'opération.

    Mong devait s'arrêter à Guilin où je devrais récupérer un colis quelque part dans une grotte de la région et rejoindre ensuite Shengdu pour prendre l'avion qui me ramènerait chez lui, à Lhasa. Ca me laissait tout juste dix jours pour apprendre à parler Tibétain comme un taciturne. C'est un peu juste mais en doublant le taciturne d'un bègue, ça peut passer. Quoi qu'un tibétain bègue... N'importe quoi!


    Avec tout ça je ne sais toujours pas de quoi j'ai l'air. Marco a tout bouclé sans moi et je n'ai pas regardé le faux passeport. Dans le train qui mène à Guilin, j'ai trouvé une vitre un peu moins sale que les autres. Le teint mat et buriné, les yeux bridés jusqu'aux oreilles et les cheveux dressés sur la tête, pas de surprise donc si ce n'est que c'est MA tête! J'ai l'air louche.

    La grotte en question se trouve à quelques kilomètres de Yangshuo, une petite bourgade touristique à une heure de Guilin, et le colis au fond d'une flaque de boue ou quelque chose comme ça, sous un stalactite. Très rupestre, en somme.

    Un bus étroit relie les deux villes et la grotte est l'attraction du coin. Muddy Bath in Mother Cave. Mais la saison n'est pas vraiment au beau fixe, il n'y a là que quelques perdus qui se promènent autour de leur solitude. En vélo, ça ne prend que deux heures dans un décor splendide alors pourquoi s'affoler? On me tourne en bourrique depuis le début dans un tas de coins magnifiques, je peux bien m'offrir la niaiserie d'apprécier ça.


    Mon guide s'appelle Margie, une chinoise de cinquante ans avec un nom à l'américaine qui se propose de m'emmener jusque là-bas et d'en faire la visite. Elle roule à bonne allure et fait mine de se retourner de temps à autre pour vérifier si je suis là. Elle insiste lourdement pour me faire prendre un radeau en bambous qui descend le fleuve. C'est curieux. Et puis d'un coup mon pneu éclate. Elle est désolé mais me propose de rentrer en radeau en bambous, un embarcadère se trouve à côté.

    Non! Une rustine et on continue! Deux heures plus tard dans les méandres des chemins de graviers nous arrivons à l'entrée de la grotte. Un courant d'air frais en sort. Margie allume une lampe et s'engoufre dans l'antre ouverte. De charabia en représentations imaginaires de n'importe quoi, des escaliers de métal et des passerelles en bois mènent à la fameuse flaque de boue.

    - Vas-y, j'attends là, dit-elle en ricanant.

    Elle doit voir des centaines de gogos par jour se ridiculiser dans la bouillasse, et ce depuis que la Chine s'est ouverte, mais bon... On ne peut pas empêcher les gens d'aimer ce qui est agréable, même quand c'est surfait.

    Je suis censé passer une heure à barboter dans la mélasse sous les yeux de Margie qui me méprise déjà.


    La boue suinte du haut de la caverne dans la mare dégueulasse de miasmes et de transpirations des quatre-vingt-six mille touristes qui sont passés avant moi, mais le paquet est enfoui sous la boue. Un énorme stalactite au fond de la grotte pointe sur un petit tertre de boue molle qui dépasse de la boue liquide. Faisant mine de jouer comme un enfant, je creuse une galerie sous la motte marron. Au bout de deux ou trois minutes de ce simulacre stupide, mes doigts sentent une matière plus dure et extirpent avec difficulté une petite flasque métallique gravée. Je la glisse dans mon caleçon boueux et retourne en gesticulant sur ce que nous appellerons la berge.

    Mais à peine le pied posé sur la surface glissante, la lumière s'éteint et Margie semble se lever. Le claquement aspiré de ses pas dans la boue se rapproche. Il fait absolument noir et le sol est glissant. Par précaution je m'accroupis. Juste à temps pour comprendre que Margie agite devant elle une lame de vingt centimètre, peut-être. Je tente de la plaquer au sol dans un bond puissant mais la boue transforme mon impulsion en une extension sur place qui offre mon menton à la pointe d'un rocher emboué. Un peu sonné , je saisis les mollets de Margie qui pique désormais vers le bas. D'un coup sec, elle se retrouve au sol et son juron peut vouloir dire qu'elle a perdu son couteau, à moins qu'une de ses préoccupations du moment ne m'ait échappé... Elle rue encore avec une puissance qui désarçonne et à plusieurs reprises fait mouche dans mon épaule et mon visage à coup de sandales chinoises. Un coup bien placé me fait perdre le peu d'assiette que j'avais pu trouver dans cette arène oléifère et je me retrouve glissant vers la mare boueuse. Un bras désespéré attrape sa cheville et l'entraîne dans la chute.

    Sans rien contrôler, nous coulons vers la fange où l'un de nous restera. Elle se relève. Comme deux lutteurs grecques, nos corps s'empoignent et gaspillent toutes leur forces pour porter un coup fatal mais aucun de nous deux n'a de prises et les coups sont autant de pertes d'équilibre. C'est une guerre d'usure qui s'entame, et on ne se voit toujours pas.

    Quelque chose écorche profondément ma plante de pied, c'est le prix à payer pour avoir retrouver la lame avant elle et mettre un terme à ce calvaire insolvable. Un dernière feinte maladroite et le combat s'achève dans un râle crispé. Un des points communs à tous les Hommes, c'est leur premier cri et leur dernier.

    Je rampe jusqu'au banc avec une sensation de froid dans la jambe blessée. Après un tâtonnement minutieux, je parviens à retrouver quelques vêtements, tous ceux que j'avais laissés en fait, et la lampe de poche. Loin au fond du couloir de pierre, les néons éclairent la sortie. La remontée est difficile d'autant que je suis toujours couvert de boue signée par la mort de Margie.

    Quelqu'un sait qui je suis et ce que je dois faire ne doit pas être bon pour ses affaires. Il va falloir être sur mes gardes.


    A la sortie de la grotte, il y a un passage étroit qui longe les murs des maisons du village et qui permet d'éviter le staff touristique. Le retour sur Yangshuo se fera à pied. Cette flasque doit être importante quoi qu'elle contienne. Une main inquiète plonge dans la tambouille de poils et de terre à demi-sèche pour mettre la flasque dans un endroit plus sûr: elle n'y est pas! Elle a certainement glissé par un des côtés lâches du caleçon pendant le combat contre cette tigresse. Il faut vraiment que je passe au slip, le maintien est meilleur et je n'aurais pas eu à retourner dans cette grotte morbide. Enfin...


    A la nuit tombée, c'est-à-dire pratiquement tout de suite après, je m'apprêtais à faire le chemin à l'envers quand deux yeux verts s'éclairent dans un rai de lune. Collé au mur, plus un geste. Ils semblent regarder dans une autre direction. Alors le grognement s'amorce, grave et sourd. Ils pointent vers l'entrée de la grotte. Le molosse prend sa respiration et amplifie sa menace. Petit à petit, il se rapproche. Que peut-il bien impressionner? Il faut absolument que je retourne chercher cette fiole! Et soudain, il se met à aboyer à pleins poumons, le rai de lune se coupe une fraction de seconde et le chien court dans ma direction. Juste avant de courit, une mèche de cheveux effleure ma joue, il y a aussi quelqu'un qui court déjà en faisant un raffut correct.

    - Cours!!!

    - Pas le choix!!!


    La bête se rapproche à vive allure mais sitôt l'entrée de la caverne franchie, son hurlement se fait moins effrayant, fluet. Il se trouve à l'endroit d'où je pouvais l'observer tout à l'heure et ses yeux ne semblent pas dépasser une vingtaine de centimètre de hauteur. Mais ce constat est le fruit d'un coup d'oeil par dessus l'épaule, je peux me tromper. Les cheveux courent toujours devant, mais la douleur est insurmontable, il faut que je fasse une pause, une seconde au moins. Volte-face et position campée. Le chien s'arrête. "Bouh", il recule, piétine sur place sans oser continuer. Un peu rasséréné, je poursuis la fuite avec un pas plus léger.

    - Cours!!! Dit une voix loin devant.

    - Mais c'est un chiot!

    - Un chiot, quel chiot?

    A l'instant où je reprends la foulée du salut, la voûte de la caverne déjà loin derrière amplifie des cliquetis familiers. Plusieurs. Ceux du métal qu'on ballotte quand on court.

    Chaque interstice entre les pagodes nous éclaire en stroboscope.

    - PAR LA! Crie une voix en chinois.

    A quoi répond une meute informe d'approbations intestinales qui fait froid dans le dos.

    Toutes ces émotions m'ont fait oublier la plante écorchée mais l'assimilation progressive de tous les nouveaux paramètres fait revenir la douleur de façon insistante.

    - Ma jambe est blessée.

    - Je sais, on y est presque.

    Mais c'est pas croyable! Tout le monde à l'air au courant de tout. Je suis resté combien de temps à tourner en rond sans rien comprendre? Combien de temps je suis resté à m'entraîner comme un demeuré? Depuis le début, j'ai l'impression de tout contrôler parce qu'il ne se passe rien d'autre que des obéissances à des ordres vides, je prends des trains, et les rendez-vous me tombent dessus sans que je n'aie jamais rien anticipé. Pourquoi ils continuent à m'utiliser? Cette fiole, ça doit être du sirop pour la toux...

    - Arrêtes de marmoner, c'est pas le moment, monte!!!

    J'ouvre la portière et la voiture démarre en trombe sans que je sois assis. Les premières balles ripent sur la carrosserie, elle passe la seconde et enfin, un visage apparaît.

    - Ceinture!!!

    - On se connaît depuis quarante-cinq secondes et t'as fait que des phrases avec des points d'exclamation. Tu t'appelles comment?

    - Loneline. Je vous attendais depuis quelque temps. Vous avez oublié ça dans la grotte, Monsieur le super-agent...

    - Comment saviez-vous que je viendrais chercher quelque chose ici?

    - Parce que c'est moi qui l'y ai mis. Je suis chimiste pour le compte d'une société suisse et j'ai touché beaucoup d'argent pour remplir cette flasque d'une trouvaille récente. Je devais m'assurer que le porteur trouverait bien le colis mais visiblement vous n'êtes pas très au point.

    - Merci!

    - Vous avez un bon accent français pour un chinois.

    - C'est que... j'ai fait mes études à Paris...

    - Ah. Voyez ce que vous me faîtes faire, d'habitude je suis dans mon laboratoire avec des tubes à essais et des papiers, une vraie image d'Epinal. Dans la grotte, j'étais à deux doigts de me faire attraper, à peine le temps de récupérer la flasque près du banc où vous aviez posé vos habits et je me suis planquée derrière le gros tas de calcaire morveux qu'ils font ressembler à Bouddha. Cinq ou six types se sont jetés dans la baignoire pour retourner le fond.

    En effet, son front ruisselait d'un mélange de sueur et de terre. Un petit nez retroussé et les joues bien rondes. Elle touchait presque le plafond de la jeep avec sa tête.

    - Loneline, dîtes-moi, où allons nous?

    - Je vous drope à Guilin, à la gare. Après, c'est votre problème.

    - Qu'est-ce qu'il y a dans la flasque ?

    - C'est une pandémie aquatique qui sature les molécules d'ions négatifs ou quelque chose comme ça.

    - Comment ça "quelque chose comme ça"? Ce n'est pas vous qui l'avez faite?

    - Grand Dieu, non! Moi, j'ai été payée pour remplir la flasque et la mettre dans la boue, je ne suis pas chercheur.

    - C'est tout ce que vous savez?

    - Je sais simplement qu'il a fallu des précautions extrêmes pour mettre le liquide dans son contenant définitif compte tenu de son milieu de prolifération: le moindre contact avec l'humidité du corps et le milieu de prolifération, c'est vous.

    - Merci Loneline.

    - C'est un plaisir.

    - Merci, dis-je avec un sourire.

    - Je ne disais pas ça pour vous, mais pour le chèque. Laborantine, c'est pas folichon, vous savez. On travaille quarante heures par semaines et ...

    - Ca vous ennuie si je me repose?

    - Je disais ça, c'était pour parler.

    - Et bien justement, taisez-vous.

    - Vous êtes rancunier? Quand je vous disais que...

    - Taisez-vous!

    - De toutes façons, on est à la gare. Descendez. Salut.

    A peine descendu, la jeep s'est remise en route dans un nuage de poussière. A cette heure-ci, il n'y a pas grand chose, quand la jeep a disparu au loin, j'ai commencé à me tourner les pouces en suivant les lampadaires. En boitant.


    Mes guenilles sont toujours pleines de boue, on peut me suivre à la trace et bonjour la discrétion. Le mieux c'est de trouver un point d'eau et de laver tout ça.

    J'ai quitté les lumières pour chercher un coin tranquille. Une ruelle triste au nord de la ville, loin de tout moyen de fuite, à côté du "parc des couleurs mélangées". Encore cette impression de ne pas tout comprendre en voyant une Toyota rutilante garée devant un taudis. Au fond de la ruelle, une arcade de pierre, où dorment quelques clochards, donne sur les berges du (yangtsi). Le chemin de gravier se perd dans la nuit et un escalier en dur descend jusqu'à la rive, un peu encombrée par les brousailles. Il y a un tuyau qui déverse une eau transparente au clair de lune et un petit palier qui peut servir de matelas, c'est l'endroit rêvé pour faire sa lessive. Il est minuit passé, le vingt-et-un. Il y a exactement une semaine, je sortais du continental hôtel à HK en smoking blanc. Aujourd'hui je dors à côté d'une bouche d'égout sur les bord d'un fleuve en attendant que mes sapes boueuses soient sèches. Ca représente un bon ambitus des possibilités humaines.

    Le panneau de la gare indiquait à seize heure le bus pour Chengdu, dans le Sicuan. Je n'aime pas vraiment cette façon de voyager mais aucun train n'est direct, c'est-à-dire qu'il faut traverser le quart de la chine pour trouver la correspondance. Dans un bus, on reste cantonné à son siège des heures durant, enfermé dans une structure de métal, qui plus est sous le contrôle de quelqu'un bien souvent endormi. Les possibilités de fuites sont alors bien réduites. Enfin... Plus que seize heures à patienter.

    J'ai quelques éléments de plus, mais rien qui ne soit conséquent. Quelqu'un m'attend au Tibet, j'ai une fiole qui fait des ions dans l'eau et des mecs armés au cul.


    Mon sommeil n'a pas été reposant et les draps s'en souviennent... Les sommiers en bétons, c'est plus vraiment de mon âge.

    Au matin, je suis réveillé par des pressions répétées dans les côtes.

    - Debout!

    Quoi que ça veuille dire, je ne peux rien y répondre. La première chose qui me passe par la tête, c'est le coup du bègue. Je lui montre mes oreilles et ma langue et commence à baragouiner les paroles de "la Bohème" d'Aznavour sans rien articuler. Bien mâchouillé, ça peut ressembler à du mandarin.

    Du bout de sa matraque, il me montre mes vêtements et la pointe ensuite sous la ceinture. Je me suis endormi à poil et ici, c'est pire qu'un attentat à la pudeur.

    En deux ou trois coups de matraques, je suis rhabillé, de ces vêtements humides que je ne quitte plus, et le policier poursuit sa route.

    Au premier coup de matraque, je lui aurais bien sauté sur le râble mais ce n'était pas forcément prudent. Une agression sur un agent de l'ordre et donc du parti, c'est l'exécution, surtout pour un local. Il doit être huit heures du matin et il reste à peine quelques jours pour que je parle tibétain comme un taciturne, éventuellement bègue.

    Le soleil s'est levé sur ce gîte improvisé. C'est un petit coin à l'indienne adorable, chaud, bordélique et arboré. Quelques ablutions avant de plonger dans le petit manuel en vente dans toutes les bonne librairies.


    * Traverser l'autoroute à pieds, c'est juste un coup à prendre...


    * Proverbe "c'est sous les bouches d'égout que le poisson a du goût".


    Après avoir fait rire avec des sons improbables quelques pêcheurs trop ancrés dans leurs proverbes pour me laisser tranquille, l'heure de prendre le bus arrive.


    * Le vendeur de tickets de bus m'a dit que j'étais gros comme un éléphant mais que ça irait! Du sang froid, du sang froid...



    Bus pour Chengdu


    La banquette en quinconce pour éléphant, nain, épouse délicatement les formes d'une belle endormie. La plus fragile des chinoises se trouve à quelques mètres de mon nerf optique, qui est ce que j'ai de plus long quoi qu'il arrive, et c'est un ravissement que d'épier ses gestes félins. Pour préserver son bonheur, il faut parfois savoir faire abstraction de la réalité, par exemple l'odeur, plus près encore, du cul de ce type qui vient de chier dans son froc.


    C'est un bus couchette tout en madriers métalliques fusionnés. Chance peut-être, il reste un couchette disponible. Enfin allongé, sur une couchette trop courte à cause des standards chinois mais allongé quand même. Le bus démarre. Il sort de la gare, fait le tour d'un pâté de buildings et s'arrête à l'angle d'une ruelle. La porte s'ouvre pour laisser entrer une douzaine de sichuanais torses-nus, ventripotents et patibulaires. L'air mauvais, coupe en brosse. Un premier frisson me rappelle que désormais, c'est à ça que je ressemble.

    Ils prennent place un peu partout dans les allées au grand dam des touristes. L'un d'eux s'assoit sur la couchette d'un français et une rixe éclate. C'était normalement un bus de luxe réservé à ceux qui voyagent sous cloche. La tension monte et on sent les sichuanais facilement irritables. Celui qui semble être le chef, un gros ours balafré, questionne le chauffeur du bus et chacune de ses phrases est suivie d'un regard de l'ours vers une couchette du bus. Pendant ce temps, le choc culturel prend de l'ampleur et les deux mondes s'oublient à leur virilité entre menaces et grognements. D'autres interviennent et tentent de clamer le jeu mais les clans sont officiels: les blancs contre les jaunes. Le mépris était déjà entre eux avant le prétexte, ils se détestaient avant de se connaître, ils se détestaient par a priori et cette joute lamentable donne une réalité à leur bêtise respective. Encore qu'on puisse excuser celui qui est chez lui... C'est la plus basse échelle de la nouvelle guerre froide.


    Le chauffeur s'arrête enfin devant un boui-boui et les groupes se coagulent. Les capitalistes s'attablent et s'effraient de l'hygiène, les communistes rodent autour des camions comme des types louches. Les chinois un peu chics restés hors des rixes sont dispersés ici et là.

    A mieux les observer, ces mecs ressemblent plus à une faction des triades qu'au staff du bus. Depuis le début, ils ont l'air de chercher quelque chose... ou quelqu'un et lorgnent régulièrement sur la table des mangeurs.

    A la limite de la lumière de la gargote, le chef s'éloigne un peu pour pisser et son pied se prend dans une vis rouillée qui traînait par terre. Plus de doutes possibles, cette voix, c'est celle de la horde sauvage d'hier soir. Ils cherchent un occidental, n'importe lequel, pas un asiatique boiteux. Merci Marco, c'est du beau boulot. C'est pour ça qu'il parlait avec le chauffeur tout à l'heure. Si je me barre, ils me repèrent.

    Le bus repart sur la route dans la nuit noire. Au milieu d'un virage, le chauffeur s'arrête et entame un demi-tour, tous feux éteints. Un poids-lourd lancé à pleine vitesse apparaît et freine dans un bruit assourdissant. Pas plus paniqué que ça, le chauffeur du bus se retourne, lance un juron et continue sa manœuvre. Il repart alors dans les coups de klaxons affolés du camion pour s'arrêter quelques centaines de mètres plus loin et laisser descendre la triade.


    Les dix-sept heures en sont vingt-cinq et le bus arrive à Shengdu en fin d'après-midi, le vingt-deux. Je me laisse trois jours pleins pour soigner mon pied et travailler une dégaine. La flasque est toujours en sûreté dans une poche de mon pantalon, je ne l'ai toujours pas regardée de près. Chambre tranquille dans une ruelle au centre de la ville... je sors la flasque. Elle est gravée des initiales d'une marque de Whisky en groses lettres finement ciselées et dessous, en tout petit, un panda boit au goulot pendant qu'un autre montre quelque chose sous ses fesses. Avec la patte en faisant un clin d'oeil hors du métal... A moi! Celle-là, elle est pas dure, je regarde sous la flasque.

    "Les arbres de pierre restent muets sous les assauts du vent de printemps, 14, Shengdu."

    Celle-là par contre, elle est déjà plus corsée. Je suis pas bégueule mais les proverbes chinois, c'est déjà difficile à comprendre quand on n'y est pas obligé, alors avec la pression... J'ai envie de dire que la peau ne fait pas le cerveau, mais le début, c'est dans le parc des pandas, on verra ensuite.

     

    * Chengdu, capitale du Sichuan... La négociation en chinois, c'est une forme d'ubicuité: on perd trente ans d'espérance de vie en trois minutes...


    * Marco m'a refilé du Lariam contre le paludisme parce que j'étais faible. Effet secondaire: dépression, tendance suicidaire, vertiges, nausées. Pour le palu, je sais pas, mais c'est vrai que je suis à deux doigts de me jeter sous un train en glissant sur mes flaques de gerbes...


    * Pour pallier à l'optimisation irrationnelle de chaque mètre d'asphalte, la communication est la plus distrayante des gabegies et pourtant, il s'agit du même procédé de s'introduire en force dans le moindre espace libre.


    * Les chinois sont plus visuels qu'auditifs, j'en veux pour preuve leurs chansons traditionnelles remasterisées qui ne peuvent plaire qu'à des visuels... sauf quand on regarde les clips, mais ça n'engage que moi.

     

    * Le panda!? Jamais vu un animal aussi proche du minéral en peluche. CA-NE-FAIT-RIEN! RIEN DU TOUT! Et c'est mignon pour un animal qui peut vous décapiter d'un coup de patte...


    * Il n'y a rien de plus sexy que des rais de lumières qui filtrent à travers une forêt de bambous par une brume légère...


    Enclos quatorze, j'y suis. L'énigme se clarifie : "les arbres de pierre" si poétiquement nommés sont les coulées de ciment imitation rondin qui servent de siège dans ce décor paisible.
    Dès qu'on creuse un peu, les métaphores sont toujours un peu décevantes. "...restent muets sous les assauts du vent de printemps", ça doit vouloir dire que quelque chose d'autre peut les faire parler. Il aurait fallu un vieillard assis avec le menton sur sa cane qui attend de répondre à la question d'un aventurier avant de disparaître mais tout n'est pas si simple. J'aurais demander "dis-moi, vieux sage, qu'est-ce qui est plus puissant que le vent de printemps?", et il aurait répondu au choix : "le vent d'automne", "la locomotive puisqu'elle lui fait front", "le chant d'un oiseau", "j'en sais rien".. ou alors un autre proverbe encore plus énigmatique et il aurait fallu tourner en rond jusqu'au vieux qui dit "j'en sais rien". Tout compte fait, mieux vaut qu'il ne soit pas là, il m'aurait énervé pour rien ce vieux. Bref, trop de réflexion n'a jamais fait que des armes de destruction massive ou des concepts métaphysiques inapplicables, je suppose qu'il n'y a pas de mécanisme secret dans des rondins en béton et ça me fatigue toutes ces histoires, je choisis la réponse C : le coup de pied, et si c'est pas ça, un coup de pied plus fort.


    Ma plaie de la "caverne de boue" s'est réouverte mais le rondin a laché son secret. C'est une carte postale adressée à un monastère au Tibet. Elle dit "Puisse la voix du Bouddha vous guider jusque là". Et puis un contact sur ma vertèbre...

    Le garde du parc n'est pas des plus approbateurs quant à la destruction des sièges. Je n'ai pas le choix, rien ne peut s'expliquer par des histoires censées, tant pis pour sa descendance.


    Tandis qu'il se plie de douleur, je détale aussi vite que possible avec une jambe infirme. Un coup de sifflet lance la chasse, les chemins de bétons sont trop larges, on va me repérer illico. Un sentier de terre fond dans les arbres en longeant quelques enclos rouillés. A dix mètres devant, des hérons semblent perturbés par ma présence mais le chemin les suit. A peine entré dans la forêt plus dense, des dizaines de boules rouges et blanches me tombent dessus dans les cancardements criards des oiseaux. Ils les lâchent sûrement de haut, au troisième, je décide de rebrousser chemin. Impossible de faire autrement que par les chemins des gardes. Et quand l'un d'eux m'aperçois, je plonge dans les arbres, monte un mur glissant et enjambe la barrière en espérant ne pas tomber sur un animal. Le garde passe en courant.

    Bon, maintenant, il s'agit de trouver la sortie de ce zoo en passant par les enclos. Normalement, les peluches sont endormies et paisibles mais les effrayer peut déclencher soit une panique bruyante, soit une panique offensive et l'une comme l'autre de ces possibilités sont inconfortables. La progression est lente tant les broussailles sont épaisses mais aucune rencontre pour l'instant.

    Au crépuscule, le dernier enclos est presque franchi quand un buisson bouge. Quelques mètres seulement me séparent d'une enclave dans le mur qui semble être un passage : en marchant lentement, le drame peut être évité. A pas de loup donc, je serpente dans la végétation (ou à pas de serpents, je louvoie dans la végétation), le passage est étroit, très étriqué mais suffisant pour passer. Quelque chose de gluant happe ma chaussure mais le corps est sauvé.

    Je me retrouve assis en tailleur dans une pièce sèche, les yeux rivés sur le trou : un museau noir s'y aventure et renifle inquisiteur. Peu à peu, c'est toute une tête qui émerge du noir et me toise avec des yeux inquiets. Un gentil petit panda géant avec des dents comme mon pouce se demande qui peut bien le déranger pendant la sieste, ce qui représente la majeure partie de ses occupations d'ailleurs. Mais l'obscurité m'absorbe et il doit être plus fatigué qu'inquiet : il s'endort la tête encore dans le trou.


    Le nouvel environnement est étrange, l'herbe est pailletée, on dirait du plastique. Quelques troncs éparses montent jusqu'au plafond peint de couleur ciel. Un sursaut quand des yeux blancs fixent l'endroit où je suis assis, mais les mouvements ne semblent pas appeler des réaction. Les yeux s'habituent à la pénombre de cette pièce : tout est en plastique! Et les animaux sont en papier mâché, c'est affreux. Des scènes préhistoriques sont représentées en couleurs gouache à vomir, le spectacle est enrichissant mais il faut savoir dire stop même à sa culture personnelle. C'est donc le sourire au coin des lèvres que je me suis écrasé sur la vitrine du musée impeccablement propre, côté chose à voir. Le nez en sang, ce n'est pas très grave, la sortie bouchée par un panda, c'est plus délicat...

    Ca vaut ce que ça vaut, j'ai réussi à sortir. Le panda a été réveillé par un porc-épic du crétacé chimérique, il s'est un peu reculé, interloqué et a croqué dans la tête en papier de l'aberration. En renfort, un skons s'est précipité, suivi par le cou d'un lama et une massue préhistorique. Complétement déboussolé, le panda a pris la fuite à l'autre bout de l'enclos et j'ai pu sortir du parc pour me faire les vingt kilomètres qui me séparaient de mon hôtel. Si on ne sait pas que je suis louche, c'est vraiment qu'il y a des taupes dans la grande muraille... Qu'il y a plus important, quoi!


    * Il pleut... Dans un sens tant mieux parce que les vêtements sont toujours trempés à la fin de la journée, quand ce n'est pas par la pluie, c'est par la chaleur étouffante qui stimule la sudation... au moins la pluie n'est-elle pas poisseuse et puante!


    * Les garçons pédalent en claquettes pour des filles en jupe assises sur les portes bagages des vélos. Grosse mégapole aérée... Des femmes qui jouent aux dés autour d'une table basse posée à même la rue...


    * On me ballade, c'est sympa, mais je commence à m'ennuyer un peu, les parcs, les visites à la chaîne, les repas toujours tout seul au resto, pour l'ennui, un pays en vaut un autre. C'est quand on perd quelque chose qu'on se rend compte que c'était bien... J'aimerais bien faire quelque chose...


    * Pour ne pas être surpris quelque part, je passe toutes mes journées à marcher, chaque nuit dans un endroit différent, c'est le protocole... pesant...


    * Cette nuit, j'ai ri tellement fort d'un rêve idiot que je me suis réveillé.


    * Trop de kilomètres, de chocs climatiques et de dénivelés, trop de départs, d'arrivées, de nuits mauvaises, de plats toujours nouveaux qui s'enfuient sans consistance et trop de langues différentes... Un type en vélo traverse, l'autobus n'a pas l'air de ralentir au feu rouge, j'aimerais lui crier "ATTENTION, BE CAREFOUL, FAIS GAFFE...", je crois que j'ai dit "a dargf". Ca a servi, mais une sieste s'impose.


    * En dehors de l'Occident, on apprend à aimer le corps tel qu'il est, sans pastiches, les plaies, les boutons, les écorchures sur les muscles un peu saillants, les cheveux sales et pouilleux parfois...


    * Pourquoi parle-t-on plus facilement à des gens qui parlent la même langue qu'à des gens qui ont la même taille? On a peut-être autant de trucs à se dire...


    * Application de la philosophie aux préoccupations quotidiennes: doit-on risquer le futur pour un instant de bonheur? Faut-il gratter ses boutons?


    * Si on ne remet pas ses références culturelles en question, autant rester chez soi, je commence à me perdre dans la fluidité asiatique et c'est un régal, un régal ennuyeux.


    * Les riches de tous les pays tendent vers la même superficialité.


    * Baisse de motivation grandiose...


    * Derrière un gros pan de planches métalliques rouges, une ruelle accidentée. Le vieil asphalte gondolé recueille l'eau de pluie et jalonne le chemin de flaques un peu boueuses. Par-ci par-là, des touffes d'herbes se frayent un chemin à travers les fissures du goudron. Longeant les murs décrépis, une rangée d'arbres, de gingkos bilobas et de platanes, ombrageant les terrasses où se retrouvent les chinois calmles et bruyants. Quelques portiques en bois recouverts de lierre donnent sur des maisons basses au toit traditionnel. La végtation épouse les balustrades galbées et font de chaque masure un lieu paisible et particulier. On se promène, évitant les fosses des travaux et les parasols des joueurs de dames. Le soir, cette ruelle est le siège des convives qui viennent manger quelques plats épicés, descendre quelques bières ou se promener pour le plaisir d'une brochette de viande. Deux ou trois vieux assis regardent le mur d'en face à longueur de journée et rentrent chez eux à la nuit tombée dans un intérieur de roseau tissé. C'est une ruelle où il fait bon vivre, qui relie deux avenues de buildings impersonnels et qui va être détruite... Finies les mosaïques délavées qui passent inaperçues au premier regard, qui enrichissent en secret l'atmosphère agréable. Les tuiles bleues qui rebiquent pour tutoyer le ciel vont être remplacées par des toits plats qui portent des antennes. Dans un an, peut-être deux, les portes écaillées en bois vermoulu ne porteront plus aucun bouquet d'herbes folles pour chasser les esprits... il n'y aura plus d'esprit. Pour que les pots standards embellissent les autoroutes urbaines à quatre voies réglementées, on défoncera au marteau-piqueur la jardinière à l'abandon qui déborde de liberté et la pluie ruisselante des arbres deviendra cette mousson salie des climatiseurs rouillés pour finir enfin dans les égoûts bouchés par les immondices...

    C'est de la nostalgie avant l'heure, mais tout va si vite pour convertir cette société à la fadeur industrielle...

    Il fait frais. Les gouttières gouttent sur quelques vélos antédiluviens qui s'aventurent doucement entre les nids de poules, dont les propriétaires errent ça et là. Ils vont raser les ruines, les souvenirs, balayer les feuilles. Tout doit disparaître, être propre, ordonné, grouillant de neutralité morbide. L'american way of life avec ses modèles à paillettes conduit le monde dans la tristesse la plus fade et morbide... Je crois que je déteste ma culture et sa contagion, cette putain de civilisation "développée" qui ne sait rien faire sans tout carreler! Je la déteste.

    25/07


    Demain, départ pour Lhasa. Chengdu est une ville magique pour prendre des habitudes, travailler ou se reposer dans les parcs tranquilles... Je vais encore me retrouver dans un avion pour quelque part pour aller attendre autre chose... Je suis bien ici!


    * Des grues.


    * Civilisation du bambou: la civilisation se construit sur les premiers matériaux qui donnent des déductions sur la façon de vivre, le bambou est très simple, pousse vite, est très souple et très solide, et creux, la Chine croit à une vitesse incroyable, se réfère à des principes élémentaires comme le Tao, s'adapte, plie et impossible de la briser.


     

    * Enfin, le 26, à sept heures du matin, Mong Tsampa est dans l'avion qui le ramène au Tibet, dans sa maison de Lhasa occupée par deux générations de colons. L'avion va décoller...


    * Des milliers d'hectares d'aluminium froissé, les montagnes érodées vertes bien que pelées qui luisent au soleil d'un reflet cuivré. Quelques crêtes s'aventurent plus près des nuages, au-delà de l'horizon et semblent s'extraire d'un fourreau de velours. Elles y parviennet au prix de la douceur du regard, deviennent acérées, abruptes, martiennes et donnent aux collines qui les portent des airs de plaines découpées au laser.


    * On aperçoit entre deux infinis une vallée, lit d'un fleuve, qui accueille quelques champs ou parfois un village.


    * Il y a sur les montagnes une couverture de nuage.


    * Un peu plus haut, il y a les nuages des nuages, encore plus évaporés que ceux qui servent de nuages à la terre ferme.


    * Un CD de musique love tourne en boucle... depuis un mois... Wo bu ai "wo ai ni"! Ras le bol de cette chanson! D'accord, elle est sincère, accessible: "je t'aime", d'accord c'est un internaute mystérieux qui l'a écrite et qui fait s'envoler le coeur de toutes les midinettes mais là, stop! C'est tout aussi accessible de comprendre que j'en ai marre d'entendre cette chanson, non!? STOOOOOOOOOOOOP!


    * Ca y est, les rasoirs de glace déchirent la couverture... Je ne sais pas avec quoi raccommoder du nuage... Encore des réflexions de tantouse...


    * On se demande vraiment pourquoi les gens s'emmerdent les uns les autres, il y a une place démentielle en bas!!


    * Sur les montagnes couleur rouille d'anthracite, les nuages deviennent violets!


    * Les sommets chatouillent les aisselles de l'avion.


    * En fait, l'avion n'atterrit pas, c'est le Tibet qui remonte sous les roues!


    * Nous y voilà! Après cinquante jours de périple, à tourner en rond, l'opération va peut-être se dessiner enfin. En quelques phrases entendues pour la première fois, je dois accorder cette langue désormais natale.


    18h17, il n'y a pas deux mots pour décrire le soleil d'après-midi à cette altitude, il t'éclate la gueule!


    * Frais, les taxis sont des vélos...C'est vrai que tout est magnifique. Les ultra-violets douloureux donnent à l'atmosphère un teint acide. Pas d'humidité, pas d'air, les nuages sont très nets, précis. En comparaison, les nuages "d'en bas" semblent gras.

    * Acclimatation.


    * On est si haut qu'il faut baisser les yeux pour voir certaines étoiles. Stetsons, costards, lunettes "Police", le teint buriné par tout ce qui fait le Tibet, les premiers autochtones sont comme autant de Charles Bronson figurants dans un western chowmein! L'air frais s'aventure sous le tissu de drapeaux multicolores, c'est un régal. Et le potala! Les moines mendiants, les snookers dont ils sont accrocs... Je crois que... j'aime cette ville.


    * J'ai rencontré un garde du corps issu de la diaspora tibétaine. Un rimpoche en exil reconverti dans la protection des vedettes en suisse et tout ça simplement par la distraction de manger deux fois de suite au resto... Il voulait parler un peu, et boire. En fait, il voulait peut-être surtout boire. Quand on s'est quittés, deux heures plus tard, le soleil a achevé le boulot et dodo...


    * C'est une ville déchirée en silence et câline, une main gangrainée dans un gant de velour...


    * On prend vite l'habitude de tirer la langue pour dire merci ou bonjour.


    * J'ai trouvé ma devise, pour la légende de l'espionnariat, elle était écrite sur la porte des commodités à Chengdu : Comme in a rush, go with a flush...



    27/07 2e jour à Lhasa


    Le gérant de l'auberge est venu maladroitement frapper à la porte à 6h du matin... Et puis en guise d'excuse, il a dit "je pensais que vous pourriez aller faire le tour du Potala avec les tibétains vers 7 heures, d'habitude, c'est ce que font les gens".

    Tour du potala le matin, c'est le lieu le moins surveillé parce que les militaires "immatures" narguent et offensent les bouddhistes. Happé par la rotation entre les moulins à prière, les magasins de chapeaux et les mottes de beurre de yak, après le 2e coin, un type me tape sur l'épaule, je dois retrouver mon contact au monastère de Samding, il m'attend.


    Je suis fatigué, personne ne comprend ce que je dis, dans aucune langue! Ce type hier m'a fait boire jusqu'à la a gueule de bois, et l'altitude, l'oxygène, le soleil qui frappe... Qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire? Je tiens à peine debout! Je cherche une moto quelque chose qui roule, n'importe quoi, je me casse la gueule: genou droit, pied droit, orteil déchiré jusqu'au nerf, désinfecté à l'alcool pur. Garrot. Je ne gère rien du tout, rien... un camion passe dans une flaque et asperge mes plaies d'eau boueuse. Le soleil cogne... Le soleil...

    Je me suis retrouvé allongé en haut d'une montagne avec un mal de crâne horrible et la bouche sèche. Après avoir joué les sioux, une question est venue se poser sur mon front déjà chargé: comment est-ce que je suis arrivé là?

    A une vingtaine de kilomètres en direction du soleil couchant il y avait le potala. Il n'a pas fallu longtemps pour reprendre du service parce que les dynamites faisaient sauter la montagne à quelques centaines de mètres plus loin, des blocs de roc gigantesque qui explosent dans un champignon de poussière.

    Le sol était instable, et j'hésite même à dire le sol. La matière était si souple, si futile qu'on aurait dit un liquide, voire un gaz un peu dense alors quand une nouvelle explosion retentit pour modeler le visage du Xizang, il s'en fallut de peu que je ne finisse cinq cent mètres plus bas au milieu d'une sorte de caserne ou les chars et les partouilles faisaient des manoeuvres bruyantes.

    Ce fut une de ces situations où l'on est sauvé par l'instinct de survie: au premier pas qui a mordu dans le «pan de gaz», j'ai pu dévier la trajectoire et me jeter derrière un rocher avant que l'avalanche n'arrive en bas.

    Après des minutes interminables, j'ai rejoint un terrain plus sûr et suis rentré à Lhasa dans une ambiance colonie assez prononcée: le long de la route (parce qu'il y a toujours une route quelque part!) des échoppes désertes, des roulottes de chinois souches qui viennent prendre leur commerce dans le nouveau monde encouragés par une subvention d'Etat.

    Juste un paysan fourche à la main à éviter parce qu'on piétine son champ et voilà la ville qui s'étend.

    28


    * Le bout de mon gros orteil se balade comme le scalp inachevé d'un yankee dans le vent et la plaie de mon genou se vallonne de belles dunes couleur sable... un peu de poésie pour dire que le pus et une douleur lancinante prennent possession des lieux... On ne doit pas être à deux jours près, hein... Il attendra ce moine.

     

    Soirée arrosée, ambiance et oubli oblige. Bar karaoké. Un européen est assis à une table au milieu d'un groupe de chinois. Ils jouent aux cartes. Avec un bagou incroyable, il plume ses adversaires avec l'air de ne pas en être responsable et les autres insistent. Quand le karaoké s'arrête, il range une liasse épaisse de 5 centimètres dans sa poche et se barre en riant.

    L'air de rien, ils ont une descente incroyable ces tibétains! Un verre à liqueur de bière toutes les trois minutes pendant deux heures.


    * Je ne peux plus marcher... et pourtant il faut y aller...


    * Les coliques explosives qui projetent sur un rayon d'un mètre des cailloux digérés dont l'épicentre est l'anus.

    29/07


    * Les bouchers qui coupent les blocs de viande rance à la hache et l'odeur de cadavre qui se dégage de leurs boutiques en face des Cyber café.


    * A chaque génuflexion, la pression fait scuinter quelques gouttes de pus.

    * Saignements de nez...

    * Les asticots dans la merde.


    votre commentaire



    Suivre le flux RSS des articles
    Suivre le flux RSS des commentaires